La mise en vente à Aozuru-chaho - Thés-du-Japon de deux nouveaux thés cultivar Benifûki très différents, puisqu'il s'agit d'un thé noir et d'un sencha, est l'occasion d'évoquer une nouvelle ce grand cultivar.
J'écris grand cultivar car il faut bien reconnaître que même si la surface cultivée reste anecdotique en comparaison de Yabukita bien sûr, mais aussi d'autres cultivars très utilisés pour le sencha, il est devenu de manière incontestée le cultivar par excellence du thé noir Japonais. C'est d'une part le seul cultivar développé pour le thé noir à s'être réellement répandu, et est celui qui arrive de manière majoritaire en tête des différents concours et évènements autour du thé noir japonais qui se sont multipliés récemment. Benifûki est donc un nom inévitable dans le monde du thé japonais où l'on peut dire que la petite sphère du thé noir est depuis quelques années la plus vivante et excitante. On serait tenter de dire que c'est le Yabukita du thé noir, mais sa domination sur les thés noirs n'est tout de même pas aussi écrasante que celle de Yabukita a pu l'être sur le thé japonais. De plus les concours les plus récents commencent aussi à récompenser des thés noirs autres que Benifûki, ce qui permet de l’empêcher de devenir un standard trop fort qui finirait par nuire à la créativité et à la diversification.
Faire un historique détaillé du thé noir au Japon n'est pas le propos, mais il faut bien en connaître les grandes lignes avant d'en arriver à Benifûki. A partir de la deuxième moitié du 19ème le thé au Japon se développe en une industrie destinée essentiellement à l'exportation vers l'Europe et surtout les États-Unis. Le thé exporté est bien sûr du sencha. Cependant, le nouveau gouvernement de Meiji, qui se met en place en 1868, veut aller plus loin et développer sur le sol japonais la fabrication du thé noir. En 1876-77, Tada Motokichi est envoyé en Chine et en Inde pour observer les méthodes de fabrication. Il rapportera de son voyage des graines en provenance de Assam. Celles-ci, plantées au Japon donneront d'autres graines par croisement avec des théiers locaux, parmi lesquels seront sélectionnés des théiers pour en faire des cultivars à thé noir. Le plus célèbre et emblématique est celui qui sera nommé plus tard Benihomare, plus enregistré en 1953 en tant cultivar enregistré officiellement numéro 1. Il est a noter que lors de cette toute première série d’enregistrement de cultivars de théier, sur quinze, cinq sont des variétés prévues pour le thé noir. Cela laisse entrevoir les moyens et l’énergie mis en œuvre par le gouvernement pour promouvoir une production nationale de thé noir .... sans aucun succès. A vrai dire, pour soutenir cette production dont personne ne voulait réellement, le gouvernement avait mis en place après guerre un système qui obligeait un importateur de thé noir étranger à acheter une quantité équivalente de thé noir produit localement. Ce système prit fin en 1971, sonnant le glas de la production japonaise de thé noir.... temporairement en tout cas. Les derniers cultivars à thé noir enregistrés furent Benihikari en 1969, et Benifûki en 1993.
La durée nécessaire entre le début du développement d'un cultivar et son enregistrement explique la date très tardive de l'enregistrement de Benifûki en comparaison du moment de l'abandon des investissements dans la promotion du thé noir japonais. En effet, son développement a commencé en 1965 avec le croisement entre Benihomare et Maku-Cd86 (théier issue d'une graine rapportée de Darjeeling) au centre de recherche de Makurazaki à Kagoshima.
Au moment de son enregistrement officiel, le renouveau de thé noir japonais n'était pas encore arrivé et le fait que Benifûki se soit rapidement répandu par la suite doit être mis sur le compte de sa haute teneur en catéchine-méthyle, supposée avoir des effets sur les allergies. Ainsi, fabriqué en thé vert (en générale poudre instantanée), Benifûki est devenu connu au Japon pour cette raison, faisant son apparition à la fin de l'hiver en prévision du rhume des foins qui accompagne l'arrivée du printemps. Néanmoins, cette "mauvaise" raison a préparé le terrain à la nouvelle vague du thé noir japonais, mettant à disposition rapidement un cultivar à thé noir de très grande qualité.
Le lecteur se doute bien que ce n'est pas pour de supposées vertus anti-allergiques que je propose le sencha Benifûki de Hon.yama, mais bien pour ses qualités aromatiques. Réalisée à base de feuilles assez matures et surtout avec un processus de flétrissement, le producteur (le même que les Oolong Kôju et Izumi, ainsi que du Hoji-Oolong Benifûki justement) nous offre un thé vert très aromatique, qui fait des merveilles infusé avec de l'eau très chaude, parfait donc en ces froides journées d'hiver.
Sans umami, ce sencha ne montre pourtant que très peu d'astringence en dépit de ce que pourraient laisser penser ses origines de Assam. On y trouve de très agréables arômes, légèrement floraux, mais surtout fruités, évoquant des pêches bien mures et juteuses. Il y a aussi des notes pâtissières évoquant une pâte à tarte sucrée ainsi qu'une sensation crémeuse en after.
Avec l'autre Benifûki de ce mois, nous retournons vers la raison d'être première de ce cultivar : un thé noir. Une récolte d'automne de Ashikita plus exactement. J'en avais déjà présenté le millésime 2019, léger et sympathique, mais cette récolte d'automne 2020 est une véritable merveille à la richesse aromatique n'ayant rien à envier à la récolte de printemps.
On y retrouve bien sûr l'impression générale fruitée et pâtissière de ce beau cultivar, mais ici le pôle floral est assez intense, alors que du côté du fruit on s'oriente aussi vers les agrumes. L'infusion est suffisamment forte en bouche, avec une astringence très élégante et agréable.
C'est un thé à ne surtout pas manquer pour le amateurs du genre mais aussi une bonne occasion de découverte pour les autres.
Pour finir, c'est aussi une occasion de se pencher sur le thé noir Benifûki avec les trois autres disponibles sur Thés du Japon. Tous possèdent ces arômes fruités typiques du cépage, pourtant chacun met en avant des tonalités différentes, démonstration du grand potentiel de Benifûki.
Tsushima / Shimada / Ashikita 1st / Ashikita autumnal
Ashikita 1st flush : Impressions épicées importantes, avec aussi un caractère camphré et des notes de cacao.
Shimada 1st flush : Le plus puissant des quatre, avec aussi des arômes très gourmands de fruits confits.
Tsushima 1st : à l'inverse le plus léger. Il évoque des pâtisseries fines avec de la cannelle, et une légère touche camphrée.