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Stéphanie Braquehais : Jour Zéro

Par Gangoueus @lareus

Coup de cœur

Jour Zéro de Stéphanie BraquehaisPar Emmanuel GOUJONStéphanie Braquehais : Jour Zéro
D’habitude je ne fais pas de chronique sur les livres tout juste sortis, comme je ne participe pas à la folie commerciale des rentrées littéraires. Mais cette fois-ci, un hasard a fait que j’ai découvert Jour Zéro. Comme je connais son autrice, que j’ai vu qu’elle sortait un nouveau livre après Lignes de Fuite en 2017 que j’avais bien aimé, la curiosité m’a poussé à commander son ouvrage. Bien m’en a pris parce que c’est un livre courageux d’abord, plaisant et bien écrit ensuite.Rien à voir avec un roman historique cette fois. Stéphanie se plonge en elle-même pour nous raconter pourquoi et comment elle a arrêté de boire de l’alcool. Mais ce n’est pas un énième témoignage pathétique ou misérabiliste d’une adepte des Alcooliques Anonymes, ou d’un disciple des ligues de vertu et d’abstinence. Il n’y a pas d’idéologie dans ce livre mais plutôt une quête au plus profond d’elle-même, un exercice de compréhension des mécanismes psychologiques intimes et des phénomènes sociaux qui la conduisaient à boire trop, à plonger dans des trous noirs, à se désinhiber au point de s’oublier. Et c’est la qualité première je crois de Jour Zéro de raconter une aventure intérieure, personnelle et par définition unique, sans chercher à universaliser ni l’expérience, ni l’abstinence.Il y a aussi du Bukowski dans Jour Zéro, comme lorsque Stéphanie raconte : 
« Je pense à la fois où, ayant refait surface parmi les vivants après une mauvaise nuit, j’avais aperçu sur le mur de ma chambre de petites taches roses aussi gracieuses et printanières que des pétales de fleur. De loi, ça avait l’air joli. Je me suis approchée et j’ai reconnu cette odeur familière et nauséabonde, la même qui se diffuse après l’ingestion de champignons non tolérés par mon système digestif (les vrais champignons, qu’on cueille en forêt, pas ceux qu’on mange dans les soirées) : l’odeur du vomi. Le vin rouge avait donné une coloration violacée à tous les aliments qui avaient fui mon œsophage et s’étaient répartis comme une œuvre pointilliste sur les murs blanc cassés de ma chambre. » 
Les anecdotes de ce genre sont pléthore tout en évitant le voyeurisme ou le nombrilisme. C’est factuel.Ancienne journaliste, Stéphanie a un style concis, précis, et pèse toujours ses mots. Elle a choisi de vivre à Nairobi, « un bar géant. Ses fêtes obéissent aux principes de l’illusion temporelle. Au bout de quelques verres, la terre s’arrête de tourner, le temps ne s’écoule plus. La nuit et le jour deviennent des notions inconsistantes. Il n’est pas rare de démarrer une soirée le vendredi soir et de la terminer le lundi matin après avoir traversé des espaces, consommé des particules et ressenti une énergie inversement proportionnelle à l’état du compte en banque ». Des moments que nous avons tous connus, plus ou moins, mais dont à l’inverse de l’écrivaine, nous n’interrogeons que rarement la vanité. En jouant sur/avec les mots elle nous invite aussi à interroger notre propre relation à l’alcool : 
« Vin heure, l’heure du crime. Vin heure est 18 heures. A 17 heures, si on boit de l’alcool, on est un poivrot. Soixante minutes plus tard, cela s’appelle l’apéritif. La dépendance s’installe à travers les rituels ».
La force du livre vient aussi du fait que Stéphanie ne cache rien – plus rien pourrait-on dire – d’elle-même et qu’au fil du récit découpé en jour à partir du Jour Zéro, elle apprend aussi à s’accepter, à ne plus mettre de filtre entre elle et elle-même, elle et le regard des autres. Elle n’a aucune tolérance vis-à-vis de ses propres travers, et est même parfois très dure avec elle-même. Sans doute parce que le combat qu’elle a mené « contre la Hyène », l’image qu’elle donne à la tentation d’alcool, a été des plus ardu et solitaire aussi. Mais petit à petit elle s’accepte et au fond apprend à s’aimer avec bienveillance.Nous avons plusieurs fois voyagé ensemble. Stéphanie était une compagne très agréable : drôle, simple et rustique au sens où elle ne se plaignait jamais des conditions souvent plus que spartiates dans lesquelles nous nous trouvions, que ce soit pendant la guerre en Somalie à Mogadiscio, ou sur un navire de la Marine française à la poursuite d’hypothétiques pirates somaliens. Je me souviens de soirées particulièrement arrosées, dans un hôtel de la capitale somalienne en guerre, avec d’autres collègues journalistes au cours desquelles nous avions inventé, avec les pauvres moyens du bord, un nouveau cocktail, le « Mogajito » : mélange de gin éthiopien épais et huileux, de jus de pamplemousse et de feuilles de khat écrasées… Stéphanie était la seule jeune femme parmi nous. Et nous avions tous beaucoup de tendresse et d’admiration pour son courage d’être là. Après Jour Zéro, ce sentiment est renforcé, en tous les cas à mes yeux, ne pouvant parler au nom de nos autres compagnons d’aventures abyssines.Jour Zéro, Stéphanie Braquehais. Editions L’Iconoclaste, Paris 2021, 286 pages.

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