" Il y a chez l'homme une sorte de fixatif, c'est-à dire de sentiment absurde et plus fort que la raison, qui lui laisse entendre que ces enfants qui jouent sont une race de nains, au lieu d'être des ôte-toi de là que je m'y mette.
Vivre est une chute horizontale.
Sans ce fixatif une vie parfaitement et continuellement consciente de sa vitesse deviendrait intolérable. Il permet au condamné à mort de dormir.
Ce fixatif me manque. C'est, je suppose, une glande malade. La médecine prend cette infirmité pour un excès de conscience, pour un avantage intellectuel.
Tout me prouve chez les autres le fonctionnement de ce fixatif ridicule, aussi indispensable que l'habitude qui nous dissimule chaque jour l'épouvante d'avoir à se lever, à se raser, à s'habiller, à manger. Ne serait-ce que l' album de photographies, un des instincts les plus cocasses de faire d'une dégringolade une suite de monuments solennels.
L'opium m'apportait ce fixatif. Sans opium, les projets : mariages, voyages, me paraissent aussi fou que si quelqu'un qui tombe par la fenêtre souhaitait se lier avec les occupants des chambres devant lesquelles il passe."
Jean Cocteau : extrait de "Opium, journal d'une désintoxication" Éditions Stock, 1930 du même auteur, dans Le Lecturamak :