Cette soirée de l'attentat du Bataclan avait failli me coûter la vie et il est probable que je me suis sentie bêtement coupable d'avoir eu le bon pressentiment, de ne pas aller dans ce quartier ce soir-là, et d'être toujours en vie. Réaction stupide, mais humaine.
Il s'est trouvée, trois ans après sa sortie, une main amie pour glisser ce livre dans la mienne, de main. J'ai encore résisté quelques semaines. Et puis, alors que la France était englué dans le confinement (depuis le 28 octobre 2020) je ne pouvais plus décemment m'y soustraire.
Dès le début, je fus surprise par la façon dont me "parlent" les références musicales. Le Köln concert me renvoie dans un autre temps, au milieu d'autres souvenirs, mais en tout cas cela instaure une proximité avec l'auteur, ce que, précisément je devais redouter.
Arnaud Lahrer passe du "il" au "je" puis au "tu". S'il se met ainsi à toutes les places c'est peut-être qu'il s'interroge sur sa place, en toute logique puisqu'il ne voulait pas écrire ce texte. C'est aussi que soudain il n'existe plus que par un fil. Le "je" est dissous. Il l'écrit clairement (p. 66). Il donne aussi la parole -dans une sorte d'hommage pluriel- à tous les protagonistes possible, jusqu'à la quasi photographie des messages publiés sur son fil Facebook (p. 71) et même jusqu'au dernières lignes qui sont offertes comme une dernière confidence.Il a l'humour chevillé au corps. Qu'il exerce de diverses manières. Dès la couverture où l'on peut voir un objet étonnant et néanmoins légitime. Il y a des choses auxquelles on tient, nous adultes, et qui remplissent une fonction proche de celle du doudou pour un enfant. Lui, c'était cette paire de santiags qu'il ne va pas accepter avoir perdues (ou pire qu'on la lui ai volée) cette nuit là.Le texte qui figure sur la quatrième de couverture témoigne de son art de la dérision :
Quand on est extraverti comme je suppose qu'il l'est, ce doit être très difficile de résister à l’appel de la page blanche, je ne dirais pas du clavier puisqu’il est de notoriété publique qu’il écrit à la main, d’une écriture pointue et nerveuse, ponctuée de multiples ! .... dont le livre, une fois édité, est plutôt parfaitement nettoyé.Je suis romancier. J’invente des histoires. Des intrigues. Des personnages. Et, j’espère, une langue. Pour dire et questionner le monde, l’humain.Il m’est arrivé une mésaventure, devenue une tuile pour le romancier qui partage ma vie : je me suis trouvé un soir parisien de novembre au mauvais endroit au mauvais moment ; donc lui aussi.
J'ai été surprise de ne pas lire de lien de cause à effet entre ce qu'il désigne sous le mot de "mésaventure" et le titre du roman qu'il venait de publier, Marguerite n'aime pas ses fesses. C'est en effet dans le postérieur que la balle est venue se loger.
La langue dans laquelle il s'exprime est particulière. Et c'est ce qui fait qu'il est un auteur qui compte. Il n'a pas de tabous pour exprimer ses angoisses, surtout celle de ne plus re-bander. Il ne cache pas sa crainte des effets secondaires des médicaments (p. 196). Il n'hésite pas à rouvrir le dossier entre Voltaire et Rousseau et à reprendre les arguments en faveur de chacune de leurs théories et analyse la situation politique et le contexte des attentats d'une manière qui donne à réfléchir (p. 226).
Il réfute la position du survivant et de la culpabilité qui pourrait y être associée (p. 232).
La littérature n'arrête pas les balles. Il le démontre, preuves à l'appui (p. 237). Il n'empêche. Le livre que je ne voulais pas écrire est essentiel. Il est à lire ... et les autres aussi.
Le livre que je ne voulais pas écrire d'Erwan Larher, Quidam éditeur, août 2017Prix Millepages 2017