Un chanteur que j’apprécie beaucoup, non seulement pour ses talents d’auteur-compositeur-interprète, mais aussi pour ses qualités d’être humain, s’apprête à sortir l’enregistrement, en version voix-guitare, d’environ 80 chansons. Nicolas Peyrac (pour ne pas le nommer) a profité du confinement pour ressortir des placards des chansons déjà enregistrées, parfois il y a longtemps, et les a gravées dans la mémoire de son iPhone, en les partageant sur les réseaux sociaux, pour le plus grand plaisir de nombreux passionnés. La matière et la demande étaient là. Il suffisait de mastériser les morceaux et de les mettre sur… un clé USB style carte de banque. C’est là que ma réflexion commence.
Suivant l’annonce de la nouvelle sur sa page, un commentaire est apparu : « Ça me désole que l'on arrive à ces supports qui ne ressemblent à rien, mais il faut vivre avec son temps, adieu Cd, vinyles… ». Je respecte complètement cet avis, mais j’avoue qu’il ne me concerne plus du tout. Il y a longtemps que je n’écoute plus de la musique qu’à travers les fichiers contenus dans mon iPod. Celui-ci contient aujourd’hui plus de 30 000 morceaux, écoutés systématiquement selon une méthode aléatoire qui m’est propre et qui a évolué depuis 2007. La musique – celle que j’écoute du moins, à l’inverse de celle que je joue – n’a pour moi plus rien de matériel. Seule elle m’importe, dans sa musicalité.
Cette dématérialisation ne concerne pas que la musique. J’avoue ne plus être fort intéressé par tout ce qui est matériel : les cadeaux, les voitures, les appareils de toute sorte… tout en appréciant bien sûr l’intention derrière les cadeaux, les déplacements derrière les voitures, les services rendus par les appareils de toute sorte… Il y a aussi un certain temps que je n’utilise plus d’argent liquide, ayant toute confiance dans l’argent électronique, y compris « sans contact ». Ces périodes de confinement m’auront aussi permis d’apprécier les relations virtuelles. Elles ne remplacent bien sûr pas un bon contact direct et physique, mais elles offrent des possibilités parfois magiques d’être en contact lorsque les circonstances matérielles ne le permettraient pas en temps normal, avec aussi de nombreux gains en termes de temps et de déplacement.
Finalement, il y a deux grands domaines où la matérialité des choses m’intéresse encore au plus haut point : avant tout, bien sûr, la nourriture et la boisson. J’imagine bien que celles-ci auront également des développements immatériels, mais en attendant j’en jouis à juste titre. Le deuxième domaine concerne les livres, en particulier les bandes dessinées. Les moyens de lecture virtuels existent, mais ils ne m’intéressent pas du tout. Je lis bien sûr énormément d’informations virtuelles, mais je n’imagine pas un seul instant lire une BD sur un écran quelconque. Non, là, il me faut l’objet bien en mains, le sentir, le toucher, le caresser, en tourner les pages en m’imprégnant de leur grammage ou de leur finition…
Tout cela pour dire – comme Philibert-Joseph Le Roux – qu’au bout du compte, tous les goûts – virtuels ou non – sont dans la nature. Il n’est pas toujours facile de comprendre pourquoi l’autre ne ressent pas la même chose, s’attache à des éléments différents, vit autrement le même événement. N’est-ce pas en fait juste le résultat de différences purement… virtuelles ?