Un article du Petit écho de la mode(mars 1923), signé Renée d'Anjou, évoque les Bohémiens et leurs prédictions. Je reproduis ici le passage consacré aux prédictions qu'une bohémienne aurait faite à trois jeunes filles qui la rencontrèrent près du château familial de Possenhofen.
[...] On raconte beaucoup d'histoires de prédictions faites par les bohémiennes et plusieurs réalisées ; en voici une tout à fait authentique et que nous trouvons dans la Vie de la duchesse d'Alençon. Un jour, vers le temps du mariage de la princesse Elisabeth de Bavière avec François-Joseph d'Autriche, elle se promenait aux environs du château de Possenhofen avec ses soeurs, Sophie-Charlotte et Marie-Sophie. Elisabeth, qui avait pour cette race une sympathie qu'elle sut prouver en plusieurs circonstances, aperçut une roulotte arrêtée à l'orée d'un bois. C'était peu après ses fiançailles de cœur avec son cousin, mais la famille ne les avait pas encore ratifiées. Elle voulut savoir sa " bonne aventure " et vint auprès des nomades. Une vieille femme devina aussitôt l'intention des jeunes filles et s'avança vers elles. Elisabeth la première tendit sa main. La bohémienne posa son regard observateur sur la figure gracieuse de la jeune fille, puis se mit à examiner longuement sa petite main ; " Il y a, résuma-t-elle, dans ces lignes entrecroisées, bien des luttes que dominent deux couronnes... l'une est hérissée d'épines. " Elisabeth sourit ; la couronne d'épines sur ses magnifiques cheveux d'or lui semblait bien invraisemblable, et pourtant sa douloureuse existence de courses, de deuils, de désillusions à travers le monde, la lui offrit bien lourde. (Elle eut les deux couronnes, celle d'Autriche et de Hongrie.) Sa sœur, la princesse Marie-Sophie, interrogea à son tour la devineresse. . Celle-ci prédit encore une couronne, mais chancelante, une vie longue d'épreuves, l'exil... Marie-Sophie retira sa main. Cette vieille l'impressionnait. C'était au tour de Sophie-Charlotte, qui hésitait, mais la devineresse lui prit le poignet et très doucement la regarda. Elle se tut longtemps, si longtemps que la jeune princesse eut peur, et demanda si sa vie ne devait pas continuer. - Si, répondit la vieille, elle continue encore longtemps, vous partirez de ce monde avec une couronne, vous aussi, mais elle sera de lis sanglants... environnée des palmes du martyre.
Cette histoire est-elle vraie? C'est bien possible, en tout cas elle se réalisa étrangement. Elisabeth, qui mourut la première, fut tragiquement retranchée du monde par la main ,d'un fanatique qui la poignarda à Genève. Sophie-Charlotte, après une vie menée très saintement, mourut brûlée au bazar de la charité, le 4 mai 1897, après avoir dit aux sauveteurs qui, en ce jour tragique, essayaient de l'entraîner : "Laissez passer les autres avant moi." Et ces paroles-là sont bien authentiques, car elles furent répétées par nombre de témoins. Elle eut donc la couronne du martyre. Pour Marie-Sophie, elle eut la couronne des deux Siciles, et tellement chancelante qu'elle tomba à Gaète au vent des boulets de Cialdini*. Découronnée, mais toujours fière, elle vint en France où elle vit encore entourée de quelques amis fidèles au malheur.
*Enrico Cialdini fut un général et homme politique italien du XIXᵉ siècle, qui fut l'un des principaux acteurs du Risorgimento. Il dirigea le siège de Gaète (1860-1861), ce qui lui valut le titre de duc de Gaète.
** Pseudonyme de l'autrice Marie, Renée, Joséphine Meslet.