Carnet / Ah, la bonne ou la mauvaise littérature !

Publié le 29 janvier 2021 par Christian Cottet-Emard

Chaque fois qu’on parle de livre et de « création » littéraire, (j’emploie les guillemets pour création car je ne crois en aucune création — mais il faut bien employer une convention de langage pour désigner cette production de l’esprit) la question du bon et du mauvais finit toujours par polluer le débat. Il faudrait pourtant aborder le sujet sous un autre angle.

Au lieu de s’enliser dans des critères totalement subjectifs visant à désigner ce que serait un bon livre ou un mauvais, mieux vaudrait établir la distinction entre un produit et ce qui n'en est pas un. Là encore, il est préférable de veiller à conserver une certaine flexibilité de jugement car un produit n’est pas forcément de mauvaise qualité. Reconnaissons tout de même qu’un livre qui est un produit a beaucoup moins de chance d’être bon qu’un autre parce qu’il est écrit et publié pour d’autres raisons que celles relevant de la seule motivation littéraire de l’auteur.

J’ai lu récemment un article du Figaro littéraire signé Mohammed Aïssaoui sur Les dix auteurs français qui ont vendu le plus en 2020. Il s’agit du palmarès du Figaro et de l’Institut GFK qui analyse le marché de l’édition et établit chaque semaine le classement des meilleures ventes (sources : Figaro littéraire du jeudi 21 janvier 2021).

On y retrouve dix auteurs que je n’ai jamais lu (je n’ai donc rien de négatif ou de positif à dire sur eux) et leurs chiffres de vente : Guillaume Musso, Virginie Grimaldi, Michel Bussi, Franck Thilliez, Joël Dicker, Marc Levy, Bernard Minier, Aurélie Valognes, Marie-Bernadette Dupuy et Agnès Martin-Lugand. On parle ici de chiffres de vente compris entre 1 509 662 exemplaires (Guillaume Musso, n°1 du classement) et 565 392 exemplaires (Agnès Martin-Lugand, n°10).

Ce classement, nous dit l’auteur, « est une photographie réelle de ce que les Français achètent vraiment. »

J’ai particulièrement retenu quelques lignes de cet article : « ... l’édition de poche et un important travail marketing sont des conditions nécessaires pour pérenniser sa place dans ce palmarès : l’auteur doit publier régulièrement (une fois par an pour la plupart) — c’est moi qui souligne — et ses livres doivent être disponibles en petit format, histoire de créer un cercle vertueux, chaque succès du grand format relançant le petit. »

Je crois que nous touchons là à un des grands maux de l’édition, l’obligation pour des auteurs de publier régulièrement, une fois par an, dans le souci et celui de leurs éditeurs d’occuper le terrain en permanence. Cette fuite en avant ne concerne bien sûr pas que les best-sellers que je viens de citer et sur lesquels, je le répète, je ne porte pas de jugement parce que je ne les ai pas lus.

Pour évoquer des auteurs que j’ai lus ou commencé de lire avant que leurs livres ne me tombent des mains (il serait trop long de citer des noms !), je constate comme beaucoup de lecteurs que chaque rentrée littéraire connaît une inflation d’ouvrages écrits à la va-vite dans le seul but d’honorer des contrats et de ne jamais quitter l’espace médiatique.

Comment peut-on croire, lorsqu’on connaît l’intensité de travail requise pour s’appliquer à un roman, que les livres écrits et publiés sous cette pression de la régularité de publication puissent être autre chose que des produits (comme, du reste, leurs auteurs) ?

C’est à mon avis un critère d’évaluation, de choix et, assumons le mot, de jugement, qui me paraît plus fiable et plus objectif que celui de la bonne ou de la mauvaise littérature.

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