Le Cri d'Auguste Rodin.
" Chaquejour, je me retrouve à Ambroise-Paré où Rita a été opérée du col du fémur. Le choc a ébranlé son esprit ; elle divague, elle a des hallucinations. Elle se jette dans mes bras, s'accroche à mon cou. On vient la nuit l'assassiner, on la menace d'un grand couteau, l'infirmier la frappe. Va-t-elle couler dans la démence ?
" - Il ne te manquait plus que ça, murmure Patricia. Tu traverses une sale passe. Tâche de tenir le coup.
- C'est dans l'ordre naturel des choses. Ma tante aura quatre-vingt-douze ans cet été. La première ligne cède... C'est mon tour de monter au feu "... Je la regarde, je lui souris. " Dans les coups durs, je suis assez bon, dis-je. J'ai l'habitude. Ce sont les petites choses qui me désorientent. "...
Nous déambulons un long moment dans le quartier. C'est une soirée douce. Alors que nous contemplons la devanture d'un antiquaire, je m'entends murmurer : " Tu ne peux pas imaginer combien j'ai aimé cette femme. - Mais si, j'imagine. Tous ceux qui te connaissent savent ce qu'elle était pour toi. " Elle tend alors la main, prend la mienne et je colle mon front contre la vitrine pour admirer un secrétaire : " C'est une pièce superbe, tu ne trouve pas ? - Très belle, oui, chuchote-t-elle d'une voix chaude. Je pense : si je hurlais, si...
Je ne crierai pas. J'ai appris dans mon enfance que les hurlements n'éveillent personne..."
Michel Del Castillo : extrait de " De père français", Éditions Fayard, 1998. Du même auteur, dans Le Lecturamak :