Il y a une éternité – en mai 2004 ! – j’écrivais dans mon édito de La Libre ce texte intitulé « L’essentiel : Une bibliothèque et un jardin ». Ce titre, avec la pandémie actuelle et les restrictions, prend une étrange actualité. Pour nous qui sommes assignés à résidence, ces deux éléments deviennent d’une incroyable richesse et une façon de survivre. Le voici donc tel qu’il fut publié à l’époque.
« J’ai descendu (sic) dans mon jardin / Pour y cueillir le romarin : / Je n’en ai pas cueilli trois brins / Qu’un rossignol vint sur ma main ; / Il me dit trois mots en latin, / Que les hommes ne valent rien, / Et les garçons encore bien moins ; / Des dames, il ne me dit rien, / Mais des demoiselles beaucoup de bien. » Le début de cette vieille chanson populaire française (J’ai retrouvé la suite dans une anthologie) me revenait en tête l’autre jour, alors que le soleil faisait luire les feuillages et mettait en valeur les fleurs de mon jardinet.
Le jardinage est l’une des activités de loisir – avec la lecture – que l’on semble citer le plus souvent lors de sondages. Et ma foi, associer le livre et le jardin ne date pas d’aujourd’hui. Cicéron écrivait déjà : « Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut. » Et plus proche, Gladys Taber note : « Un livre est comme un jardin que l’on porte dans sa poche. » et dans un texte original : « There is a kind of immortality in every garden. » Elle vivait dans une maison sise sur un terrain de quarante acres dans le Connecticut, en Nouvelle Angleterre, et a écrit la plupart de ses livres dans sa propriété : « Stillmeadow » (La prairie silencieuse). Ses livres parlent de sérénité, du plaisir des tâches quotidiennes, de l’amitié, des chats, des chiens et des plaisirs de la nature au fil des saisons. Gladys Taber est morte à 81 ans, à Orléans.
En ce moment, j’observe ma femme qui s’affaire à soigner, à rempoter, à déplacer des fleurs de couleur bleue ou mauve : les pétunias, les jacinthes des bois, les pensées… Tout à l’heure, je profiterai du soleil printanier pour m’asseoir sur le banc. Je sais déjà que cela m’apaisera.
Ces instants hors du temps, en pleine nature, sont tellement éloignés du travail, aussi passionnant soit-il ; des informations de toutes natures dont la presse nous inonde, même s’il faut rester citoyen du monde, et particulièrement « européen » ces temps-ci ; des grands et petits soucis de la vie quotidienne… qu’ils en deviennent indispensables pour nous équilibrer ! Quel bonheur de lire les articles de Luc Noël et de le suivre dans ses promenades télévisées le week-end !
Erik Orsenna dit : « Le jardin, c’est de la philosophie rendue visible. » En effet, il peut être un lieu de réflexion. Nous avons tant de pistes à explorer, une fois imprégnés de l’essence du jardin : l’évolution de la vie, les cycles des saisons, l’harmonie de la nature et même l’intégration de l’animal humain dans le monde terrestre, la pollution, l’égoïsme, la disparition des espèces.
Mais le délassement et l’exorcisme de l’évasion peuvent aussi nous être donnés par une simple présence dans un jardin. « Les jardins sont une des formes du rêve, comme les poèmes, la musique et l’algèbre. » déclare Hector Bianciotti. L’échappée se fait ainsi et pas toujours en se précipitant à l’autre bout du monde, où l’exotisme nous donne l’illusion d’un enrichissement.
En relisant le livre de Dennis Boyer « Initiation et sagesse des contes de fée », je m’aperçois que j’avais marqué cette réflexion, qui colle au propos : « Pour fermer ses yeux et entrer dans son cœur, il n’y a pas de chemin à prendre ; il suffit de cesser de courir ailleurs ; tout mouvement ne peut que nous éloigner de nous-mêmes. »
Les sens de la vue, de l’ouïe et de l’odorat sont activés, excités dans un jardin. Entendre une abeille bourdonner. Écouter un pigeon nous survoler en roucoulant. Et la mésange qui zinzinule, la pie qui jase, le chien qui clabaude… pourquoi pas ? Admirer le balancement des tiges, le mouvement immobile de la torsion des branches, l’épanouissement des corolles. Sentir profondément l’humus qui se mêle au parfum des roses.
Souvenez-vous de ce passage du « Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry, revenu il y a peu dans l’actualité, où la rose vaniteuse amène le héros à confier ceci au narrateur : « Je n’ai alors rien su comprendre ! J’aurais dû la juger sur les actes et non sur les mots. Elle m’embaumait et m’éclairait. Je n’aurais jamais dû m’enfuir ! J’aurais dû deviner sa tendresse derrière ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires : Mais j’étais trop jeune pour savoir aimer. »
On peut aussi au-delà du particulier, laisser son esprit, son âme s’envoler vers d’autres sphères. Que faisons-nous là ? Pourquoi cette fusion avec la nature est-elle si bénéfique ? Où allons-nous ? Voici une dernière pensée – plus profonde qu’elle n’y paraît – de Rudyard Kipling. Elle peut être une conclusion à cette chronique « entre-temps », mais aussi être le germe d’une introspection : « Pourquoi Dieu a-t-il fait l’homme jardinier ? C’est parce qu’il savait qu’au jardin la moitié du travail se fait à genoux »