Roman - 160 pages
Editions Denoël - janvier 2021
Suzanne, jeune femme célibataire, travaille dans un bar et retrouve chaque soirs ses amis, autour d'un verre, rapidement suivi d'autres... Comme attirée, dangereusement aimantée par l'alcool, elle noie chaque jour sa solitude, et sa colère que lui procure le monde qui l'entoure, et sa jalousie. Des hommes traversent sa vie, assouvissent ses désirs d'une nuit, tandis que Suze rêve toujours du grand amour.
La vie consommée est un roman qui nous catapulte dans le déséquilibre, l'ivresse d'un tourbillon assez désespérant qui s'est emparée de la vie de Suzanne. Ce roman met en lumière un mal-être très contemporain, la douloureuse solitude dont peuvent souffrir des personnes très entourée et insérées socialement, libres et riches de nombreuses amitiés. Mais ces êtres évoluent dans des fuites en avant et recherchent toujours l'évasion spiritueuse.
Extrait :
"J'ai eu beau essayer - et renverser ma bière sur mon tee-shirt des dizaines de fois-, j'ai vite abandonné l'idée de devenir un jour comme elles. Je vide les verres dans l'espoir de m'annuler. Tout s'enchaîne, les gens, la bière, je ne suis même plus sûre de boire dans ma pinte, j'avale quelques cacahouètes par-ci par-là tandis que les autres commandent des croque-monsieur, mais moi je ne peux pas, je n'ai jamais pu manger et boire, c'est un choix à faire, et à choisir je préfère boire. J'enquille bière sur bière, je me raccroche au bras de Charlotte, Suze, tu devrais ralentir, t'as les yeux qui louchent, je lui réponds avec mon majeur bien levé et je l'entends soupirer, alors je me mets à la détester et je me tourne vers l'inconnu à ma droite. Je tente un sourire ridicule, le mec se penche sur mon oreille et la violence reprend le dessus, et très vite je sors du bar à ma manière, sans dire au revoir à personne. C'est moi que je déteste maintenant, pour cette vie insignifiante, pour ces écarts si souvent répétés que ça en devient une manière d'exister et de faire. Dehors on suffoque. J'ai envie de crever, de tout envoyer valser. L'impression qu'on est cent à se serrer autour de moi, mais on aurait beau être cent deux, je serais toujours aussi seule."
Comme un être estropié, elle chute souvent, boîte allègrement, choque des obstacles, et se relève, toujours, quoiqu'il en coûte et quelles qu'en soient les douleurs, elle se relève. A de rares moments, sa colère, sa rage s'éteignent. Elle arrête de jalouser tout le monde, et se supporte elle-même ; elle ose vivre apaisée avec un autre à ses côté. Pour un temps, jusqu'à sa disparition, et l'apparition d'un prochain homme sur lequel elle viendra s'échouer.
Ce récit donne parfois le tournis, presque la nausée, tant le rythme est soutenu dans cette déperdition consentie. L'écriture est maîtrisée, et même si les personnages restent assez impersonnels. J'ai parfois vu dans ce personnage désabusé, conservant avec difficultés un rapport aux autres, cachant difficilement toute sa colère pour la médiocrité environnante, son aversion pour la plupart des jours qui se lèvent sur Paris, comme le pendant féminin du Vernon Subutex de Virginie Despentes, Un premier roman prometteur.