Le monde est un théâtre, où nous sommes à la fois spectateurs, acteurs et créateurs. La scène est l'immensité intérieure, animée d'un mouvement spontané qui devient tous les mouvements subjectifs et objectifs. Nous sommes dans le monde et le monde en nous.
Mais d'ordinaire, je suis trop identifié, non seulement à "mes" pensées, mais à ce que je vois, ce que je sens... Ma conscience est comme contractée, sans quasi plus aucun recul, plus d'espace, plus d'immensité.
Dès lors, le théâtre peut être source d'expansion, d'ouverture, d'éveil, d'éclosion de conscience. Le théâtre et ses équivalents. Ainsi, Abhinavagupta explique comment un spectacle dramatique peut transformer notre expérience. Le spectacle engendre un repos (vishrânti) qui est retour de la conscience à elle-même, c'est-à-dire ouverture, expansion élargissement, ouverture. Car en voyant les personnages évoluer sur la scène, je m'identifie à leur histoire et, du coup, j'oublie la mienne. J'oublie, dit Abhinava, mes souffrances, mes peines, ma fatigues, mes soucis, la perte de mes proches. Et même, ajoute-t-il malicieusement, le théâtre soulage les ascètes de leurs jeûnes et autres mortifications, en suscitant l'éveil (!) de leur conscience (mati-vibodha).
Le théâtre donne du courage, réveille les âmes, les inspire : dans l'expérience esthétique, nous vivons des émotions, mais autrement. L'art nous donne un aperçu de la vie éveillée, de la vie intérieure accomplie. Il y a tout ce qu'il y a dans une vie ordinaire, mais autrement. Là réside la vraie valeur de l'art, sa valeur incomparable. Dans l'art, nous vivons pleinement, et pourtant les émotions ont une saveur unique. C'est cela, la vie intérieure : tout demeure, mais autrement.
Enfin, Abhinava note que le théâtre instruit, mais non pas comme un enseignant nous enseigne, nous instruit (guruvad upadesham). Bien plutôt, il développe notre intelligence innée (buddhim vivardhayati). Dans l'immédiat, l'art soulage les souffrances, procure du plaisir, et à long terme, il rend plus sage.