En seulement 8 mois (entre mai 2020 et janvier 2021), le groupe franco-britannique a enregistré trois décès suite à des accidents de travail pourtant évitables.
Adrien broche, l’actuel directeur général, bat tous les records d’insécurité au travail de l’histoire du pétrolier français. «Malgré une année 2020 qui reste, compte tenu des circonstances, tout simplement extraordinaires, on ne peut cacher un bilan QHSE inacceptable. Cette année restera marquée par deux tragiques accidents qui nous ont laissés endeuillés. Le souvenir de nos collègues nous oblige à tout mettre en œuvre pour éviter que cela ne se reproduise.» Ainsi s’exprimait, dans son message de Nouvel An le 3 janvier dernier, le président du groupe Perenco, François Perrodo, s’adressant à son personnel.
Le chairman du groupe avait à peine tourné le dos qu’on annonçait un autre décès, survenu le 8 janvier 2021, celui de Thierry Petizon, citoyen français de 66 ans accidenté sur le champ de Sanaga. Il y était pour le compte Terem International, sous-traitant de Perenco. Avant lui, Jean Paul Kamdem, 58 ans, super intendant Production, employé depuis le 15 octobre 1984, avait laissé sa vie sur la plateforme KG Gas le 13 mai 2020. Et le 23 novembre 2020 lors des opérations de forage sur le Puits Tiko 05, c’est Hubert Chazarenc, assistant Driller, qui l’a suivi après une chute de 13,5 m.
Ces trois accidents mortels en l’espace de 8 mois auraient pu être évités si toutes les précautions de sécurité avaient été observées. C’est d’ailleurs ce que pense le top management de Perenco, ainsi que le relevait Adrien Broche lui-même suite au décès de Thierry Petizon à l’aube de 2021, essayant de booster le moral de ses troupes, plongées depuis lors dans une sorte de psychose généralisée, comme traquées par la mort :
«Ce nouvel incident ne doit pas nous faire douter quant à notre capacité à opérer sur nos installations en toute sécurité. Mais, il nous rappelle encore une fois que la vigilance de tous et le respect de nos règles HSE sont primordiaux pour éviter ces tragiques accidents totalement inacceptables».
L’ombre de la mort plane sur les plateformes
Rien de plus qu’une simple déclamation. Certes, nouvellement arrivé, et faisant le constat selon lequel plus de 60% des incidents sur les sites de production «sont dus au facteur humain», il avait réorganisé la Direction QHSE (Qualité, hygiène, sécurité, environnement), mais les résultats ne sont pas terribles. Les promesses d’un «regard neuf sur chaque site afin de casser l’habitude du danger» et les autres réaménagements semblent plutôt avoir renforcé les fréquences d’accidents… mortels.
En tout cas, des résultats peu probants pour sortir les employés de leur morgue, convaincus qu’ils sont que ces accidents, et les décès qui en découlent, étaient évitables. D’ailleurs, le président du groupe ne pense pas autre chose lorsqu’il déclare : «Le souvenir de nos collègues nous oblige à tout mettre en œuvre pour éviter que cela ne se reproduise.» Il n’a pas mis des gants pour indiquer que tout n’a pas été fait pour éviter de tels accidents tragiques, pointant d’ailleurs du doigt la direction QHSE dont «on ne peut cacher le bilan inacceptable».
Sachant que les rapports sur ces accidents sont secrets, la majorité du personnel en est réduit à spéculer, pensant que les victimes d’accidents ont été sacrifiées à l’autel de la négligence. Et les regrets du bout des lèvres de leur patron n’y changent rien. Ils savent que la vie du personnel, en l’occurrence le personnel camerounais, compte pour du beurre. Pendant combien de temps la mort va-t-elle continuer de taper dans le tas sous le regard impuissant des employés qui tremblent en attendant peut-être leur tour ?
C’est peu de dire que la peur a gagné les esprits, non seulement chez les employés qui exercent sur les plateformes, mais aussi chez les employés de bureau. Tous redoutent qu’à ce rythme, les accidents s’enchaînent et occasionnent la mort de nombreux collègues. Notamment les employés exerçant sur les plateformes qui craignent pour leurs vies. «On ne doit pas perdre sa vie en voulant la gagner». Ce credo en matière de QSHE de toute entreprise moderne qui se respecte ne semble plus de mise à Perenco. Du moins, ils ne le perçoivent plus clairement. Comment peut-on travailler sereinement alors que la mort rode partout ? Telle est la lancinante question qui tourmente les employés de Perenco Cameroun.
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Des économies sur le dos des morts
Des sources internes témoignant sous anonymat indiquent que c’est la première fois qu’un ratio d’accidents mortels aussi élevé est enregistré dans les annales de cette entreprise. L’angoisse y est d’autant plus grandissante qu’une sorte d’omerta a été établie sur les rapports d’accidents, lequel alimente les supputations. Beaucoup pensent que les communiqués laconiques pour annoncer et déplorer – du bout des lèvres – la mort des collègues en promettant que «toutes les parties prenantes sauront en tirer toutes les conséquences» cachent mal la volonté de la direction de maquiller la responsabilité de l’entreprise dans ces pertes répétitives de vies humaines.
Car la prise en charge des obsèques et le paiement des droits changent du tout au tout selon que l’entreprise ait été reconnue responsable ou non. Jusqu’ici, la prise en charge des obsèques des disparus a laissé comprendre que dans aucun des cas, la responsabilité de l’entreprise n’était engagée. On veut bien le croire. Sauf qu’une opacité digne des services secrets soviétiques enveloppe les rapports d’accidents. Questions : pourquoi cache-t-on les rapports ? Quelles sont les conclusions des enquêtes diligentées à chaque fois par les services compétents ? Silence radio dans un cas comme dans l’autre. Quelqu’un disait que ce sont les mauvais élèves qui cachent leurs cahiers.
Du coup, un vent de suspicion souffle sur la prise en charge des obsèques et le règlement des droits des disparus. Forcément. Quelle que soit l’enveloppe, les sommes décaissées dans ce registre ne représenteront jamais que des cacahuètes pour Perenco. Surtout si elle s’arrange à ne payer que ce qu’elle a envie de payer. D’ailleurs, Perenco avait pris ses précautions en amont depuis longtemps, en accordant à la charge salariale un pourcentage plus que dérisoire, réservant la part du lion aux expatriés Blancs qui ne sont qu’une poignée. Mais, ceci est un autre débat.
Au vu donc des manœuvres souterraines caractéristiques des boulimies du capitalisme sauvage pratiquées ici, on constate que les employés de Perenco travaillent. et meurent pour des prunes. Des gymnastiques qui ont gravement dégradé le climat social. Un malaise que la direction générale pourrait éviter en s’assurant une meilleure efficacité de sa politique QHSE et une meilleure justice sociale. La gravité de la situation est telle que le QHSE Manager du groupe, Eric d’Argentré, est annoncé à Douala la semaine prochaine. Eric d’Argentré, qui n’est autre que l’ancien Dg de la filiale Cameroun, conduira une forte délégation commise pour auditer les pratiques et procédures de sécurité de l’actuel Dg. Les deux personnalités entretiennent depuis des lustres des rapports des plus tendus. De l’eau dans le gaz en téléchargement.
Trois morts de trop sur le carreau !
13 mai 2020, Jean Paul Kamdem, 58 ans, superintendant Production, décède suite à un accident sur la plateforme KG Gas, le caillebotis ayant lâché sous ses pieds alors qu’il marchait ; 23 novembre 2020, c’est au tour d’Hubert Chazarenc, assistant Driller de passer de vie à trépas après une chute de 13,5 m sur le Puits Tiko 05 au cours des opérations de forage, toujours suite à un lâchage de caillebotis. Tout juste six mois après le premier accident mortel de l’ère Broche.
Les employés s’étaient à peine remis de leurs émotions. Surtout après une année 2020 traumatisante au cours de laquelle l’un des leurs, Martin Njona, a été emporté par la Covid-19. Et ce n’était pas fini ! Au lendemain de Nouvel An, le 8 janvier 2021, Thierry Petizon, expatrié français de 66 ans, laisse lui aussi sa vie sur le champ de Sanaga lorsqu’une charge de plusieurs tonnes s’étant détachée d’une grue s’est écrasée sur sa poitrine ! Il est plus que temps d’arrêter la psychose. Affaire à suivre !