Capitole : Trump et la dictature du moi

Publié le 12 janvier 2021 par Sylvainrakotoarison

" Fort d'un appui que n'avaient point ses prédécesseurs, il foule aux pieds ses ennemis personnels partout où il les trouve, avec une facilité qu'aucun Président n'a rencontrée ; il prend sous sa responsabilité des mesures que nul n'aurait jamais avant lui osé prendre ; il lui arrive même de traiter la représentation nationale avec une sorte de dédain presque insultant. " (Tocqueville, 1840).

Dans sa description du Président Andrew Jackson dans " De la Démocratie en Amérique", Tocqueville esquissait presque la personnalité de ... Donald Trump !
Donald Trump, Président pour encore une semaine, va justement prendre la parole dans la journée du 12 janvier 2021, la première fois depuis le 6 janvier 2021.
Je reviens sur cet assaut contre le Capitole à Washington par une horde de trumpistes extrémistes. On aurait tendance à dire aujourd'hui : Sale temps pour Trump. Mais aussi pour les États-Unis. La honte mondiale. Le Président iranien en est même venu à fanfaronner et à faire la leçon à la démocratie américaine, un comble ! Mais pourquoi s'en priverait-il ? La tentation était trop grande. Les Américains se souviendront longtemps de cette honte, bien plus longtemps que l'humiliation de la prise d'otages américains à Téhéran en 1979 qui a coûté la réélection de Jimmy Carter. Donald Trump, en exhortant les futurs émeutiers à marcher sur le Capitole quelques heures auparavant, est en partie responsable de cet acte à la fois violent et antidémocratique, qu'on pourrait qualifier de barbare.
Dans le parc The Ellipse, près de la Maison-Blanche, à deux kilomètres du Capitole, à Washington, Donald Trump, Président sortant des États-Unis, a appelé ses militants à s'opposer à la loi et à la Constitution, lui qui s'était engagé sur la Bible à la défendre loyalement le 20 janvier 2017 : " Vous ne reprendrez jamais notre pays avec faiblesse. Vous devez faire preuve de force et vous devez être forts. Vous devez vous battre comme des diables. Nous en sommes venus à exiger que le Congrès fasse ce qu'il faut et ne compte que les électeurs qui ont été légalement désignés. Je sais que tout le monde ici se dirigera bientôt vers le bâtiment du Capitole pour, pacifiquement et patriotiquement, faire entendre votre voix aujourd'hui. ". Il n'y a eu ni pacifisme, ni patriotisme dans cet assaut !
En parlant de "diable", Donald Trump a, sans le savoir, repris Léon Bloy. Le pape François a dit le 6 janvier 2021 (voir plus loin) : " L'être humain a besoin, oui, d'adorer, mais il risque de se tromper d'objectif ; en effet, s'il n'adore pas Dieu, il adorera des idoles, il n'y a pas de demi-mesure, ou Dieu ou les idoles, ou pour prendre une expression d'un écrivain français, Léon Bloy : "Celui qui n'adore pas Dieu, adore le diable", et au lieu d'être croyant, il deviendra idolâtre. ".
Non, ce n'est pas le peuple américain qui a envahi par la force le Congrès américain, temple de la démocratie américaine. Non, ce n'est pas le peuple américain qui a saccagé les bureaux des parlementaires, qui a volé les ordinateurs. Non, ce ne sont même pas les électeurs de Donald Trump, dont beaucoup regrettent le choix aujourd'hui. Ce ne sont que quelques centaines, peut-être quelques milliers d'extrémistes qui ne représentent ni le peuple, ni l'électorat de Donald Trump (les sondages sont assez clairs à ce sujet), ce sont des extrémistes même particulièrement lourds. Certains arboraient des tee-shirts noirs, certains avec l'inscription " Auschwitz", d'autres avec celle-ci, encore plus claire : "6MWE". Ah, que veut dire 6MWE ? Six Million Wasn't Enough. Six millions, ce n'est pas assez...
Extrémistes et violents. Cinq personnes sont mortes dans ce stupide assaut. Un policier et quatre émeutiers, dont une femme à l'intérieur du Capitole, blessée mortellement par un policier a eu peur. Cinquante-six autres personnes ont été blessées. On pourrait même dire, au pays de la gâchette facile ou plutôt, de la détente sensible, que c'est un exploit qu'il n'y ait pas eu plus de victimes. Quand on voit le comportement habituel des forces de l'ordre ( George Floyd, par exemple), on peut s'étonner de la facilité de pénétration des émeutiers extrémistes. Il semblerait que la police ne fût pas armée.
Des armes provenant des émeutiers ont été retrouvés dans les bureaux du Congrès. Notamment un engin explosif a été retrouvé dans les "décombres". Certains voulaient même pendre immédiatement le Vice-Président Mike Pence, qui présidait la séance de certification au Congrès, pour traîtrise. On voit l'esprit démocrate de ces trumpistes. Retour à la Terreur toute ...française !
Refuser le verdict électoral, ce n'est pas soutenir le peuple, c'est l'assassiner. Donald Trump a pourtant bénéficié de la démocratie en 2016 en se faisant élire Président des États-Unis alors que lui-même ne s'y était pas préparé. Personne ne s'est opposé à cette réalité. Refuser le peuple, refuser le choix du peuple, et vouloir faire un retournement sémantique est une sorte de folie qui a, je le rappelle, coûté la vie à cinq personnes.
Michel Scott, journaliste qui connaît bien la vie politique américaine, expliquait le 8 janvier 2021 que Donald Trump, appelé "l'homme aux 20 000 mensonges" (qui ont été répertoriés depuis le début de son mandat), tordait la réalité, au moins deux fois : sur les résultats de l'élection présidentielle du 3 novembre 2020, en refusant d'admettre sa défaite pourtant très large aux voix (peuple et grands électeurs), cela n'a rien à voir avec le scrutin serré entre George W. Bush et Al Gore, et aussi, bien sûr, sur la pandémie de covid-19, en ne prenant pas en compte la réalité sanitaire de son pays. D'ailleurs, comme je l'avais évoqué il y a quelque temps, les meetings électoraux de Donald Trump ont eu lieu sans port du masque, ce qui aurait provoqué, selon certains décomptes, plus de 30 000 contaminations et plus de 700 décès, dont celui du puissant homme d'affaires Herman Cain le 30 juillet 2020...

Le Vice-Président Mike Pence, au contraire de "son" Président, a montré un grand sens des responsabilités et de l'État et nul doute que ce n'est pas gratuit. Il vise évidemment l'élection de 2024 et pour l'instant, il serait le mieux placé chez les républicains, à cela près qu'il ne rassemblera certainement plus la frange extrémiste du trumpisme, mais se débarrasser de cette frange, ne plus en être l'otage est certainement un avantage.
Très logiquement, risquant une inculpation pour sédition, Donald Trump se retrouve maintenant très isolé. La plupart de ses (derniers) collaborateurs ont démissionné depuis le 6 janvier 2021 (Stephanie Grisham, Mick Mulvaney, Rickie Niceta, Sarah Matthews, Tyler Goodspeed, Matthew Pottinger, etc.) ainsi que trois ministres (Elaine Chao, Betsy DeVos, Chad Wolf)... Tous ont maintenant peur d'être considérés comme complices de cette insurrection.
C'est la débandade chez les trumpistes, non seulement des personnes mais aussi des idées. Avec ce fait d'armes, il y aura un argument majeur de plus pour enfin réglementer la vente et la possession d'armes à feu. Le risque est maintenant grand que des individus soient en capacité de terroriser, d'agresser des représentants du peuple.
Ce lundi 11 janvier 2021, les représentants démocrates ont entamé une procédure d'impeachment pour destituer Donald Trump dont le mandat finit le 20 janvier 2021. Pourquoi faire alors qu'il ne reste plus que quelques jours ? Peut-être pour éviter de nouvelles "bêtises" trumpiennes (qui sait quelle est sa capacité de nuisance contre sa nation et son peuple ?). Aussi pour le symbole, pour que Donald Trump soit définitivement rayé de la respectabilité institutionnelle.
Et parallèlement, Donald Trump s'est finalement avoué vaincu en reconnaissant enfin la victoire de Joe Biden et en assurant que la transition se ferait pacifiquement (ce qui est déjà trop tard : cinq morts, je le rappelle !). Il était temps qu'il reconnaisse sa (large) défaite. Elle n'est pas seulement électorale, elle est maintenant politique et surtout morale.
Je reviendrai plus tard sur la suppression du compte Twitter de Donald Trump et sur la suspension longue de son compte FaceBook et d'autres réseaux sociaux (Youtube, etc.). Contrairement à ce qu'une très large majorité proclame, il ne s'agit pas ici d'un problème de censure ou de liberté d'expression mais je ne suis pas naïf non plus et c'est plutôt une décision hypocrite prise par les GAFAM qui ont beaucoup profité des messages de Donald Trump pendant de longues années avant de vouloir se refaire une virginité devant le nouveau Président Joe Biden.
Dans l'analyse de cette insurrection, on a cherché un certain nombre d'analogies et probablement que l'un des points forts de Donald Trump, c'est qu'il est inimitable, c'est qu'il est incomparable. Mais essayons de reprendre deux analogies entendues ici ou là. Elles sont toutes les deux européennes : 1934 et 1981.
La journée d'émeute du 6 février 1934 qui a abouti à la démission du gouvernement du radical Édouard Daladier et qui a durablement alourdi la mémoire collective d la Troisième République finissante, en plein contexte d'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne. Elle a été provoquée très précisément par l'affaire Stavisky (excellemment retracée au cinéma dans un film d'Alain Resnais sorti le 15 mai 1974 avec Jean-Paul Belmondo, François Périer, Anny Duperey, Michael Lonsdale, Claude Rich, Pierre Vernier, etc., et même Gérard Depardieu et Niels Arestrup à leurs débuts).
La grande différence, c'était que les émeutiers ne faisaient pas partie du pouvoir mais de l'opposition, à l'instar du colonel de La Rocque qui a finalement refusé de marcher sur l'Élysée (ce que l'histoire retiendra). Au contraire, le colonel de La Rocque, dont les Croix-de-feu avaient atteint l'esplanade des Invalides, a refusé d'occuper le Palais-Bourbon puis de marcher vers l'Élysée, et a même réussi assez vite à disperser ses troupes. Il était beaucoup plus responsable que Donald Trump en 2021. Néanmoins, une partie des émeutiers s'est rejointe place de la Concorde et ce fut la confrontation avec la police. Au bilan, une trentaine de morts et plus de deux mille blessés.
L'autre analogie est espagnole. Le 23 février 1981, le Congrès des députés à Madrid fut envahi et occupé par des militaires franquistes, pour empêcher l'élection de Leopoldo Calvo-Sotelo à la Présidence du gouvernement espagnol. Le putsch a échoué grâce au sang-froid du jeune roi mis en place par Franco pour sa succession, Juan Carlos I er qui a osé s'opposer aux putschistes à la télévision. Il n'y a pas eu de victimes. Les militaires putschistes ont tous été arrêtés et la démocratie s'est installée en Espagne, ainsi que la monarchie grâce à l'autorité conquise par le roi.
L'analogie ne tiendrait que si Joe Biden était Juan Carlos, mais certainement pas Donald Trump qui, lui, serait du côté des putschistes. Là aussi, des parlementaires ont été bafoués par des extrémistes.
Honte nationale, honte internationale.
Dans les suites plus politiciennes en France de cet assaut du Capitole, on peut noter deux critiques périphériques. Des opposants au Président français Emmanuel Macron lui ont stupidement reproché d'avoir pris la parole avec un drapeau américain dans son dos, comme s'il s'était pris pour le Président des États-Unis. C'était encore ne rien comprendre à la diplomatie.

D'abord, il n'avait pas que le drapeau américain mais aussi le drapeau français et européen. Ensuite, à chaque rencontre bilatérale, il est de coutume, lors des conférences de presse des représentants des deux pays, que le fond soit doté des couleurs nationales des deux pays. Dans une rencontre franco-allemande, les deux drapeaux sont présents, comme dans une rencontre franco-américaine. Il n'y a donc rien d'extraordinaire à ce qu'un Président français, par solidarité avec la démocratie américaine, s'exprimât devant les drapeaux américain, français et européen. C'est au contraire une fierté française que la France se soit positionnée du côté de la démocratie, du droit, de l'ordre et du peuple face aux séditieux et aux émeutiers. Emmanuel Macron ne l'aurait pas fait qu'on le lui aurait reproché, peut-être les mêmes qui lui reprochent aujourd'hui cette allocution.
Néanmoins, les macronistes ne sont pas en reste et ils ont raison. Ils ont ainsi largement repris les appels à la révolte de certains responsables politiques ces dernières années qui ne valaient pas mieux que ceux de Donald Trump, et qui pourraient donc aussi aboutir à un 6 janvier 2021 à la sauce française.

J'en a noté trois sur Twitter. Contre Marine Le Pen : " Trump dit à ses troupes d'aller au Capitole... Comme Marine Le Pen a dit à ses gilets jaunes d'aller sur les Champs-Élysées en octobre 2018... ". Contre Jean-Luc Melenchon : " "Je vous encourage à vous rebeller (...). Il faut chasser Macron, les macronistes et tous ceux qui y ressemblent de près ou de loin qui ont collaboré à cette horreur du pouvoir". Jean-Luc Mélenchon : vous n'êtes pas un rempart, vous êtes le danger populiste. ". Contre FI : " Pour rappel, c'était le 20 janvier 2020 : Raquel Garrido, chroniqueuse et compagne du député France Insoumise Alexis Corbière, déclarait : "Louis XVI, on l'a décapité, Macron, on peut recommencer". ". Éloquents de violence.
L'assaut du Capitole est un nouvel exemple de ce que le philosophe Henri Bergson a appelé "l'imprévisibilité fondamentale du réel". Celui-ci était évitable, selon le terme d'une ministre démissionnaire, et provient en particulier de l'ego bien trop développé de Donald Trump pour imaginer l'intérêt général.
Terminons avec la très rafraîchissante homélie du pape François au Vatican le même jour, le 6 janvier 2021, jour de l'Épiphanie pour les chrétiens. Le pape a évoqué à la basilique Saint-Pierre l'Évangile selon saint Matthieu. Il a notamment commenté l'expression "lever les yeux" : " C'est une invitation à mettre de côté la fatigue et les plaintes, à sortir des exiguïtés d'une vision étroite, à se libérer de la dictature du moi, toujours enclin à se replier sur soi-même et sur ses propres préoccupations. (...) "Lever les yeux" : ne pas se laisser emprisonner par les fantasmes intérieurs qui éteignent l'espérance, et ne pas faire des problèmes et des difficultés le centre de l'existence. Cela ne veut pas dire nier la réalité, en faisant semblant ou en croyant que tout va bien. Non, il s'agit au contraire de regarder d'une manière nouvelle les problèmes et les angoisses, en sachant que le Seigneur connaît nos situations difficiles, écoute attentivement nos invocations et n'est pas indifférent aux larmes que nous versons. ".
Le pape n'était pas encore au courant de cet assaut à Washington qui a eu lieu quelques heures plus tard, mais on pourrait y entendre un petit clin d'œil à Donald Trump : libère-toi de la dictature du moi !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 janvier 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Capitole : Trump et la dictature du moi.
Il y a 20 ans : George W. Bush vs Al Gore.
De la Démocratie en Amérique.
USA 2020 : and the Winner is Joe Biden !
Il y a 20 ans : George W. Bush vs Al Gore.
USA 2020 : le suspense reste entier.
Bill Gates.
Albert Einstein.
Joe Biden.
Rosa Parks.
Jean-Michel Folon.
Henri Verneuil.
Benoît Mandelbrot.
Covid-19 : Donald Trump, marathonman.
Bob Kennedy.

https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210111-trump.html
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/capitole-trump-et-la-dictature-du-230153
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/01/07/38746856.html