" La progression des variants dits anglais et sud-africains fait peser un fort risque d'accélération de l'épidémie. La question d'un confinement se pose légitimement compte tenu de ces données, mais nous en connaissons l'impact très lourd pour les Français sur tous les plans. Ce soir, nous considérons, au regard des chiffres des derniers jours, que nous pouvons encore nous donner une chance de l'éviter. " (Jean Castex, le 29 janvier 2021).
La communication du pouvoir exécutif s'est accélérée en fin de semaine : annonce surprise de la tenue d'un Conseil de défense à l'Élysée à 18 heures ce vendredi 29 janvier 2021 (après celui du 27 janvier 2021), puis, deux heures et demie plus tard, conférence de presse très brève du Premier Ministre Jean Castex au Palais de l'Élysée ( texte ici) pour dire que finalement, la France ne va pas confiner pas. Pour le moment.
Passons rapidement sur la forme. C'est assez exceptionnel que le Premier Ministre s'exprimât au Palais de l'Élysée. D'habitude, il s'exprime chez lui, à Matignon. Néanmoins, ce n'est pas la première fois. Déjà le 23 octobre 2020, c'était le cas. Cela laisse cependant entendre que Jean Castex s'est rendu aux arguments de l'Élysée.
En effet, depuis plusieurs semaines, on parle de deux camps au sein de l'Exécutif. Il y aurait ceux qui sont partisans de resserrer les mesures sanitaires pour éviter une hausse très forte des contaminations, ce serait le cas notamment du Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran et du Premier Ministre Jean Castex. Et puis, il y aurait ceux qui ne voudraient à aucun prix d'un troisième confinement, en particulier le Président de la République Emmanuel Macron, le Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire et le Ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports Jean-Michel Blanquer.
Juste avant Noël 2020, Emmanuel Macron avait laissé entendre à des journalistes qu'il n'était pas question d'hypothéquer l'année 2021 sur le covid-19 et qu'il voulait aussi continuer à faire des réformes, notamment sur le séparatisme et sur l'écologie. Avec un nouveau confinement, qu'il a qualifié de "médiéval" lors des vœux aux journalistes il y a quelques semaines, ce serait la nature même de son quinquennat qui serait remise en cause. Il aurait donc voulu avoir toutes les informations, notamment sur le variant anglais et sur les effets du couvre-feu à 18 heures avant de prendre sa décision.
Dans une conférence de presse le 28 janvier 2021, Olivier Véran avait déjà annoncé que l'effet du couvre-feu était positif mais pas suffisant et donc, que le statu quo ne pouvait perdurer. Il y a eu une sorte de pression médiatique sur le pouvoir, il était d'abord question d'une intervention télévisée d'Emmanuel Macron le mercredi de cette semaine, puis de la semaine prochaine, puis le lundi soir, puis le dimanche soir... Il était absolument nécessaire de communiquer avant le début du week-end pour éviter toute amplification de rumeurs, ruminations et autres râleries...
Malgré la décision de ne pas confiner immédiatement, il fallait bien prendre quelques mesures supplémentaires. Par exemple, fermer les frontières. Mais l'impact sur l'épidémie sera très faible : le virus est déjà dans nos frontières et c'est sa circulation qu'il faut stopper. La seule mesure qui pourrait avoir un (très léger) impact serait la fermeture des centres commerciaux non alimentaires de plus de 20 000 mètres carrés. Mais est-ce suffisant pour faire redescendre les courbes ? Déjà, l'organisation professionnelle des centres commerciaux a protesté : pourquoi eux ? Chaque mesure est arbitraire et ceux qui sont touchés trouvent injuste ce genre de mesure de fermeture (restaurants, remontées mécaniques, théâtres, cinémas, etc.).
La décision, provisoire, insistons sur cet aspect, est donc plus que décevante. Tous les médecins hospitaliers le disent depuis le début du mois de janvier 2021 : la situation est mauvaise, c'est un "faux plateau" (Olivier Véran la veille avait parlé d'un "plateau montant" ce qui est un oxymore : c'est soit stable soit en hausse, pas les deux à la fois). Au 29 janvier 2021, il y a 3 130 personnes malades en réanimation, soit 271 nouvelles entrées, 27 308 personnes hospitalisées, soit 1 820 nouvelles entrées, cela monte rapidement. Le nombre de décès aussi, il y a environ 500 décès par jour (820 le 29 janvier 2021, mais en prenant en compte les décès dans les EHPAD qui ne sont comptabilisés que deux fois par semaine). En tout, il y a eu 75 620 décès dus au covid-19 en France depuis le début de la pandémie.
Certes, il y a eu une bonne nouvelle : on s'attendait à un pic épidémique après les fêtes de fin d'année et cela n'a pas été le cas grâce à la grande prudence des Français. La montée est réelle mais lente et pas (encore) exponentielle. Le problème, c'est qu'en cas de pic épidémique, on partira de très haut et pas de zéro comme en mars 2020.
C'est sûr que la décision est douloureuse à prendre, mais un troisième confinement est inéluctable. Plus il commence tôt dans la montée, plus il sera court. Plus on attend, plus il sera long. C'est assez inexplicable qu'on n'ait donc pas pris la bonne décision dès maintenant. De quoi a-t-on peur ? De "l'opinion publique" ? Les sondages disent en gros que la moitié des Français serait d'accord avec un troisième confinement (l'autre moitié pas d'accord), donc, dans tous les cas, la décision sera critiquée, contestée. En revanche, les sondages disent qu'environ 95% des Français seraient prêts à accepter ce troisième confinement, c'est-à-dire le respecteraient, même s'ils ne l'approuvaient pas.
Plus on attend, moins on en aura "fini", du moins pour cette troisième vague. Sans compter que les variants sont "dangereux", pas seulement les variants anglais et sud-africains, mais d'autres, peut-être un "variant français" (on parle aussi du variant brésilien qui fait de gros dégâts dans certaines zones urbaines du Brésil, et plus récemment du variant californien) : plus le virus circule, plus il mute, il y a donc une véritable course de vitesse. Plus on attend le confinement, plus l'économie et le moral des Français en pâtiront car on restera dans une sorte de situation entre-deux, mi-confiné (le soir, pour les sorties culturelles, amicales) et mi-libre. Faire tout à moitié n'est pas une solution efficace.
Temporiser ? Reculer pour mieux sauter ? Attendre le début des vacances de février pour commencer le troisième confinement sans fermer les écoles mais en prolongeant les vacances ? La suite est hélas connue. Dans quelques jours, le gouvernement sera obligé de réviser sa stratégie et devra prendre des mesures plus fortes.
Insistons aussi sur le fait qu'on aura beau investir dans le système de santé, dans le personnel soignant, dans les services de réanimation, cela ne changerait rien au problème. Cela donnerait moins de tension aux soignants mais sur le plan éthique, cela ne changera rien car un tiers des patients en réanimation n'en sort pas vivant. À ce rythme-là, dans cent jours (mi-mai 2021), sans nouveau pic épidémique, il y aurait 50 000 décès de plus, soit un total de 125 000... Ce qu'il faut, ce n'est pas augmenter les capacités en réanimation. Ce qu'il faut de toute urgence, c'est réduire au maximum le nombre des entrées.
Certains pensent aussi que le gouvernement cherche à temporiser pour avoir le temps de vacciner le plus de personnes possible. C'est un contresens. Il n'y a absolument aucune relation entre la situation sanitaire d'aujourd'hui et la campagne actuelle de vaccination. L'objectif de cette campagne de vaccination, ce serait plutôt d'empêcher un reconfinement en septembre ou octobre 2021, certainement pas en février ou mars 2021. Pour qu'il y ait un impact sur la situation épidémique, il faut qu'il y ait au moins 80% des personnes vulnérables vaccinées (pour éviter la saturation dans les hôpitaux et réduire la mortalité) et pour freiner la circulation du virus, il faudrait vacciner 80% de la population totale, on en est loin !
Cependant, l'objectif du gouvernement présenté lors du débat parlementaire du 16 décembre 2020 a été largement dépassé : à la fin du mois de janvier 2021, avoir vacciné 1 million de personnes. Au 29 janvier 2021, 1 447 155 personnes ont reçu une première dose et au moins 24 201 une seconde dose. J'applaudis d'ailleurs la décision du gouvernement de continuer à suivre scrupuleusement le protocole avec deux doses, afin de préserver la sécurité de la protection vaccinale malgré les grandes tentations de vouloir faire du nombre (surtout avec les problèmes actuels d'approvisionnement), au risque de ne protéger personne.
Chaque jour, il y a entre 20 000 et 25 000 nouveaux cas de contamination détectés. La proportion du variant anglais est passée de 1,4% à 9% en deux semaines, c'est très rapide. Le taux de reproduction effectif était de 1,1 le 23 janvier 2021 (dernier calcul disponible). Tant qu'il n'est pas inférieur à 1, l'épidémie ne peut qu'empirer. Des quelques nouvelles mesures proposées, aucune ne semble permettre de réduire ce taux de reproduction effectif.
La déclaration de Jean Castex a peut-être permis de réduire la pression qui pesait sur Emmanuel Macron, mais seulement momentanément ; un nouveau rendez-vous est déjà pris avant à la fin de la semaine prochaine. Et il faudra alors prendre la décision qui s'impose. Le courage, c'est d'anticiper, jamais de fuir en avant. Je le rappelle, il est question ici de plusieurs dizaines de milliers de vies humaines. Là est la solidarité.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 janvier 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Procrastination ?
Conférence de presse du Premier Ministre Jean Castex le 29 janvier 2021 à l'Élysée, sur les nouvelles mesures sanitaires contre le covid-19 (texte intégral ).
Faut-il confiner seulement les personnes âgées ?
Katalin Kariko.
Li Wenliang.
Karine Lacombe.
Claude Huriet.
Didier Raoult.
Agnès Buzyn.
Pandémie de covid-19 : plus de 2 millions de décès et une poignée de néo-négationnistes.
Covid-19 : faut-il rapidement un troisième confinement ?
7 questions sur les vaccins contre le covid-19.
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Les messes à l'épreuve du covid-19.
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Covid-19 : faut-il rendre contraignant l'isolement des personnes contaminées ?
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 24 novembre 2020 (texte intégral et vidéo).
Le calendrier de l'Avent du Président Macron.
Covid-19 : vaccins et informations parcellaires.
La lune de Jupiter.
Faudra-t-il rendre obligatoire le futur vaccin contre le covid-19 ?
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210129-castex.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/procrastination-230596
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/01/29/38787104.html