« Les fourmillantes images
ne constitueront jamais un chant encore moins un hymne »
D. Dezeuze, « Post-scriptum ».
D’où viennent le pessimisme et l’ironie qui nimbent les œuvres de Daniel Dezeuze, ancien membre du groupe Supports-Surfaces, un temps parisien mais aujourd’hui installé à Sète, et poète. J’avance une hypothèse : d’un refus d’adhésion à un centre qui serait unificateur et salvateur comme il le fut, par exemple, pour Claudel, lequel déclarait que « le cercle a recours au centre sur tous les modes de l’opportunité ». Il y eut cependant une opportunité : retourné sur les terres languedociennes de son enfance, Daniel Dezeuze a choisi de se nourrir de la médiévale résistance cathare et des révoltes du Gnosticisme antique (les titres de ses dessins sont des citations empruntées au Nag Hammadi). Il dira : « Pour moi, simple artiste-peintre, j’ai puisé dans ces émotions [celles des écrits de Nag Hammadi] et particulièrement dans ce sentiment d’abandon qui en fait le fond ; l’homme est un être ‘jeté’ sur Terre et ne peut avoir recours à un Dieu trop lointain pour faire sans difficulté sont salut » (« Préface »). Le livre de grand format, Écrits Hérétiques, recueille donc poèmes et dessins (magnifiquement reproduits) tracés sur fond noir au pastel, au Carré Conté ou au feutre et à la plume. Les dessins sont de feu (souvent tels des oiseaux) ; les poèmes des variations grinçantes sur l’abandon. Les écrits sont de la veine des « suppliciations » ; les dessins ont souvent la nervosité des ceux d’Antonin Artaud.
Une section du recueil, « Mysticades », est particulièrement riche. Sur la page de droite, le dessin ; sur la page de gauche, le texte à deux niveaux, en haut le « mystique », en bas « retour sur terre », les deux « niveaux » rapprochés ou simultanés, en continuité ou contradiction.
Ainsi page 111 le dessin titré « Je suis les membres de ma mère » (où je vois deux figures-principes du féminin et du masculin) et, page 110, le poème :
Fourbus devant
le portail de Gloire,
tant la montée fut ardue
et la montée de bois poli
et faisant accourir
l’angélique cortège
qui détient les clefs.
Entrant enfin
dans l’antre divin de l’Eternité.
Vision fugace que l’enveloppe de chair
scellée par le Temps
nous livre
à coups de cœur
et de Désir.
Un micocoulier arc-boute sa membrure épaisse dans le rose ténu du levant.
Les oiseaux de mer planent au-dessus du port où pêcheurs et plaisanciers
s’affairent à leurs calfats.
Le jour est quand même plus clair que le fond noir de notre cœur !
Claude Minière
Daniel Dezeuze, Écrits hérétiques, Editions Méridianes, 2020, 120 pages, 25€.