Quand le Forum Économique Mondial (devenu un Davos virtuel, cette année) se penche sur le cas des cryptomonnaies, le gouverneur de la Banque d'Angleterre estime que leurs incarnations actuelles « ne tiendront pas la distance ». Et, n'en déplaise aux intégristes du domaine, les arguments en faveur de sa position sont nombreux.
Il est parfaitement possible d'être (comme moi) conquis par le principe du bitcoin (et de certains de ses dérivés) tout en restant lucide sur ses limitations, beaucoup trop nombreuses et profondes pour continuer à nier la réalité, aussi douloureuse soit-elle à accepter : ce n'est probablement pas cette première génération d'instruments qui parviendra à nous défaire, même à long terme, des monnaies historiques et de leurs propres défauts, pourtant criants dans le monde « digital » contemporain.
Dans sa déclaration, Andrew Bailey semble s'arrêter uniquement à la problématique de la volatilité des cryptoactifs. En cette période qui voit notamment le bitcoin jouer les yoyos (entre 24 000 et 33 000 euros depuis le début du mois), il n'est certes pas inutile de rappeler qu'une devise ne peut s'imposer dans les échanges économiques que si sa stabilité est suffisante pour que les acteurs qui l'adoptent aient confiance dans sa valeur (et sa pérennité). Cette règle n'a pas attendu l'ère numérique pour être démontrée…
Mais des faiblesses plus sérieuses s'ajoutent à celle-ci pour écarter quasiment toute possibilité de faire des cryptomonnaies autre chose que des supports de spéculation financière. Je ne reviendrai pas sur la question de la consommation énergétique du minage, conséquence inévitable du remplacement du tiers de confiance par un algorithme, mais dont les réactions au précédent article que j'ai publié sur le sujet ont montré que beaucoup préféraient l'ignorer (ou le relativiser, ce qui revient au même).
Arrêtons-nous plutôt sur le temps nécessaire à la validation des transactions (d'une vingtaine de minutes en théorie à plusieurs heures en pratique, selon les périodes), résolument incompatible avec un moyen de paiement du quotidien, pour lequel les consommateurs exigent désormais l'immédiateté. Après tout, celle-ci leur est même proposée maintenant pour leurs virements interbancaires, ce serait un comble si les monnaies nativement « digitales » n'offraient pas le même niveau de performance !
Handicap supplémentaire à souligner, le coût unitaire d'enregistrement des opérations, qui devient progressivement le mode de rémunération principal des mineurs (et compense donc, entre autres, l'énergie consommée afin d'assurer le fonctionnement du système), est en hausse constante et atteint des valeurs qui ne sont, là encore, pas cohérentes avec un usage généralisé dans des échanges économiques courants et, en tout état de cause, largement supérieures à celles en vigueur sur les réseaux traditionnels.
Or un outil qui ne peut raisonnablement être exploité comme intermédiaire dans les transactions commerciales ne peut pas être qualifié de monnaie. Naturellement, ces obstacles ont toujours existé. Ils faisaient partie des conditions expérimentales, qu'il est indispensable de dépasser avant d'envisager une généralisation. Hélas, les réponses élaborées pour l'instant (étrangement similaires à l'adossement d'antan des devises à une réserve d'or) ont souvent tendance à dénaturer les concepts fondamentaux.
En conclusion, les monnaies virtuelles disponibles aujourd'hui ne sont effectivement pas mûres pour un déploiement d'ampleur et des évolutions radicales seront nécessaires avant de renverser la situation. Rien ne prouve que les tentatives des banques centrales, qui ne résolvent, au mieux, que les risques de volatilité, réussiront mieux. En outre, comme le souligne Andrew Bailey, d'autres considérations essentielles, dont les enjeux de protection de la vie privée, oubliées jusqu'à présent, devront aussi être abordées…