Dans une existence, il y a des événements marquants. Des tournants, des moments qui changent le cours des choses. Le Gravelman en sera peut-être un. Sans doute même.
Sur le papier, ou plutôt sur l’écran de nos GPS, une trace à suivre, 350 km de vélo à travers la région parisienne agrémentés d’un peu plus de 3000 m de dénivelé (détails « techniques » et organisationnels plus bas). D’abord une vingtaine de kilomètres à longer le canal de l’Ourcq avant de remonter vers le nord en traversant la forêt d’Ermenonville puis de rejoindre Chantilly. Prendre un cap à l’ouest à travers le Vexin. A la Roche-Guyon, nouveau changement de cap vers le sud et la forêt de Rambouillet avant de remonter par la vallée de Chevreuse jusqu’à Versailles, de saluer la Tour Eiffel, et de rejoindre l’arrivée. Une première pour moi.
Le vélo et moi, ce fut d’abord une histoire tourmentée. Un peu comme une fille que l’on rencontre dans une soirée ou chez des amis. Vous y êtes d’abord indifférent, parfois même, elle vous agace. Et puis au fil du temps, elle vous interpelle, vous intrigue. Un peu plus tard encore, vous commencez par lui trouver un certain charme, elle vous émeut et parfois même, vous finissez par en tomber amoureux. Le vélo, c’est cette fille mystérieuse dont je n’ai pas tout de suite su voir les charmes. Les préparations de mes six Ironman (et principalement celle de l’Embrunman) m’ont obligé à passer beaucoup de temps sur ce vélo… et j’ai fini par en tomber amoureux. Le Gravelman, c’est mon premier périple au-delà des 250 km et ce tour des Yvelines réalisé en juin dernier pour célébrer le solstice d’été, ma plus longue aventure cycliste jusqu’à présent.
Le curseur est cette fois fixé à 350 km… en théorie. Couvre-feu oblige, l’arrêt pour la nuit divisera la trace en deux. Sur mon plan de route, la première étape est de 210 km et me posera à Houdan avant de repartir au petit matin pour les 140 derniers kilomètres. Mais c’est certain, je retournerai sur cette route pour effectuer cette trace en une seule fois. Dès que la situation le permettra.
Départ vendredi matin aux alentours de 7 heures de chez Couriier, près de la place de la République. Tout le monde a le sourire. Ces sourires baliseront la route tout au long du week-end. Parce qu’ici, on ne parle pas de performance, on ne parle pas de chrono. Ici, on parle d’aventure, on partage, on rit, on se sourit. Personne n’est ici pour battre les autres. Ici, nous sommes tous ensemble, sur la même trace, le même chemin.
Ce chemin nous conduit d’abord le long du canal de l’Ourcq. Sur la piste cyclable, on y croise celles et ceux qui partent travailler, quelques joggeurs matinaux aussi, surpris sans doute de croiser tant de vélos en train de s’échapper vers l’est. Même surprise probablement pour les lève-tôt du parc de la Poudrerie, à Sevran. Dans une nuit qui vit ses derniers instants, les clignotements des lumières des participants rappellent ceux des phares qui guident les hommes de mer. Ils sont nos éclaireurs. Il est temps d’abandonner le canal. D’ordinaire, lorsque je passe ici pour rentrer dans ma Champagne natale, je poursuis ma route vers l’est. Cette fois, le chemin me conduit vers le nord. Sur les routes qui mènent vers la forêt d’Ermenonville et où j’ai le plaisir de retrouver Greg, ancien coéquipier du Meudon Triathlon, le vent de face nous rappelle notre vulnérabilité face à la nature. Prémices de ce que nous vivrons plus loin sur la route.
L’arrivée à Chantilly est comme à chaque fois un pur régal. Un dernier rond-point et le château des princes de Condé se dresse devant nous avec au bout de la rue pavée les grandes écuries pour nous accueillir dans la cité cantilienne. Majestueux, comme à chaque fois. Depuis plusieurs années, à vélo ou à moto, j’ai souvent eu le plaisir d’apprécier cette vue. Avec à chaque fois le même étonnement, le même émerveillement. Aujourd’hui, je la partage avec d’autres participants, avec d’autres sourires. Et ça la rend encore plus belle.
Nous voilà désormais partis vers l’ouest et le Vexin français. Ces routes, je les connais par cœur, habitué à les emprunter lors de mes longues sorties. Mais elles ont cette fois une saveur particulière. Parce que je n’y suis pas seul. Parce que c’est le Gravelman. Quelques kilomètres parcourus avec d’autres participants avant que l’un ou l’autre accélère ou ralentisse. On se retrouve un peu plus tard, au hasard du chemin, devant une boulangerie d’un de ces petits villages où les croissants ont la saveur de l’authentique, celle du boulanger qui s’est levé en pleine nuit sans imaginer alors que ses pains au chocolat allaient offrir à quelques cyclistes un pur moment de bonheur. Dans un autre village, d’autres participants se seront arrêtés sur la place du village, cette place avec souvent la mairie, l’école primaire, l’église et son monument aux morts. Une carte postale de cette France que certains qualifient de profonde en y associant souvent un peu de mépris. La profondeur est pourtant une richesse. Elle est en tout cas celle de cette France que nous traversons aujourd’hui.
Les heures défilent, les kilomètres aussi. La route des Crêtes nous amène sur les hauteurs de La Roche-Guyon et nous offre un panorama sur la vallée de la Seine. En cette fin de journée hivernale, la lumière du soleil couchant donne un éclat supplémentaire à cette perspective. La Seine poursuit son chemin vers la Normandie et ira bientôt se jeter dans l’océan. Le Gravelman, lui, nous ramène vers le sud. La nuit est tombée. Couvre-feu oblige, direction l’hôtel. Le mien est à Houdan. Un peu partout sur la trace, parfois un peu plus loin, parfois quelques kilomètres avant, chacun trouve son refuge pour la nuit. La journée fut belle, intense. Certains braveront l’interdit et rouleront de nuit, certains, comme Aurélien avec son vieux vélo Peugeot et ses deux sacoches à l'ancienne accrochées au porte-bagage, dormiront même en plein cœur de la forêt. Un jour peut-être.
Samedi. 6h45. Le thermomètre affiche autour de -4°. Mais il faut partir. Vite. La neige est annoncée en fin de matinée. Il reste 140 km à rouler pour rejoindre l’arrivée et le projet est de parcourir le plus de kilomètres avant les premiers flocons. Après une trentaine de bornes dans la nuit, à la sortie de Rambouillet, le ciel s’embrase pour nous offrir un incroyable lever de soleil. Avec Florian, participant que j’ai rejoint du côté de Gambais et avec qui je vais rouler pratiquement toute la journée, l’heure est à la contemplation. Bientôt 9 heures. A la sortie de Bullion, les premiers flocons commencent à tomber, bien en avance sur les prévisions. Très vite, ils blanchissent la route. Il reste un peu plus de 80 km et une autre aventure commence. Celle-ci sera épique.
Les petites routes empruntées par le Gravelman sont souvent celles que seuls les locaux empruntent, loin des grands axes. Aucun engin de sablage n’est passé par là et la neige peut s’y poser tranquillement. En douceur. Comme dans un dessin animé de Walt Disney, une famille de chevreuils traverse la route juste devant moi. Magique. Au cœur de la forêt, seules nos roues viennent dessiner une trace dans la neige encore vierge. L’impression d’être un enfant qui s’amuse. Mais pas le temps aujourd’hui de faire un bonhomme de neige.
Dans la montée de Villiers-le-Bâcle, bien posés sur nos machines et surtout sans se mettre en danseuse sous peine de perdre le peu d’adhérence qu’il nous reste encore, petite satisfaction de doubler les voitures coincées dans la pente. Bien sûr, il y a cette route glissante, ces descentes à aborder avec la plus grande prudence, cette pluie-neige glacée qui vient gifler notre visage, ce froid qui paralyse nos pieds puis nos mains prisonnières de gants trempés. Pourtant, étrangement, ce qui pourrait apparaître comme une galère se transforme en un moment hors norme. Un de ces moments où l’on prend conscience d’être en train de s’écrire des souvenirs forts, de vivre quelque chose d’unique. Un de ces moments où l’on apprend beaucoup sur soi, sur sa faculté à aborder des situations complexes. Plus encore, un moment où l’on se sent vivant ! Et on se surprend à sourire. Encore.
Nos vélos de route avec leurs petits pneus de 25 mm ont eux plus de mal à apprécier. La neige se transforme vite en glace et vient se figer sur les freins, sur les rayons, sur le dérailleur et même sur les plateaux. La mécanique est prise dans la glace. Irréel. Sur l’esplanade du château de Versailles, Louis XIV, sur son cheval, a lui aussi les pieds pris dans la neige. Drôle de destin pour le Roi Soleil.
Derniers kilomètres pour rejoindre Paris où la Tour Eiffel tente de percer les nuages. En vain. La trace nous fait emprunter l’anneau de Longchamp d’habitude animé par les pelotons de cyclistes. Aujourd’hui, seuls ceux du Gravelman rompent la quiétude de l’hippodrome. Trocadéro, Pont d’Iéna, place de la Concorde, rue de Rivoli, boulevard de Sébastopol et enfin l’arrivée. Les mains sont gelées. Les pieds aussi. Mais ici, tout le monde sourit encore. Parce que nous venons de vivre un moment fort. Un de ceux que l’on n’oublie pas. Il est bientôt 14 heures. Fin du Gravelman. La balade des gens heureux est terminée. Non. Le Gravelman est bien plus qu’une balade… il est un voyage.
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Si vous êtes allé au bout de ce récit, vous l’aurez compris, cette expérience fut absolument géniale. J’ose même dire une révélation qui ouvre un nouveau champ des possibles et fait naitre de nouvelles envies. Je remercie donc infiniment Steven Le Hyaric et toute son équipe de bénévoles. Ils nous ont offert beaucoup plus qu’une épreuve cycliste. Ils nous ont offert une expérience humaine et de belles rencontres. Par les temps qui courent, cette ambiance entre participants, cette convivialité, cette solidarité (toujours un mot pour les autres), cette bienveillance entre tous avec la douce sensation que tout le monde veille sur tout le monde, sont des valeurs particulièrement précieuses. Émouvantes même. Alors mille mercis.
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Le Gravelman Paris est une des étapes des Gravelman series. Ces épreuves vélo tracées sur des distances autour de 350 km sont organisées par Steven Le Hyaric. Sur cette version francilienne, deux traces étaient proposées : une trace gravel (vélo à mi-chemin entre VTT et vélo de route) qui empruntait principalement des sentiers et des chemins (total respect à celles et ceux qui l’ont empruntée car avec la boue c’était un vrai exploit) et une trace route… uniquement sur les routes.
Le Gravelman n’est pas une course. Le départ se fait plus ou moins quand on veut (dans une certaine limite évidemment), puis chacun fait sa route. Seules obligations : suivre la trace téléchargée sur nos GPS et faire des selfies à certains points précis du parcours pour « valider » notre passage. Cela permet aussi d’animer le groupe What’s App et de créer une vraie convivialité entre les participants éparpillés un peu partout dans la pampa.
Pour cette édition, nous étions une petite centaine dont une bonne vingtaine de filles.
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Et pour vous montrer que je n'ai pas soudainement vu la vierge, petit condensé des commentaires des participants sur le groupe de l'épreuve (les images s'agrandissent quand on clique dessus).