L’atmosphère de ces représentations professionnelles est particulière. Je ne m’habitue pas à entrer dans la salle sans billet. A prendre garde de m’asseoir loin de chacun des autres spectateurs en négociant les quinconces comme d’autres les virages à la montagne. A retenir mon souffle près de trois heures trente sous le masque. Et surtout à devoir partir très vite ensuite sans attendre les comédiens avec qui il ne sera pas possible de discuter vues les circonstances.Et pourtant, l’accueil organisé par La Tempête est absolument sans faille. On perçoit le sourire derrière le masque. Deux petites tables ont été garnies de muffins et de boissons chaudes auxquels on a accès après la case hydroalcoolique comme de bien entendu. Mais la vraie récompense débutera plus tard ! Suis-je devenue plus perméable aux intentions artistiques ? J’ai adoré la proposition de Gérard WatkinsJ’adhère totalement à sa vision rockabilly chruchillesque des années soixante de la tragédie hamletienne qui est bien illustrée par la boite qui a été conçue pour orner le hall du théâtre, une coutume très ancienne qui perdure à la Tempête, et que j'avais photographiée lors d'une précédente-édente visite.Anne Alvaro est sans surprise aucune, mais avec un immense bonheur, un(e) Hamlet remarquable de justesse. Arrêtez s’il vous plaît de faire référence à sa voix particulière. Elle ne surjoue pas de son instrument. Elle oscille entre humour et tragédie avec la force de la brindille qui ne rompt jamais.Tout m’a plu. J’ai passé une après-midi exquise (et finalement le théâtre est dix fois meilleur à déguster à cette heure là qu’en fin de journée, lorsqu’on y arrive épuisé). Pourvu que les salles conservent cette habitude, à l’instar des cinémas où l’on peut aller à tout moment. Quant au texte, je ne sais pas si Gérard a prévu de le faire éditer mais sa traduction décoiffe et fait entendre le propos de Shakespeare avec une force nouvelle. Comme j’aurais envie de le savourer tranquillement ! Donc le décor évoque l’Angleterre de la fin des années 50, début 60, avec quelques touches de modernité. Il suscite l'envie de rejoindre la scène, son tapis moelleux et surtout le bar. Egalement d'aller voir ce que cache le rideau de fil doré et d'explorer l'autre côté de la scène. Un jet de fumée annonce le début et très vite résonnent les notes caractéristiques de l'ouverture de Tommy, l'opéra culte de The Who (1969) et qui fut, je crois, le premier film que je suis allée voir au cinéma quelques années plus tard.Deux guitaristes grattent leur instrument à contre-jour. On boit, on danse, on se vautre sur le tapis. Ça commence très visuel et l’humour anglais s’infiltre. Et celui du metteur en scène aussi puisque Tommy raconte l'histoire d'un enfant aveugle, sourd et muet après avoir assisté au meurtre de l'amant de sa mère par son père. Nous ne sommes pas très loin du propos de la pièce.Le cor résonne. Trois fois. Et trois militaires dont le costume fait penser aux soldats de la Guerre de Sécession esquissent un pas de danse évoquant des derviche tourneurs en capes. La mise en scène est très inventive et de multiples astuces créent de vraies surprises avec néanmoins beaucoup de justesse. Je vais me retenir de raconter l'enchainement des scènes. Je ne vous donnerai que quelques bribes car il faudrait pouvoir tout dire. Et vous trouverez que j'étais en-dessous de la réalité lorsque vous irez voir le spectacle.Je ne parlerai donc que d'un chapeau qui est pouf. D'un cri de coq sans doute christique. D'une reine ultra érotique. D'un pantin articulé. D'un lutrin lampadaire. De crânes qui roulent. Il me faudrait aussi vanter l'intelligence des costumes et dire quelques mots du choix des décors, modulables, transformables entre une pièce de réception et un choeur d'église.
On m'avait promis un spectacle atypique et ébouriffant, rock et poétique, drôle et émouvant dans une vision ultra-contemporaine et moderne. Le pari est gagné. Bravo.
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Pierre Planchenault