Dragon bleu, tigre blanc (Shanghai Redemption)
Auteur : Xiaolong Qiu
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Adélaïde Pralon
Éditions : Liana Levi (6 mars 2014)
ISBN : 978-2-86746-717-2
304 pages
Quatrième de couverture
Stupeur à la brigade des affaires spéciales de la police de Shanghai. Sous couvert d’une promotion ronflante, l’inspecteur Chen est démis de ses fonctions. Après tant d’enquêtes menées contre les intérêts du pouvoir, pas étonnant qu’on veuille sa peau. Forcé d’agir à distance, inquiet pour sa vie, Chen affronte l’affaire la plus délicate de sa carrière tandis qu’à la tête de la ville, un ambitieux prince rouge et son épouse incarnent le renouveau communiste. Alors que dans les rues résonnent les vieux chants révolutionnaires, ambition et corruption se déclinent plus que jamais au présent. Avec une amère lucidité, Qiu Xiaolong réinterprète à sa manière le scandale Bo Xilai qui secoua la Chine en 2013.
Mon avis
« Le système n’a pas de place pour un flic qui place la justice au-dessus des intérêts du Parti. »
On peut sans doute écrire qu’il en est de même pour les écrivains…
Xiaolong Qiu est installé aux Etats-Unis et cela lui permet probablement une « liberté de parole » dans ses romans, lui dont le père a été victime des gardes rouges.
Son héros récurrent, l’Inspecteur Chen, vient d’être nommé à un poste plus élevé mais en Chine nouvelle nomination ne rime pas forcément avec bonne promotion.
De ses fonctions de vice-secrétaire du Parti et d’inspecteur principal, il n’en est plus question, il vient d’être appelé au poste de directeur de la Commission de réforme juridique de Shanghai. Un titre long et ronflant pour un travail pas clairement défini… Une chose est certaine, il ne pourra plus questionner, « fouiner » en toute discrétion et interroger pour ses enquêtes et ce qu’il vit s’assimile à une « mise au placard » en toute légalité….
« Revenez dans quelques jours récupérer vos affaires, il n’y a pas urgence. » lui dit-on le jour où on lui annonce son nouveau poste. Il aurait dû se méfier…
Il décide de prendre quelques jours pour s’occuper de la sépulture de son père, comme un bon fils qu’il est. Sans doute pour prendre le temps de s’habituer à ce qu’il va devoir faire, prendre du recul et attendre ainsi les instructions. Son court voyage au cimetière va entraîner une rencontre qui va provoquer beaucoup d’événements qu’il ne maitrisera pas….
Chen est un vieux loup solitaire, sérieux, pointilleux, obstiné et qui veut la vérité. Il sait pourtant qu’en Chine, ce n’est pas toujours facile. Sa mise à l’écart n’est pas sans but, il comprend qu’il a creusé trop loin dans les dernières affaires dont il s’est occupé. Il reste tranquille mais se fait « avoir » et échappe de peu à une situation qui aurait pu être dramatique. Fort de ça, il se méfiera mais ce sera très difficile tant le contexte est « tordu » : manœuvres, corruptions, manipulations, disparitions d’indices, transformations de preuves…
Ses supérieurs ne le soutiennent pas et Chen a besoin de tous ses amis, qui doivent eux aussi agir en toute discrétion, obtenant les informations nécessaires pour démêler le nœud gordien dans lequel il est coincé.
En Chine, « ce qui paraît juste un jour se révèle faux le lendemain ». Le cheminement de Chen, dans ce roman, est comme cette phrase, tout en clair obscur, en nuances. On passe des Gros Sous hypocrites avec leurs maîtresses, les « ernais », dont ils usent, abusent avant de les remercier à l’Opéra et à la poésie dans une atmosphère feutrée. L’écriture suit ce rythme particulier : de la nostalgie pour les mets raffinés, les vers poétiques, les traditions à un certain dégoût pour ceux, corrompus, qui ne pensent qu’à l’argent, aux plaisirs et sont « oublieux » et irrespectueux des valeurs de ce pays. J’ai beaucoup aimé les passages ou les événements vécus sont comparés à des scènes d’Opéra et analysés avec un regard « artiste » (la stratégie de Chen est comparée à « La romance des trois royaumes ».)
Omniprésent dans ce livre, «le Parti » qui est un presque un personnage à part entière. On ne peut pas mettre en doute la bonne foi du Parti, on doit tout faire pour le Parti …. il est là, enveloppant tout et chacun dans ses tentacules, essayant de modeler les pensées, imposant les chants « rouges », se glissant partout afin de tenir les rênes ….
J’ai beaucoup apprécié ce roman pour son ambiance, son climat, ses personnages mais également pour la découverte de cette Chine ambivalente, partagée, tiraillée et où il est si difficile d’exprimer ses ressentis, ses émotions tant il faut être dans la norme choisie par le Parti. Chen est un homme attachant, intéressant dans sa façon d’approcher les gens, les faits, mais aussi pour son analyse du vécu chinois. Je crois que Xiaolong Qiu se sert de cet homme pour nous transmettre l’amour de son pays mais également sa peur que celui-ci ne se perde….