Terreur à Wall Street : l’attentat à la charrette piégée de 1920.

Par Pmazet

Le 16 septembre 1920, à New York, sur les coups de midi, une bombe explose devant le 23 Wall Street, siège de la banque Morgan, la plus puissante des États-Unis, en plein coeur du district financier. Trente-huit personnes périssent, des centaines d'autres sont blessées. En cette belle journée de fin d'été, nombreux sont les passants dans ce quartier fréquenté de Manhattan : simples chauffeurs, sténographes, marchands et employés de bureau sortis à l'heure du déjeuner. Ce sont les principales victimes de l'attentat, parmi elles, cinq femmes, beaucoup de jeunes.

" J'ai vu deux flammes qui semblaient envelopper toute la largeur de Wall Street et monter jusqu'au dixième étage des immeubles alentour ", déclare un témoin. " J'ai couru jusqu'à une fenêtre ", raconte un employé travaillant au quinzième étage de l'Equitable Building, " Wall Street était couverte de poussière ". Au milieu de la rue gît le cadavre déchiqueté du cheval qui tirait la voiture contenant les explosifs.

L'attentat de Wall Street est demeuré le plus meurtrier de l'histoire des États-Unis jusqu'à celui d'Oklahoma en 1995, le pire de New York jusqu'aux attaques du 11 septembre.

Dans les heures qui suivent, tout New York s'émeut de la nouvelle et craint d'autres attentats.

Une violence qui vient de loin.

La bombe n'éclate pas comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu azur. Les États-Unis n'échappent pas à la violence des rapports sociaux qui a marqué la fin du XIXème et le début du XXème siècle. La lutte politique brutale ne concerne pas seulement les guerres indiennes ou les méfaits Klux Klux clan. Jusqu'aux travaux d'Howard Zinn (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Howard_Zinn), une grande part des luttes sociales américaines est restée dans l'ombre. Pourtant, la violence politique était monnaie courante dans la société américaine. Les grèves étaient très dures. Les entreprises employaient des mercenaires, des détectives privés, des agents provocateurs pour engager des combats avec les grévistes. L'attaque de Wall Street a en fait formé le point culminant d'une série d'attentats à la dynamite, explosif bon marché inventé au XIXe siècle et utilisé dès le massacre de Haymarket Square à Chicago en 1886. La " propagande par les faits " a fait florès des deux bords de l'Atlantique, entre les années 1880 et 1920. Les années qui suivent la fin de la Première Guerre mondiale sont difficiles aux États-Unis. La fin du dirigisme étatique mis en place en 1917 lors de la Première Guerre mondiale, la reconversion de l'économie et l'inflation provoquent une crise sociale qui favorise la montée du syndicalisme révolutionnaire. De nombreuses grèves éclatent dans tout le pays et les conflits sociaux sont de plus en plus violents. En 1919, on recense 4,1 millions de grévistes qui réclament de meilleurs salaires et une réduction du temps de travail. En avril 1919, les forces de police arrêtent un complot visant à l'envoi de 36 bombes à des membres et institutions éminents de l'establishment politique et économique américain : J. P. Morgan, John D. Rockefeller, le juge de la Cour suprême Oliver Wendell Holmes ou encore le procureur général Alexander Mitchell Palmer.

Le 2 juin 1919, dans sept villes du Nord-Est des États-Unis, huit bombes de forte puissance ont explosé quasi simultanément (une église catholique de Philadelphie étant la cible de deux bombes). L'un des objectifs était la maison du procureur général Palmer, à Washington. L'explosion tue le poseur de bombe, qui sera la seule victime, et des témoignages confirment qu'il s'agit d'une organisation radicale d'origine italienne dont l'antenne américaine se trouverait à Philadelphie, mais l'affaire n'a jamais été résolue.

Une enquête interminable.

Le choix de Manhattan pour une nouvelle action directe n'avait donc rien d'innocent. La charrette dynamiteuse visait la grande banque, la Bourse, Wall Street comme symbole du capitalisme ; comme la terreur du 11 septembre 2001 s'attaquait dans sa portion new-yorkaise aux tours du commerce mondial situées dans Lower Manhattan. Le bilan de l'attentat varie selon les sources ; la dernière victime, Francis D. Stoba, décède en novembre, presque deux mois après l'explosion. Trente-huit personnes trouvent la mort, plus de 200 sont blessées. Trois corps ne peuvent être identifiés, leurs blessures étant trop sévères. Les dégâts matériels s'élèvent à plus de deux millions de dollars. Pour la première fois dans l'histoire des États-Unis, les autorités suspendent l'activité de la bourse de New York, et des soldats sont dépêchés sur les lieux depuis la base militaire de Governors Island afin de sécuriser le périmètre. Les travaux des enquêteurs fédéraux vont durer presque quatre ans, s'étendre en Italie, en Pologne, jusqu'en URSS pour savoir si Lénine et Trosky ont piloté l'attaque meurtrière. Pourtant, à quelques rues de là, un postier trouve une pile de tracts signés " Les Combattants anarchistes américains " et portant l'avertissement suivant :

" Libérez les prisonniers politiques ou bien aucun de vous n'échappera à la mort ! ". Les forces du Federal Bureau of Investigation FBI, créé en 1908, sont les premières chargées de l'enquête. A leur tête, William J. Flynn est décrit par le " Chicago Tribune " comme " celui qui mènera la guerre contre le terrorisme ". On remarque à ses côtés un jeune juriste de 25 ans qui a déjà amassé plus de 200 000 fiches sur les activistes de gauche : Edgar Hoover, le futur patron du FBI. Mais bientôt, ce sont des dizaines de détectives privés qui sillonnent le pays, notamment le célèbre William J. Burns, surnommé " le Sherlock Holmes américain ". Ils infiltrent les milieux anarchistes, les cercles d'immigrants italiens puis privilégient la piste d'agents bolcheviques. Après avoir enquêté sur les lieux de l'attentat, Flynn suspecte aussitôt les Galleanistes, un groupe anarchiste organisé autour du journal " Cronaca Sovversiva " (La chronique subversive) publié par Luigi Galleani et condamné en 1918 par le ministère de la justice américain comme " le journal le plus dangereux du pays ". Comme de nombreux compagnons, Luigi Galleani est partisan de la " propagande par le fait ", une stratégie d'action politique basée sur la violence et ayant pour but de favoriser une prise de conscience populaire. Pour William J. Flynn, la motivation anarchiste de l'attentat était de venger l'emprisonnement de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti. Cependant, au moment de l'attentat, Galleani se trouve en Italie et rien ne démontre son implication. En se basant sur les souvenirs de militants anarchistes contemporains de Mario Buda, l'historien américain Paul Avrich établit la responsabilité de ce dernier dans l'attentat, lequel parvient néanmoins à partir pour l'Italie sans être inquiété. En vain, car après des années d'investigation, ni les responsabilités ni les mobiles exacts de l'attentat ne sont éclaircis.

Une victime collatérale : Edwin Fisher.

Edwin Fisher est un honnête joueur de tennis américain. Il a atteint les demi-finales des Championnats des États-Unis en 1896 contre Bill Larned et fut trois fois finaliste des Internationaux du Canada en 1896, 1897 et 1898. Les enquêteurs chargés de l'affaire deviennent rapidement suspicieux envers Edwin Fisher à la suite de la découverte de lettres envoyées à ses amis, dans lesquelles il leur intimait de quitter New York avant le 16 septembre, prévoyant une attaque imminente à la bombe.

Emmené en détention à Hamilton, Canada, il est surpris lors de son retour en train de porter deux costumes ainsi qu'une tenue de tennis par dessous. Il déclara être " prêt pour un match de tennis à n'importe quel moment ". Interrogé par la police à Bellevue, il affirma avoir reçu les prédictions " dans l'air, de la part de Dieu ". La police se rendant compte qu'il souffrait d'un trouble mental, et découvrant également qu'il envoyait régulièrement des lettres de la sorte, il fut relâché et envoyé à l'asile d'Amityville où il fut diagnostiqué " fou mais sans danger ".

Pour en savoir plus :

https://www.ledevoir.com/societe/586009/etats-unis-l-attentat-oublie

Un bon roman tiré de l'affaire :

https://www.babelio.com/livres/Rubenfeld-LOrigine-du-Silence/277252

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