" Les historiens avaient inventé des expressions pour classer les époques de l'humanité ; l'âge de la pierre, l'âge du fer, l'âge du bronze s'étaient succédé, puis les âges antiques et féodaux. Ces temps là étaient des temps immobiles. Notre époque consacrait soudain un "âge du flux". Les avions croisaient, les cargos voguaient, les particules de plastique flottaient dans l'océan. La moindre brosse à dents faisait le tour du monde, les petits normands partaient au djihad pour poster des vidéos sur YouTube. Les hommes dansaient sur l'échiquier. Ce tournis avait même été érigé en dogme. Une culture se devait à la circulation et aux contacts si elle voulait une chance de se voir célébrée. L'ode à la "diversité", à"l'échange", à la "communication des univers" était le nouveau catéchisme des professionnels de la production culturelle en Europe.
La crise de Parkinson de l"Histoire portait le nom de mondialisation. La traduction de ce phénomène dans nos vies quotidiennes mettait à notre disposition des fruits et légumes tropicaux dans l'épicerie la plus modeste d'une campagne en marge. Une question venait alors : Pourquoi n'acceptait-on pas qu'un voleur se pommes s'introduise dans un verger et pourquoi permettait-on à une mangue du Brésil de trôner dans une épicerie de l'Ardèche ? Où commençait l'infraction ? "
Sylvain Tesson : extraits de " Sur les chemins noirs" Gallimard, 2016 Du même auteur, dans Le Lecturamak :