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De la Démocratie en Amérique

Publié le 07 janvier 2021 par Sylvainrakotoarison

" L'homme est pour ainsi dire tout entier dans les langes de son berceau. Il se passe quelque chose d'analogue chez les nations. Les peuples se ressentent toujours de leur origine. " (Tocqueville, 1840).
De la Démocratie en Amérique
C'est un événement incroyable qui a eu lieu ce mercredi 6 janvier 2021 dans l'après-midi à Washington : le Capitole a été envahi par une horde de trumpistes irréductibles ! Ce n'était pas du folklore, c'était sérieux, grave même, une femme blessée par balle tirée est finalement morte quelque temps plus tard. Il s'agit d'une véritable insurrection, les manifestants ont envahi la Chambre des représentants et le Sénat a failli être envahi...
Rappelons en introduction deux ou trois choses. Joe Biden a été élu Président des États-Unis par le peuple américain le 3 novembre 2020, et cela très largement. Malgré des retards de comptages ou recomptages, notamment dans certains États où les résultats étaient très serrés, la victoire de Joe Biden ne faisait plus aucun doute quelques jours plus tard. Très formellement, le 14 décembre 2020, les grands électeurs ont voté très largement pour Joe Biden, 306 voix contre 232 à Donald Trump qui n'a toujours pas accepté sa défaite. À cette occasion, le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch MacConnell a reconnu l'élection de Joe Biden.
Dès les jours qui ont suivi l'élection présidentielle américaine, la réalité s'est disloquée dans l'esprit du Président sortant Donald Trump et de ses partisans. Pour eux, ils avaient gagné l'élection et dénonçaient la fraude massive des électeurs démocrates. Jusqu'à maintenant, aucune fraude massive n'a été démontrée, et si quelques recomptages ont pu être refaits en améliorant le score de Donald Trump, cela restait insuffisant pour faire basculer un État et encore moins pour changer l'issue du scrutin.
Mais l'égocentrisme vaniteux de Donald Trump a fait qu'il est entré dans une autre réalité, une réalité virtuelle où il aurait gagné sa réélection. Souvent en utilisant une logique floue si ce n'est une logique shadok, voire des sophismes. L'un des arguments a été qu'il avait obtenu plus de voix en 2020 qu'en 2016 lors de sa (première) élection. Le problème, qu'il n'a pas pris en compte, c'est que Joe Biden a gagné beaucoup plus de voix que l'ancienne rivale Hillary Clinton.
Le mercredi 6 janvier 2021 avait un double enjeu institutionnel.
D'abord, une simple formalité, ou solennité : le Congrès devait annoncer officiellement le résultat de l'élection du 14 décembre 2020. C'est le Vice-Président de Donald Trump, à savoir Mike Pence, en tant que Président du Sénat, qui officiait. Peu avant la séance, Donald Trump lui a demandé de ne pas reconnaître l'élection de Joe Biden car on leur aurait volé sa réélection ! Une répétition digne des pires gosses mal élevés, capricieux et caractériels ! Respectueux de la Constitution, Mike Pence n'a pas donné suite aux demandes de Donald Trump.
Ensuite, il y a eu une double élection cruciale en Géorgie. En effet, on revotait pour choisir les deux sénateurs. Or, ce 6 janvier 2021, ce furent les deux candidats démocrates qui ont gagné l'élection, Raphael Warnock et Jon Ossoff. Le Sénat bascule donc en faveur d'une majorité démocrate. C'est donc une très heureuse victoire des démocrates qui contrôlaient déjà la majorité de la Chambre des représentants : Joe Biden va donc jouir, pour les deux prochaines années, d'un Congrès à majorité démocrate. Il n'aura donc aucun problème pour les nominations de son gouvernement et pour faire passer les lois qu'il souhaiterait. On peut dire qu'électoralement parlant, la Présidence Trump aura été particulièrement ruineuse pour son parti, les républicains.
De la Démocratie en Amérique
Revenons au Capitole. En pleine séance, des manifestants trumpistes extrémistes ont pris d'assaut le Capitole. Ils sont entrés jusque dans l'hémicycle des représentants. Ils avaient des armes. Puis, ils ont occupé le Capitole pendant plusieurs heures. Des troupes en renfort sont arrivées, ils ont réussi à faire évacuer la zone par des bombes lacrymogènes.
Parfum de coup d'État trumpiste. Climat de gilets jaunes. Absence totale de raisonnement et de légitimité. Refus de reconnaître une défaite. Attention, sur les photos, on ne lit pas "UMP" mais plutôt "TRUMP" ! Parfois "Jesus", d'autres avec "Non au vol" ou encore un refus du marteau et de la faucille, comme si les démocrates étaient de dangereux communistes !
Il y a aussi un arrière-goût du pseudo-putsch du 24 septembre 1993 lors du différend entre le Président de la Fédération de Russie Boris Eltsine et de députés de l'opposition qui l'avaient destitué illégalement et qui se sont enfermés dans le Parlement (menés par Alexandre Routskoï et Rouslan Khasboulatov). Finalement, Boris Eltsine a pris d'assaut la Douma le 4 octobre 1993, avec un bilan officiel d'environ 150 morts (certains évoquent 1 500 morts).
Le Président élu Joe Biden s'est donc ici révélé comme un grand homme d'État, gardant son sang-froid, la maîtrise de ses nerfs et surtout, l'unique voie de la légalité et du légalisme, une valeur essentielle pour les Américains. Quelle erreur stratégique commise par les excités trumpistes ! Grâce à eux, Joe Biden est entré dans l'histoire avant même d'entrer à la Maison-Blanche : " Notre démocratie est victime d'une agression sans précédent. Une valeur sacrée de l'Amérique a été attaquée. Le Capitole est un symbole de liberté, et c'est une attaque contre ce symbole qui a été perpétrée. (...) Je vais être clair. Les scènes de chaos au Capitole ne montrent pas le vrai visage de l'Amérique, elles ne représentent pas ce que nous sommes. Ce que nous avons vu, c'est un petit nombre d'extrémistes qui ne respectent pas le droit. C'est une insurrection, quasiment de la sédition, et cela doit cesser maintenant. J'appelle cette foule à s'arrêter ! ".
Joe Biden a prononcé un court discours sans note, improvisé, incisif et très efficace pour appeler au calme et pour demander à Donald Trump de faire gagner raison à ses troupes excitées : " Qu'il défende la Constitution et qu'il exige qu'on mette un terme à ce siège. Imaginez ce que peut penser le reste du monde en regardant la télévision. Nous sommes tellement meilleurs que ce que nous avons vu aujourd'hui ! ".
Donald Trump s'est exécuté en soufflant sur les flammes. Il a d'abord dit qu'on lui avait volé leur victoire, a excusé la violence, mais a dit quand même qu'il fallait rentrer chez eux et rester pacifiques : " Rentrez chez vous ! Nous devons avoir la paix, l'ordre, nous voulons que personne ne soit blessé. ". La maire de Washington Muriel Bowser a décrété un couvre-feu à partir de 18 heures (minuit heure de Paris) pour retrouver le calme au Capitole. Le Vice-Président Mike Pence, qui a été évacué en urgence, a également demandé l'arrêt de l'insurrection : " Toute personne impliquée doit respecter les forces e l'ordre et quitter immédiatement le bâtiment. ".
Donald Trump se montre ainsi comme le plus lourd boulet de l'histoire politique des États-Unis. Il sera encore la honte des citoyens américains, y compris des républicains, pour tout le siècle voire les siècles à venir. On le réduira à cette sinistre journée du 6 janvier 2021. Honte.
Historiquement, le Capitole ne fut attaqué qu'une seule fois, le 24 août 1814, incendié complètement par les Britanniques. L'attaque du 6 janvier 2021, qui a coûté la vie à au moins une personne, va durablement rester dans la mémoire collective mais va aussi politiquement faciliter l'accès à la Maison-Blanche de Joe Biden. Ce dernier, en effet, s'est montré rassurant, professionnel, sage et n'a commis aucune faute de communication (contrairement à sa réputation de gaffeur). Son grand âge (78 ans) peut même le servir pour devenir le père de la démocratie américaine, une sorte de patriarche qui va essayer de détrumpiser le pays, à savoir, de le pacifier, de le rendre plus tolérant et moins clivant, moins hystérisé. C'est en tout cas son intention. L'ancien Président républicain George W. Bush a déjà fait savoir qu'il assisterait bien naturellement à la cérémonie d'intronisation de Joe Biden le 20 janvier 2021. État de droit.
La plupart des pays étrangers, en particulier les pays amis des États-Unis, comme le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, ainsi que l'Union Européenne, ont sévèrement condamné cette insurrection et cette situation honteuse pour la démocratie.
Ainsi, dans une vidéo publiée sur Twitter, le Président de la République française Emmanuel Macron a affirmé se tenir près du peuple américain : " Quand dans une des plus vieilles démocraties du monde, les partisans d'un Président sortant remettent en cause par les armes les résultats légitimes d'une élection, c'est une idée universelle, celle d'un homme, une voix, qui est battue en brèche. Aujourd'hui, la France se tient au côté du peuple américain avec force, ferveur et détermination, et au côté de tous les peuples qui entendent choisir leurs dirigeants, décider de leur destin et de leur vie par ce choix libre et démocratique des élections. Je veux dire notre confiance dans la force de la démocratie américaine. Je veux dire notre lutte commune pour que nos démocraties sortent plus fortes de ce moment que nous vivons tous. ".
Donald Trump n'a évidemment pas organisé ces violences mais les a suscitées en encourageant ses partisans à "marcher sur le Capitole". Ce qu'ils ont fait au premier degré. Donald Trump qui ne reconnaîtra pas son échec électoral s'est totalement discrédité non seulement aux yeux de la communauté internationale mais aussi des citoyens américains, y compris ceux qui ont voté pour lui, qui ne peuvent plus supporter un tel manque de loyalisme que l'on considère généralement pour de l'antipatriotisme.
Selon certaines affirmations, Donald Trump aurait prévu de quitter la Maison-Blanche le 19 janvier 2021, soit la veille de la fin de son mandat et aurait organisé un voyage dans sa propriété en Écosse pour jouer au golf pendant la cérémonie d'intronisation de son successeur. Malheureusement pour lui, la Première Ministre de l'Écosse lui a refusé l'entrée sur le territoire écossais. En effet, en raison de l'aggravation de l'épidémie, seuls les motifs considérés comme essentiels sont acceptés pour les arrivées en Écosse, et jouer au golf n'en fait pas partie.
Politique de terre brûlée d'un côté, sidération de l'autre côté. Les images de ces violences au sein du sein de la démocratie américaine font très mal aux citoyens américains. Probablement qu'elles provoqueront le même traumatisme psychologique que les attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001, à la différence qu'au Capitole, c'est effectivement un acte "interne" aux États-Unis.
Et d'ailleurs, puisque j'aborde le sujet, comment est-il possible que des dizaines voire des centaines de personnes armées et utilisant leurs armes aient pu entrer à l'intérieur du Capitole ? À l'évidence, cette journée aura montré également un grave amateurisme concernant la sécurité des parlementaires américains. Imaginons qu'au lieu d'avoir des excités trumpistes, il y ait eu des terroristes islamistes ? Cela aurait pu se transformer en carnage parlementaire... Pas de doute, Joe Biden aura du pain sur la planche pour son mandat.
Donald Trump a joué avec le feu et maintenant, c'est l'incendie qu'il ne maîtrise plus. Mais ne nous trompons pas dans l'analyse. Donald Trump n'a pas hystérisé les États-Unis. C'est le peuple américain qui s'est hystérisé et qui a permis l'élection de Donald Trump et peut-être, plus tard, d'un candidat d'une même brutalité.
Trump n'est pas l'initiateur, il n'est qu'un symptôme. En refusant de croire possible sa première élection en 2016 puis sa réélection en 2020, la plupart des éditorialistes ont refusé de voir lucidement l'état de la société américaine, le fossé entre les élites et les précaires, le retour à un esprit de plus en plus sectaire au point de refuser la science comme matière neutre. Et l'on se tromperait tout autant si on pensait que cette évolution n'a lieu qu'aux États-Unis. Ce courant populiste et même complotiste se développe dans toutes nos sociétés, y compris française, britannique, allemande, italienne, etc.
Pour finir, rappelons que les États-Unis sont plongés dans une aggravation épidémique très forte, avec environ 4 000 décès dus au covid-19 par jour. Ce 6 janvier 2021, plus de 260 000 nouveaux cas de covid-19 et plus de 4 000 décès. Inutile de dire qu'à Washington, il y aura un foyer géant dans quelques jours. Les manifestants, et même certaines forces de l'ordre, n'étaient ni masqués ni distants.
Épilogue : Les sénateurs ont repris dans la soirée, à 20 heures (heure de Washington), leur séance de certification de l'élection de Joe Biden.
Les sénateurs républicains qui avaient annoncé vouloir s'opposer à cette certification (Steve Daines, Mike Braun, également Kelly Loeffler qui a été battue en Géorgie le même jour par le démocrate Raphael Warnock) ont finalement renoncé à leur opposition en raison des violences de cette journée qui auront coûté la vie d'une femme. Quant au chef des républicains au Sénat, Mitch MacConnell avait déjà prévenu : " Nous allons certifier le gagnant de l'élection présidentielle de 2020 ce soir. Le peuple américain le mérite ! ". Le Secrétaire d'État Mike Pompeo est lui aussi cohérent : " L'anarchie et les émeutes, ici ou ailleurs dans le monde, sont toujours intolérables. ". Eh oui, les États-Unis sont devenus comme ces pays pauvres et autoritaires, qui plongent dans une crise sans fin et des émeutes à chaque nouvelle élection.
Dans son discours de réouverture de la séance, Mike Pence a déclaré : " La violence ne gagne jamais (...). Même après une violence et un vandalisme sans précédent dans ce Capitole, les représentants élus du peuple des États-Unis sont à nouveau réunis, ce même jour, pour défendre la Constitution. ". Quant à la Présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi : " Nous avons assisté à une agression contre notre démocratie (...) mais cela ne doit pas nous détourner de notre responsabilité de valider l'élection de Joe Biden. ".
Président des États-Unis de 2008 à 2016, Barack Obama a eu honte pour son pays : " L'histoire se souviendra à juste titre des violences d'aujourd'hui au Capitole, incitées par un Président en exercice qui n'a eu de cesse de mentir sans fondement sur l'issue d'une élection licite, comme un moment de grand déshonneur et de honte pour notre nation. ".
TRUMP est devenu le synonyme de HONTE. Honte aux extrémistes et complotistes trumpistes, ils sont la plaie et la lie de la démocratie, et pas seulement américaine ! Il est la risée du monde... et responsable d'un décès.
NB du 7 janvier 2021 : Le Congrès a certifié dans la nuit l'élection de Joe Biden. Donald Trump a reconnu que son mandat était terminé et que la transition se ferait de manière ordonnée. Quatre morts sont à déplorer par la faute de son irresponsabilité. Honte à lui ! Certains de ses ministres voudraient même l'écarter du pouvoir immédiatement.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (06 janvier 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
De la Démocratie en Amérique.
USA 2020 : and the Winner is Joe Biden !
Il y a 20 ans : George W. Bush vs Al Gore.
USA 2020 : le suspense reste entier.
Bill Gates.
Albert Einstein.
Joe Biden.
Rosa Parks.
Jean-Michel Folon.
Henri Verneuil.
Benoît Mandelbrot.
Covid-19 : Donald Trump, marathonman.
Bob Kennedy.
De la Démocratie en Amérique
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210106-presidentielle-us2020c.html
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/de-la-democratie-en-amerique-230013
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/01/06/38745320.html


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