Je me fiche que l’on me trouve bougon. Sourire ce n’est pas un acte banal. Je souris à ce qui me fait sourire. Celui qui me dit : « Vous faites toujours la gueule », je ne vais pas lui courir après dans la rue pour lui dire : « Attends, attends je ne suis pas bougon, je suis plus intéressant que ça. »Vous aimez vous voir sur l’écran ?Pas du tout… Je suis trop, trop déçu. Je ne regarde même plus mes films. D’abord, je me trouve très disgracieux physiquement. Je m’imagine beaucoup plus beau. Dans la glace, on se regarde de face et on fait une tête spéciale, toujours la même, qui nous plaît. A l’écran on se voit de tous les côtés. Mais surtout je vois un type qui ne sait pas jouer. Je me prends la tête à chaque fois. Je me croyais tellement plus impressionnant, tellement plus émouvant ! Mais où elle est l’émotion que j’avais mise ? C’est terrible ! Heureusement, souvent les autres vous renvoient une image élogieuse, alors vous retrouvez dans leur regard ce que vous pensiez être.On pense souvent qu’on ne change jamais vraiment, vous êtes l’exemple contraire.On peut toujours changer. On peut travailler sur soi beaucoup plus qu’on ne le croit. A ceux qui se plaignent de leur malheur et qui ne travaillent pas sur eux, j’ai envie de dire : « Tu as un gouvernement de toi-même très laxiste. Tu n’as pas de ministre de l’Intérieur. Elis quelqu’un d’autre, un autre toi-même. » On peut toujours travailler sur son bonheur et sa cohérence. Dire « c’est plus fort que moi » est une passivité coupable. On a toujours le choix, encore faut-il travailler sur soi et ne pas invoquer le destin ou la fatalité.On peut invoquer le poids de l’enfance, de l’éducation…D’accord. Mais je crois aussi que tout homme est responsable et ne peut pas invoquer toute sa vie une éducation douloureuse. C’est trop facile de se servir de la psychologie pour se dédouaner.Vous pleurez dans la dernière image des “Sentiments”. Cela vous arrive dans la vie ?Souvent. Un homme, ça pleure tout le temps si ça se laisse aller. C’est bon de pleurer. C’est comme rire. On retrouve d’ailleurs du rire dans les pleurs. Je viens de perdre un ami très proche et j’ai beaucoup pleuré. Je me regardais faire et je me disais : « C’est marrant, c’est comme si j’éclatais de rire. » Ça se rapproche beaucoup. [Il fait semblant de pleurer à gros sanglots]. En fait, si la bouche est comme ça, on rit et si elle est comme ça, on pleure, mais on sent bien que c’est la même chose. On peut avoir un fou rire ou un fou pleure.Vous acceptez avec la même sérénité de vous sentir vieillir ?J’y ai toujours vu des avantages. Comme je n’ai cessé de tenter de me perfectionner, vieillir m’a toujours paru riche de promesses. Mais ça commence à me plaire un peu moins… Accepter le délabrement, c’est quand même la grande aventure : accepter de devenir des pigeons dans le paysage. Agnès trouve que les vieux ressemblent à des pigeons, qu’ils se fondent dans le paysage. Vous voyez bien les vieux, on ne les distingue pas. On dit « un vieux ». J’imagine que quand j’aurai soixante-dix ans, je serai devenu un pigeon que personne ne remarquera. Je serai un peu vexé d’être devenu invisible, mais ce goût que j’ai pour le bonheur, je pense qu’il ne disparaîtra pas.La mort ne vous fait pas peur ?Non. Je m’en fous. On pense toujours la mort comme les enfants, on s’imagine se voyant ne plus y être. Mais quand on est mort, on ne le sait pas, on est seul à ne pas le savoir. Vous n’êtes pas témoin de votre mort. Ce qui est terrible, c’est avant. La maladie, la souffrance de bête de la maladie. Etre une petite bête traquée. C’est l’historien Henri Guillemin qui cite cette expression en parlant de Jeanne d’Arc. Il décrit l’arrestation de cette gamine de 17 ans. Elle a tenté de se suicider en sautant par la fenêtre, elle a été remise dans sa cellule, et il dit : « A ce moment-là, Jeanne, c’est une petite bête traquée. » Elle me fait pleurer cette phrase. Ça, ça me fait peur que la maladie fasse de moi une petite bête traquée. Mais à part ça, je n’ai peur de rien. Je vous le dis bien en face : de rien.Jean-Pierre Bacri(source : interview de Psychologies magazine, 2010)
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