De ce titre classique, on retiendra que le second élément n’est pas très présent dans ce recueil, alors qu’en revanche le premier possède une place capitale. Il y a presque un côté bestiaire assez inhabituel dans ce volume. En effet défile tout au long des pages une parade d’animaux de toutes sortes dont on retiendra le renard, le chat, la vache, le corbeau, le chien, l’abeille, la fourmi, le canard, la loutre, l’âne, le loup, l’ours, le renne, le singe et bien d’autres encore… Seyhmus Dagtekin s’attarde comme un fabuliste sur le rapport de l’homme aux bêtes, dans lesquelles il se reflète, il s’interroge et se reconnaît. Ne va-t-il pas jusqu’à les prénommer, agathe, élodie, béatrice, nora… (Les majuscules ne valant que pour les débuts de vers), ne sachant d’ailleurs précisément de quel animal il s’agit, même s’il est question de terrier ici, ou là de salive. Une première comparaison tient d’ailleurs à la faim et la nourriture lorsqu’il oppose
le vide de notre tête et le plein de notre panse…
Une deuxième apparaît dans les moyens, dans les outils à disposition :
Mains que tu n’as pas. Griffes quand tu les ronges. Dents quand tu les dévores…
Ou bien
Te sers-tu de ton bec comme louche, comme fourche, comme lame…
S’il aime donc évoquer les oiseaux Avec les ailes que vous risquez de rendre en cours de vol, il s’attarde également sur « ma grosse grosse araignée » :
tu cavales dans la peur
Comment te retrouves-tu parmi ces fils
Où cours-tu, où vas-tu ma paisible méchante douçâtre folle sur pattes…
énumération d’épithètes qu’il reprend quelques vers plus loin :
entre les pattes de mon adorable effroyable irritable intraitable araignée…
Ainsi aime-t-il les listes et suites qui s’engendrent, sorte de marabout ou shiritori :
Prédire l’avenir est un papillon qui vole et devient serpent
Serpent devient chameau
Chameau devient chauve-souris
Chauve-souris se dépouille de ses ailes
Devient loutre…
Tout le recueil est donc structuré par cet axe animalier, chaîne plus onirique qu’alimentaire, qui renvoie aussi bien au végétal qu’à l’humain comme un filtre particulier. À travers ses images de bêtes, Seyhmus Dagtekin parle de lui et de nous avec son regard global et son expérience cosmopolite.
Un chien n’est pas aussi sale que sa peau.
Jacques Morin
Extrait :
Écoute le son devenir clé et ouvrir les champs
Les vagues devenir pulsations et ranimer les ailes
Ecoute le son devenir abeille et voler de feuille en feuille
De toux en frémissements
Devenir main qui cueillera douilles et pétales
Mettra feu aux ailes et feuilles
Écoute les flots devenir sillons dans la terre
Regarde papillonner les sons dans l’espace de ta bouche
Les bulles éclater été devenir barques sur les vagues
Les barques devenir nids, les nids devenir gorges
Et pousser chants et charmes à ton passage
Ecoute le son devenir étreinte, devenir caresses
Et se laisser glisser loin de ta peau
Comme les olives qui gonflent
et disparaissent
sans avoir savouré la proximité de ta peau
Ces bulles qui enlèvent les fourmis
dérobent les épines aux roses sur leur passage
Qui fixent de leur regard les épines et les roses
Jusqu’à la disparition des paupières
Jusqu’à la dilution des épines dans le regard
Page 13
Seyhmus Dagtekin, de la bête et de la nuit, éditions Le Castor Astral, 2021, 104 pages, 12 €.