(Note de lecture), Jean-Pierre Chambon, Michaël Glück, Une motte de terre, par Serge Ritman
Par Florence Trocmé
Un seul titre pour deux textes qui sont tête bêche dans ce livre élégant. C’est Michaël Glück qui a proposé sa Motte de terre à laquelle Jean-Pierre Chambon a répondu comme Claudel répondait les Psaumes, c’est-à-dire la faisant résonner dans son écriture, sa cosmologie propre. Celle de Glück est toute biblique, non au sens d’une fidélité à une tradition mais parce qu’elle est une lecture, une mikra, de la Genèse et de sa lancée : béréshit, entête selon Chouraki qu’évoque Glück mais aussi commencement selon Meschonnic. S’il commence par l’arbre, sa chevelure… c’est aussi par un recommencement de Francis Ponge, ramassons simplement une motte de terre, dans un parti pris de la terre, que le poète engage « le feu de la phrase », sa phusis, dans et par une voix qui, avec un souvenir d’enfance, réinvente l’écriture non pour une définitive inscription mais pour une danse pleine de « figures passagères » qui n’en porteront pas moins « l’odeur » de « cette motte de terre », ce poème. Chambon la/le reprend à partir du mot « arbre » qu’avait lancé Glück en en développant le souffle qui va jusqu’à ensemencer « le terrain » de son poème. Une autre Genèse, plus animale (« sangliers », « bêtes apeurées » ; etc.), relie l’humus et l’homme pour donner voix à un rêve d’enfoncement « à six pieds sous terre » pour une « sarabande endiablée ». Danse de « statuettes » que la main d’un potier a su modeler à partir « du chaos originel ». Mais la motte de terre originelle crée aussi de nouvelles cosmogonies possibles plus aériennes (« exoterres terraquées » ; « anges fantomatiques » ; etc.) jusqu’à ce qu’une litanie à la terre dans sa pluralité concrète accueille la motte de terre initiale. Beau passage de « cette motte de terre » remodelée en mondes possibles que seul le poème sait tenir jusqu’au partage des voix qu’on aimerait poursuivre pour que les humains s’humanisent comme cette « motte de terre ». Telle serait la portée non dénuée de merveilleux de ce « duo » : un poème du vivant continué.
N.B. Chambon et Glück poursuivent ici une collaboration dont Méditation sur un squelette d’ange avait témoigné en 2004 chez L’Amourier – n’oublions pas ce travail au long cours des poètes qui comptent.
Serge Ritman
Jean-Pierre Chambon, Michaël Glück, Une Motte de terre, « Collection duo », Méridianes, Montpellier, 2020, 22 p. 12€