Le soir [du 22 février 1943], à Berlin, le ministre de l'Éducation du Peuple et de la Propagande du Reich Joseph Goebbels offre un violon Stradivarius à Nejiko Suwa, jeune virtuose japonaise.
Le narrateur, Félix Sitterlin, n'est que trompettiste de jazz et pourtant, bien que le langage des mots ne lui soit pas familier, il se décide à raconter l'histoire vraie de cette musicienne après avoir reçu d'elle en 2002 un colis contenant ses carnets.
Si la plus célèbre violoniste japonaise le lui a adressé, c'est parce qu'elle a eu l'occasion de le rencontrer et de le repousser à plusieurs reprises au cours de sa vie d'artiste et que ce cadeau que lui a donné le dignitaire nazi s'est révélé empoisonné.
Quand elle le reçoit, elle ignore qui en était le propriétaire. Par la suite, elle apprendra de la bouche du narrateur qu'il a en fait été volé par une de ses connaissances, Herbert Gerigk, à un jeune juif, Lazare Braun, qui est mort assassiné par les nazis.
Yoann Iacono, qui s'est beaucoup documenté sur cette histoire, a choisi la forme du roman pour la raconter, parce que, à l'instar de Mark Twain, il sait que la fiction se doit d'être plus crédible que la réalité et que c'est ainsi qu'elle peut la dépasser.
Nejiko Suwa n'arrivera jamais à complètement apprivoiser le Stradivarius de Goebbels, car cet objet inanimé a bien une âme et, même, une mémoire. Ce qui ne l'empêchera pas de tenir beaucoup à lui, tout en essayant de ne jamais culpabiliser.
Comme le dit Albert Camus, dans La Chute, cité en épigraphe du livre: N'attendez pas le jugement dernier. Il a lieu tous les jours. Heureusement qu'elle seule et le narrateur, connaissent l'origine du Stradivarius, qui n'en est peut-être pas un...
Dans ce roman, elle se fait surtout connaître par des concerts en Europe, pendant la guerre et après, ainsi qu'au Japon et aux États-Unis, ce qui la fait côtoyer des grands de ce monde, à qui elle tente de faire admettre de ne pas politiser la musique.
Le narrateur s'intéresse essentiellement à sa carrière entre 1943 et 1951, période après laquelle elle s'enferme dans un long silence. Quant à sa vie personnelle, il n'évoque que les instants de bonheur qu'elle connaît, avant un heureux rebond.
Quand le narrateur ne sait pas, il reconnaît volontiers qu'il invente, si bien que dans la fiction il y a encore une part de fiction, mais, comme dit précédemment, cela n'enlève rien à la crédibilité du récit, au contraire: il l'est même davantage.
Francis Richard
Le Stradivarius de Goebbels, Yoann Iacono, 272 pages, Slatkine & Cie