Nous avons tous peur, c'est intrinsèque, viscéral, puissant, imparable. La peur fait de nous qui nous sommes, toutes nos réactions sont construites à partir d'elle. Pour Alex, la pire de toutes était l'abandon, la négation d'une existence sans but. Plus de parents, élevée par un psychopathe manipulateur qui allait faire d'elle le monstre qu'il espérait utiliser dans ses plans machiavéliques.
Au fil des jours, elle s'était blindée, avait construit, morceau d'acier après morceau d'acier, une armure à toutes épreuves. Inutile de s'encombrer de sentiments, d'amour ou d'émotions. ça c'était pour les faibles. Tout au moins le pensait-elle. Mais ses cauchemars de saut dans le vide, de défenestration, continuaient à la hanter. Le sang répandu, à tapisser ses rêves, elle avait perdu le sens du bien et du mal, si toutefois cette notion existait encore.
Sin City, Eva Green
Une magnifique cuirasse étincelante qui la rendrait inaccessible. Des idées de vengeance sauvages lui barricadait l'esprit. La question qu'elle se posait à ce moment précis face à une mer houleuse, la question qui la hantait tous les jours était juste, comment? Comment allait-elle savoir qui serait sa première cible?
Les yeux posés derrière l'horizon, elle se laissait aller à un songe, le jour de sa libération, rester là, face à l'immensité, dans cet appartement vénitien, acquis à la sueur de son front. Elle devisait façon Descartes, mais comme le tueur de "Collatéral" ou encore comme Denzel Washington, dans "Equalizer". Analyser la situation, repérer les cibles avant d'atteindre la principale. Evaluer les dangers et les armes à sa disposition, compter les secondes nécessaires pour accomplir efficacement la dernière mission qu'elle s'était attribuée.
Ou plutôt, les deux missions. L'officielle et la souterraine, celle qui consistait à éliminer, un homme d'affaires encombrant, celle d'éliminer Pierre, celui qu'elle avait pris pour un père de substitution, mais qui s'avérait maintenant, être la cause de cette vie perdue, l'origine de la poupée tueuse qu'elle était devenue, un être dont la conscience avait été souillée à jamais. Une femme qui ne pourrait jamais en être une, totalement, complètement. Elle ne pouvait plus être de cette veine. Un peu comme Logan après son traitement à l'adamantium.
Son cerveau établissait déjà le processus d'exécution, déformation professionnelle. Un rictus déformait son si joli visage. Elle ouvrit en grand la fenêtre coulissante donnant sur sa terrasse, sur cette vue magnifique qui pour l'instant ne la consolait pas du tout. Elle étendit les bras et se mit à respirer en cadence. Inspire l'iode, expire la haine. Il fallait qu'elle se débarrasse de cette détestation, celle qui rongeait ses tripes et la transformait petit à petit en animal. Action , réaction, réflexion. Il fallait reprendre le pouvoir, se calmer, réfléchir, échafauder, planifier et terminer avant que l'ennemi ne s'aperçoive de quoi que ce soit. La rapidité était primordiale.
Petit à petit, l'air marin, ce vent qui effleurait sa peau, la calmait. Elle entra de nouveau dans son petit "palazzio" perso. Prit son portable et s'installa dans le divan moelleux. Que la guerre commence!