Le 27 juin, après l’explosion de deux bombes artisanales à Yaoundé, la police organise des rafles dans les quartiers peuplés de ressortissants anglophones.
Le journaliste Moki Edwin Kindzeka qui couvrait l’évènement est malmené par les agents sans raison. « Les policiers m’ont dit que je suis un ambazonien qui se fait passer pour un journaliste, et ont commencé à me brutaliser » se rappelle Moki Edwin Kindzeka de cette « journée noir » du samedi 27 juin 2020 à Yaoundé. Ce jour, le journaliste d’expression anglaise en service à la crtv-télé, par ailleurs correspondant de la télévision allemande DeustcheWelle et de l’organe public americain Voice Of America est envoyé en couverture pour suivre l’opération d’arrestation des habitants ressortissants des régions anglophones. Les forces de défense et de sécurité poursuivaient les contrôles initiées par le patron de la police de la région du centre dans le but de débusquer selon eux, « les malfaiteurs ». Cette décision avait été prise, expliquait-on à la suite de l’explosion de deux bombes artisanales dans la ville de Yaoundé. « Sur les lieux, comme je parlais uniquement en anglais avec les autres habitants anglophones arrêtés, les agents de la police ont violement procédé à mon arrestation. Ils m’ont malmené en disant que je suis un séparatiste qui se fait passer pour un journaliste. Ils ont saisi mon matériel de travail. Ils m’ont ensuite obligé de parler uniquement en français. Je n’ai pas compris cette discrimination », explique le journaliste.
Les agents de police ont ensuite inscrit son nom sur la fiche de ceux qui étaient considérés comme des délinquants interpellés pour défaut de pièces d’identité. Puis il a été brutalisé. « J’avais toutes mes pièces d’identité sur moi. Ils l’ont récupéré. Je pense qu’ils m’ont classé dans cette catégorie de personne pour pouvoir donner une raison au traitement qu’ils étaient en train de m’administrer », poursuit le journaliste. La Camasej, l’association qui regroupe les journalistes d’expression anglaise au Cameroun a condamné ces actes et exigé du gouvernement qu’il présente ses excuses au journaliste malmené. « Le gouvernement à travers le ministère de la communication n’a jamais présenté ses excuses. Au contraire, ils trouvent des prétextes pour éviter de reconnaitre qu’ils ont agressé un journaliste en situation professionnelle. Moi je veux qu’à travers mon histoire, l’agression des journalistes cesse. Que les journalistes se mobilisent pour atteindre cet objectif-là », précise le journaliste de la crtv.
Ce jour-là, une centaine de déplacés anglophones avaient été arrêtés et détenus dans des conditions inhumaines. Une réalité que le journaliste n’a pas pu faire vivre aux téléspectateurs puisque la camera contenant les images avait été saisie. «Réprimer le journaliste est un délit. Il est temps qu’on se batte pour faire prévaloir les droits des journalistes surtout dans ce climat de crise anglophone », prévient Denis Kwebo, président du syndicat national des journalistes du Cameroun. Il déplore le fait que plusieurs journalistes ont déjà été tués suite aux incidents qui concerne la crise anglophone. Et si rien n’est fait, les lendemains s’annoncent difficiles pour les journalistes avec les conflits qui se succèdent dans ces zones-là.
Les droits du journaliste bafoués Selon l’Onu, « Agresser une personne seulement parce qu’elle parle en anglais », c’est une stigmatisation qui renvoie au principe de marginalisation. Tout comme procéder à l’arrestation des centaines de personnes anglophones au lendemain de l’explosion d’une bombe artisanale, sans aucune enquête menée au préalable pour démontrer que les responsables sont des déplacés anglophones installés dans la capitale politique. Le principe directeur de l’Onu sur les déplacés internes précise que « Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ont le droit de demander et de recevoir une protection et une aide humanitaire desdites autorités. Elles ne doivent être soumises à aucune persécution ou punition. » Ainsi, persécuter un journaliste au point de le traiter de « séparatiste qui se fait passer pour un journaliste » est contraire aux règles édictées par l’Onu. Les déplacés anglophones au lieu d’être persécutés comme cela a été le cas, devraient au contraire être protégés par l’Etat. Le principe 3 du même rapport de l’Onu rapporte que « C’est aux autorités nationales qu’incombent en premier lieu le devoir et la responsabilité de fournir une protection et une aide aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, qui relèvent de leur juridiction. ».
La discrimination faite donc par les autorités de police de Yaoundé contre les ressortissants des régions anglophones constituent une autre dérive grave. Le premier principe directeur de l’Onu sur les personnes déplacées est un peu plus clair sur le sujet. « Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays jouissent, sur un pied d’égalité, en vertu du droit international et du droit interne, des mêmes droits et libertés que le reste de la population du pays. Elles ne doivent faire l’objet, dans l’exercice des différents droits et libertés, d’aucune discrimination fondée sur leur situation en tant que personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. » Le journaliste Moki Edwin Kindzeka que les agents de police ont voulu confondre à un déplacé anglophone pour mieux réprimer et torturer peut donc saisir la justice sur la base de ces différentes violations et demander réparation. Les pays signataires de ces lois internationales sont contraints de les mettre en application dans leurs pays respectifs. Sur le plan national, les articles 277 et 131 du code de procédure pénale condamnent toute répression sur les journalistes.