— Regarde…, j’ai incendié le monde pour toi ! a murmuré l’instant d’après une voix à l’accent étranger Et d’un large geste de ses mains et de ses beaux bras, si souples et si blancs, elle m’a montré l’amphithéâtre de la côte en flammes.
Tout autour le feu, et nous deux, là, inconnus jusqu’à l’instant d’avant, l’un près de l’autre, au cœur de la flamme, là où la flamme ne brûle pas.
C’est difficile à faire comprendre avec des mots. Ça ne vous est jamais arrivé de rencontrer une personne inconnue, dans un moment de la vie où vous n’étiez plus présents à vous-mêmes, où vous ne coïncidiez plus avec vous-mêmes, et d’éprouver pour elle un bouleversant sentiment de proximité et de fusion, comme si pendant un instant s’était ouverte, on ne sait où, une fissure qui vous a fait voir une réalité complètement différente, que vous aviez sous les yeux mais que vous n’arriviez pas à voir jusqu’à l’instant d’avant ?
— Tu veux brûler avec moi ? elle a murmuré encore, tout à coup, approchant infiniment près son indescriptible visage blanc animé par le feu.
Antonio Moresco - Les incendiés (Verdier)