Je t'aime, toi, je ne pense qu'à toi. Je n'ai besoin que de toi. Je ne sais pas ce que je deviendrais s'il me fallait vivre maintenant sans toi, je crois que je ne vivrais pas. Telelle est l’une des citations les plus célèbres de Juliette Drouet.
Juliette Drouet et Victor Hugo, c’est une histoire d’amour impossible, passionnée, palpitante et magnifique. L’histoire de deux amants exilés du XIXe que leurs sentiments réuniront pour le meilleur et pour le pire, et dont les lettres échangées garderont l’empreinte historique de leur amour. Cette histoire, l’écrivain Patrick Tudoret a su en capter l’essence mais pas seulement. C’est en effet grâce à son génie littéraire qu’au courant de sa plume il retranscrit avec profondeur les mots de Juliette. Une femme douce, à la volonté de fer, comédienne qui se consacra entièrement à son art et à sa relation avec le célèbre écrivain Victor Hugo.
Docteur en science politique, Patrick Tudoret est l’auteur d’une vingtaine de livres qui lui ont valu plusieurs prix dont le Grand Prix de la Critique Littéraire en 2009. Président du jury du Prix Tortoni, qu'il a créé la même année, il est aussi depuis 2011, membre du jury du Grand Prix de la Critique Littéraire. Pour son roman L’homme qui fuyait le Nobel (Grasset), il a obtenu en 2016 le prix Claude Farrère et le prix des Grands Espaces. Il est également l’auteur de plusieurs pièces jouées à Paris et en province. Universitaire, chercheur en sociologie des médias, il a collaboré à de nombreux journaux et magazines et donné pendant plus de dix ans des chroniques au journal La Montagne, chroniques publiées en recueil, en 2017, aux Editions Les Belles Lettres.
Il produit et co-anime également l’émission culturelle "Tambour battant", créée par Antoine Spire et diffusée le vendredi soir sur DEMAIN TV (chaîne 31 de la TNT). Breton, d'une famille originaire des Côtes-d'Armor, il passe son enfance entre la vallée de la Loire, la Bretagne et la Côte d'Azur puis son adolescence à La Rochelle avant de s'installer à Paris et de poursuivre ses études à La Sorbonne. Titulaire d'un DEA en sciences de l'information et de la communication, docteur en science politique (thèse sous la direction du Pr Lucien Sfez à l'Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne : "De la Paléo-télévision à la"Sur-télévision, vie et mort de l'émission littéraire"), il est chercheur en sociologie des médias et consultant auprès d'institutions diverses dont la Commission européenne. Aujourd’hui, il nous fait part de son parcours, de son travail mais aussi de ses projets et de son travail sur son roman "Juliette, Victor Hugo, mon fol amour". Interview.
- Comment votre passion pour la littérature est-elle née ?
Je date toujours cela à l’âge de neuf ans. J’ai compris que le livre en tant qu’objet symbolique, et plus que ça, allait prendre une grande place dans ma vie. J’ai commencé à lire de manière frénétique à ce moment-là. Des encyclopédies, des dictionnaires, mes premiers romans (Walter Scott, James Fenimore Cooper, J.O Curwood, puis Jules Verne…) et je n'ai jamais arrêté depuis. Assez tôt, aussi, à 13 ans environ, j’ai écrit de petits textes, des poèmes et ma première vraie nouvelle. Ça me fait sourire aujourd’hui, mais j’avais déjà une vocation très arrêtée, et quand on me demandait ce que je voulais faire dans la vie, je répondais écrire des livres. J’avais trouvé ma voie.
- Comment trouvez-vous l’inspiration ?
Je suis un être ambivalent,à la fois sociable, vouant un culte à l’amitié, enseignant etc., mais, comme tout écrivain, j’ai également besoin de solitude. Toutefois, je puise mon inspiration dans le monde. Je passe mon temps dans les cafés ou j’écris beaucoup car ce sont pour moi, des lieux d’observation extraordinaires. J’aime l’exemple de Georges Perros, qui disait "Je ne travaille pas, je suis travaillé". Écrire demande du travail, mais pour ce qui est de l’inspiration, on est travaillé. La genèse d’un livre, c’est comme porter un enfant. Écrire un livre peut être très long. Il y a un phénomène de gestation. "Juliette, Victor Hugo mon fol amour", par exemple, mon dernier roman, ça fait plus de trente ans que j’y pense. J’ai écrit plus de vingt livres entretemps, mais je savais qu’un jour, après une longue période de décantation, je l’écrirais.
- L’avez-vous écrit d’une traite?
Pendant toutes ces années, je me suis beaucoup renseigné, documenté. Je connais presque aussi bien la vie de Victor Hugo que la mienne. Cela m’habite depuis longtemps, c’est devenu naturel et je suis comme imprégné de cette histoire. À partir du moment ou je me suis mis à l’écrire, c’est allé très vite. Je "rumine" beaucoup, mais dès que je m’y mets, j’ai la chance d’écrire vite grâce au travail fait en amont et du coup, je garde un rythme. Si l’on met tout bout a bout, ça représente environ un an et demi, avec des temps de pause, pour Juliette. A chacun son rythme, son métabolisme, mais certains grands livres ont exigé des années à leurs auteurs. Flaubert a mis sept ans pour écrire "Madame Bovary". À contrario, Stendhal a dicté "La Chartreuse de Parme" en cinquante-trois jours…
Parmi toute les histoires d’amour au monde, pourquoi celle de Juliette Drouet et Victor Hugo?
Je dois rendre à mon père ce qui est à mon père. C’était un passionné de Victor Hugo dont il pouvait réciter des poèmes pendant une heure entière. Un jour il a évoqué Juliette Drouet. J’avais dix-huit ou vingt ans lorsque j’ai découvert cette histoire d’amour extraordinaire, hors normes, une passion tumultueuse, magnifique de plus de cinquante ans. Et Juliette, une femme magnifique. Depuis longtemps je voulais me mettre dans la peau d’une femme en écrivant à la première personne. Les magnifiques retours que j’ai sur le livre, des lecteurs et, surtout, des lectrices, me disent que j’ai eu raison de le faire. J’en suis très touché.
- Qu’avez-vous appris sur vous-même au travers de Juliette Drouet ?
Ça m’a confirmé plein de choses. Sans parler forcément de rapport amoureux, j’ai toujours eu des relations naturelles avec les femmes et j’ai beaucoup d’amies femmes. Peut-être parce que j’ai aussi une part féminine en moi. Pas mal de mes amies m’ont encouragé à écrire ce livre, à me mettre dans la peau d’une femme. J’ai toujours été sensible au combat des femmes pour leur émancipation et Juliette, sans être "féministe" (ce serait un bel anachronisme), était une femme forte, intelligente, clairvoyante, fidèle à ses choix. Il suffit de lire ses lettres, c’est une femme passionnée, mais pas du tout la vestale dévouée au culte du "Grantécrivain" à quoi certains hommes ont voulu la réduire.
- Que pouvez-vous nous dire sur le caractère de Juliette en tant que femme et actrice?
J’aurais adoré avoir Juliette comme amie (je n’ose pas dire amante, car je me vois mal en rival de Victor Hugo!), la côtoyer, sonder sa psyché et son âme. Juliette a laissé des écrits, plus de trente mille lettres qui découvrent sa personnalité. Quelques auteurs l’ont vue comme asservie à Victor Hugo. Je pense que c’est une erreur de jugement phénoménale. Il suffit de lire ses lettres, pour comprendre qu’elle l’adorait, certes, mais que c’était une femme forte et libre, libre de ses choix. Victor Hugo était déjà un écrivain célèbre quand elle l’a rencontré et cela n’a fait que s’amplifier. Il était marié, avait quatre enfants, imaginez le poids des conventions de l’époque. elle a donc accepté de jouer le jeu du secret, puis c’est devenu un secret de polichinelle et ils se sont affichés au grand jour. Elle était comédienne, pas une grande comédienne, mais elle a eu la chance de jouer avec les plus grands de ce temps et sur les plus grandes scènes. Hugo était un monstre dans tous les sens du mot, monstre génial, adulé, mais aussi dans la petitesse dont il a été capable en la trompant avec d’autres… Tout en l’aimant comme un fou et il était perdu, foudroyé, quand - comme c’est arrivé quelquefois - elle le quittait sur un coup de colère. Là commence mon roman. Elle part, car elle découvre une lettre que Victor Hugo a reçue d’une autre femme. Et je trouve magnifique qu’à soixante-sept ans, elle, et lui soixante et onze, ils agissent avec toujours autant de passion. Je suis ému par autant de fougue, de passion intacte. Elle se retrouve ainsi dans un hôtel, à Bruxelles, incognito. Victor Hugo s’effondre, il est toujours aussi fou d’amour pour elle et remue ciel et terre pour la retrouver.
Juliette a joué sur les plus grandes scènes, elle avait une carrière potentiellement prometteuse, mais quand elle rencontre Victor Hugo elle fait le choix de le mettre au premier plan. Elle l’a aidé à accoucher de lui même, à être le grand homme, le grand écrivain, la figure politique, extraordinaires qu’il fut. Lorsque Victor Hugo fut sérieusement menacé après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, élu du peuple, résistant clandestin, Juliette lui a sauvé la vie en lui trouvant des caches, puis en lui permettant de fuir vers la Belgique avec de faux papiers. Il y a d’ailleurs une lettre de Victor Hugo, que j’ai voulu mentionner au début de mon roman, où il dit clairement qu’elle lui a sauvé la vie. Juliette était capable de tout pour lui, mais c’était un choix de femme libre.
- Juliette faisait-elle donc ressortir le meilleur de Victor Hugo?
Lorsqu’ils se rencontrent ils sont très jeunes. Victor Hugo est devenu célèbre du jour au lendemain avec l’énorme scandale d’Hernani. Chateaubriand l’appelait "l’enfant sublime". Juliette fut en fait un catalyseur pour lui. Avec son intelligence, son caractère affirmé, elle était une des seules personnes capables de lui dire ses "quatre vérités" alors qu’il était une sorte de "star" adulée, dont on buvait littéralement les paroles. Elle lui permettait de garder les pieds sur terre. Elle a été son garde-fou, car, très conscient de sa valeur, il était sensible à la vanité, aux honneurs. On ne peut vraiment l’imaginer, car personne aujourd’hui n’a la gloire qui fut la sienne. Lors de ses funérailles en 1885, deux millions de personnes ont tenu à lui rendre hommage, quand à l’époque, la population française n’était que de trente-neuf millions d’habitants. C’est une renommée sans égale, qu’il fallait tempérer chaque jour. Et Juliette l’a fait.
- Quelles sont pour vous les qualités et les défauts de Juliette ?
Pour ses qualités, ce sont sa générosité et son intelligence. "Le comble de l’intelligence, c’est la bonté", disait Proust. Et je pense qu’il faut être intelligent pour être généreux. Elle a toujours été là pour Victor Hugo, y compris dans les drames qu’ils ont vécus ensemble, comme la mort de leurs enfants (rappelons qu’ils ont perdu deux filles au même âge, dix-neuf ans : Léopoldine et Claire Pradier, fille de Juliette) ; enfants et petits enfants de Victor Hugo qu’elle a considérés comme les siens. C’est un trait qui me touche. Autre qualité majeure aussi, à mon sens, son humour, sa grande fantaisie.
Pour ses défauts. Orpheline, elle a passé une partie de son enfance chez les sœurs "Madelonnettes". Si elle en garde une très belle foi et le souvenir de certaines sœurs compatissantes, ce fut très dur pendant ces cinq ans où elle n’a appris à devenir qu’une femme d’intérieur. L’enseignement pour les filles était limité et c’est ensuite qu’elle s’est forgé une vraie culture. En rencontrant le sculpteur James Pradier, par exemple, mais surtout ensuite Victor Hugo, à l’âge de vingt-six ans.
Elle sort alors d’une période aux mœurs quelque peu légères, d’un tourbillon parisien superficiel où elle s’est étourdie. Sa vive intelligence lui permet de brûler les étapes, d’apprendre vite et d’être plus tard celle qui copiera l’oeuvre de Hugo, lui sera un soutien précieux dans son processus de création, mais aussi cette hôtesse remarquable qui accueillera à sa table le tout-Paris artistique, politique et littéraire.
- Quelles étaient vos attentes en écrivant ce roman?
Je souhaitais que les lecteurs puissent découvrir Juliette. Elle mérite que les gens apprennent à la connaître. Et surtout, voir Victor Hugo à travers ses yeux, sous un autre angle, moins idéalisé, statufié. Une énième biographie de Victor Hugo n’aurait pas eu de sens. Mais sa vie intime, à travers les yeux de celle qu’il aima plus que tout avait du sens. Écrire ce type de roman demande évidemment beaucoup de travail, des recherches, et une vraie connaissance de l’histoire de leur temps. Mais en tant qu’universitaire (j’ai aussi commis des essais, des récits biographiques), c’est un processus que je connais bien. Apporter du neuf sur ce sujet n’était pas évident. Juliette me l’a permis car il lui arrive de ne pas mâcher ses mots. Elle nous montre Victor Hugo tel qu’il fut réellement, capable de grandeur, de génie, mais aussi d’une grande petitesse. Un autre des personnages éminents de ce roman, c’est bien sûr le XIXe siècle, si riche, si bouleversant et bouleversé, avec ses évolutions sans précédent et ses guerres. C’est un écrin incroyable pour leur histoire.
- Comment répartissez-vous votre temps d’écriture avec les métiers que vous exercez en parallèle, ne ressentez-vous pas parfois du surmenage?
Par choix, j’exerce en effet plusieurs métiers différents. J’aime passer de l’un à l’autre, mais aussi d’un genre écriture à l’autre car j’ai horreur des ornières. C’est ainsi que je passe du roman à l’essai, de l’essai au récit et du récit à la pièce de théâtre. Après, ce n’est qu’une question de rigueur et d’organisation.
- Pensez-vous faire partie d’un genre littéraire précis?
Les vingt livres que j’ai écrits montrent justement que je ne veux pas me cantonner à un genre précis. J’ai ainsi écrit un polar, des essais, une biographie, des albums, de la poésie, des romans, des pièces de théâtre. Et puis, dans le genre romanesque, j’aime aussi voyager, ne pas me contenter d’un style unique. "L’Homme qui fuyait le Nobel" (Grasset 2015, puis en poche), par exemple, qui est à ce jour, celui de mes livres qui a connu le plus vif succès, est un roman très contemporain. Avec "Juliette", c’est la première fois que j’écris un roman qui puise son inspiration dans l’histoire. J’ai toujours rêvé, comme H.G Wells, d’une machine à explorer le temps. Et justement, le roman est aussi une machine à explorer le temps et les êtres.
- Un dernier mot?
J’espère que les lecteurs comprendront que sans Juliette, Victor Hugo n’aurait pas été pleinement Victor Hugo. Elle a été une femme forte et d’une générosité incroyable. Plus forte que lui, même, d’après ce que j’ai pu en comprendre, et c’est aussi ce qu’il aimait en elle. Elle fut pour lui un soutien inébranlable dans les drames qu’ils durent affronter. On peut le voir dans les lettres qu’il lui écrit quand elle le quitte. Lorsqu’il l’a retrouve sur un quai de la gare du Nord après son escapade en Belgique, il lui susurre à l’oreille : "J’étais mort, je suis vivant". Elle fut celle qui lui permit de survivre dans les moments les plus douloureux de son existence.
Mon plus récent essai "Petit traité de bénévolence" (Tallandier), qui sera repris cette année en poche, parle d’une autre forme d’amour, mais dit bien que l’amour, dans ses acceptions les plus vastes, est un sujet qui me passionne. Je souhaite continuer à en explorer les arcanes avec sans doute aussi l’amitié, qui en est une des formes les plus exigeantes. D’ailleurs, je pense que si Victor Hugo et Juliette ont pu vivre leur amour au long cours durant plus d’un demi-siècle, c’est aussi parce qu’ils étaient les meilleurs amis du monde…
Suivez la conférence proposée par Femmes 41 en vous inscrivant à l'adresse suivante : [email protected]
Visioconférence "Juliette, Victor Hugo, mon fol amour" par Patrick Tudoret, le mardi 12 janvier 2021 à 18 h 30
Parisienne | Patineuse sur glace professionnelle et aerialiste en cerceau aerien | Web Journaliste... En savoir plus sur cet auteur
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