Un article du Courrier de la Rochelle du 2 février 1908
Vieilles traditions. — La Chandeleur à la campagne. — Les crêpes de la Chandeleur. - Les fiançailles des oiseaux. — La neuvaine de la Chandeleur.2 février, jour de la Purification, on fêtera païennement la Chandeleur, dans les campagnes françaises.La Chandeleur ! Le nom est joli ; il évoque la vision des processions d’autrefois que suivait la foule, un cierge allumé (candela) à la main. Il rappelle, par association d’idées, bien de ces vieilles coutumes, touchantes dans leur archaïsme, qui tendent de plus en plus à s’effacer, mais dont je souvenir, cependant, jette encore, dans l'uniforme banalité de la vie moderne, un peu de cette poésie charmante qui, au temps jadis, coupait, comme de relais pittoresques, les phases de l’année par ailleurs misérablement vécue.Comme beaucoup d’autres fêtes religieuses, la Chandeleur, ou fête de là Purification, n’est qu’une adaptation chrétienne d’une fête païenne et le paysan de France, qui bat sa farine pour en faire des crêpes, ne se doute certainement pas que, à l’exemple de tel ancêtre anonyme, perdu dans la nuit des temps, il rend hommage à Cérès, la déesse du blé.La tradition de la Chandeleur, qui était autrefois fête chômée, quelque jour qu’elle tombât, s’est, sauf peut-être en Bretagne, peu à peu perdue dans nos villes où il n’en reste guère que la présentation des tout petits enfants à l’église pour la cérémonie de la Purification.En Italie, en Espagne, en Portugal, elle est toujours l’occasion d’une grande fête, mi-religieuse, mi-profane.Dans nos campagnes, en tous cas, là Chandeleur reste une grande date agricole coïncidant avec la reprise des travaux des champs et marquée, dans l’esprit populaire, par une foule de proverbes et de dictons dont quelques-uns sont très anciens et qui varient de province à province. Le travail agricole recommençant et le temps des semailles approchant, ce que le paysan redoute le plus, c’est un retour offensif ou une prolongation de l’hiver :A la ChandeleurL'hiver se passe ou prend rigueur.dit-on un peu partout, tandis qu’en Anjou on traduit plus poétiquement là même appréhension :J’ouïs le paresseux hiver Lequel disait au laboureur :Je ne manquerai pas d’arriver Au plus tôt à la Chandeleur.Le bon bourgeois de Paris, Sébastien Mercier, écrivait, à la fin du XVIIIe siècle, en son Tableau, à propos du gâteau des Rois : « Toute fête fondée sur le bâfre doit être immortelle. » C’est pourquoi sans doute la coutume de faire des crêpes à son occasion a sauvé la Chandeleur de la désuétude. Dans maintes campagnes on croit encore, dur comme fer, que la ferme où l’on ne fait pas de crêpes ou bien où elles n’ont pas réussi doit voir fatalement le blé de ses champs se carier, l’été venu. À la ville même, dans les patriarcales familles, on fait les crêpes à la Chandeleur. Chacun prend, à son tour, la queue de la poêle, celui qui a retourné correctement sa crêpe et a lance ensuite d’une main sûre pour la recevoir avec adresse dans le beurre bouillant, peut compter sur dit bonheur pour toute l’année. Quant au maladroit qui la laisse retomber sur la plaque du fourneau sous la forme d’un chiffon fripé, il peut s'attendre à toutes les avanies du sort jusqu’à la revanche de la Chandeleur suivante. Il y a même des crêpes historiques. À la Chandeleur de 1812, Napoléon s’était échappé des Tuileries pour aller à la Malmaison rendre à l’impératrice une de ces visites impromptues où les deux époux divorcés trouvaient encore quelque joie. On fit des crêpes. Or, le grand Empereur, superstitieux comme tout bon Corse et comme la plupart des grands joueurs de dés devant l’Eternel, croyait aux présages des crêpes. Une, deux, trois crêpes roussies ! Autant d’heureux présages pour les débuts de cette campagne de Russie qu’il achevait de préparer. Mais, patatras ! la quatrième tombe lamentablement sur la tôle rougie et s’y calcine. Savoir si Napoléon, en face de l’incendie de Moscou, ne songea pas involontairement à la crêpe calcinée de la Malmaison !Une bien jolie légende se répète encore à la veillée dans les villages des bords du Rhône et du Midi gascon, c’est celle des fiançailles des oiseaux à la Chandeleur.Sortez dans la Campagne, le 2 février, et vous ne manquerez pas de voir, au besoin avec les yeux de la foi, les vols d’oiseaux passer et repasser éperdus, s’évitant, se cherchant, s’appelant, piaillant d’allégresse. C’est un ébattement ailé et gazouillé qui dure jusqu’au crépuscule. Mais, le soleil disparaissant à l’horizon, en silence, deux par deux, les oiseaux se retirent vers les arbres et vers les buissons pour la nichée des fiançailles. Que si cependant un malchanceux n’a pas trouvé l’oiselle de ses rêvés, il en prend aisément son parti et entre hardiment en ménage dans le premier nid venu. Nid à trois ! C’est admis dans le monde... des oiseaux.Il n’y a pas que les oiseaux qui rêvent de fiançailles à la Chandeleur, les jeunes filles en rêvent aussi et nombreuses encore sont celles, les croyantes, qui s’en vont, à partir du 25 janvier, tous les soirs à l’église, faire, à la chapelle de la Vierge, la neuvaine de la Chandeleur. Mais, hélas ! que de déboires souvent dont sainte Catherine aura plus tard là confidence !A la Chandeleur Grande douleur !Marcel FRANCE