Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 4) - Fragment 7

Par Blackout @blackoutedition

Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV

Photo de Simon Woolf

Fragment 7

Lèoche me fixe un rendez-vous en banlieue de Tchèbone. Au beau milieu d'un quartier résidentiel huppé, j'aboule au pied d'un garage-expo de trois étages : étain, « design » et protégé comme une banque suisse.
Je taquine la sonnette et le birbe au chapeau Panama vient m'ouvrir avec un grand sourire. Il m'invite à l'intérieur du parcage et je découvre une prodigieuse collection de tacots Porsche, allant des modèles anciens les plus mythiques aux prototypes dernier cri les plus délirants. Bien que je me torche le cul de ces carrioles de luxe et de leur envoûtement prestigieux, je ne peux m'empêcher de jouer au ballot du vingt et unième siècle en leur tirant le portrait avec mon smartphone de branluchard.
Évidemment, pas un de ces bolides n'a jamais tâté du bitume. Y'a des gars qui se gargarisent la rétine avec des maquettes de charrettes mythiques bouclées dans des emballages en carton, Lèoche prend son panard à reluquer les versions réelles et grandeur nature depuis son spacieux bureau vitré, les pieds sur la table, une Pilsner Urquell à la main. Du haut de ce foyer translucide et central qui ouvre une vue panoramique sur les trois étages ouverts de la galerie, mon hôte me fait profiter du paysage automobile en me rinçant la dalle d'une binouze.

Tu vois la Porsche rallye blanche et bleue là juste en bas, Kalache ?
Ouais, la vieille avec plein d'autocollants.
C'est une 959 Paris-Dakar de 1985. On m'en a proposé cinq millions l'an dernier.
Quoi ?
Il s'agit d'une voiture de groupe B transformée pour le désert, équipée d'un moteur 3.0 Carrera. Ce modèle fait partie des dix Porsche les plus chères de tous les temps.
Putain ! Mais comment t'arrives à te payer ce genre de bagnole ?
J'étais patron d'une usine Skoda sous l'ancien régime. Aujourd'hui je fais des affaires dans des domaines divers et variés : fabrication de climatisations pour les trains français, construction d'aquaparcs en Pologne ou production de composants pour les batteries des cellulaires. Une leçon à retenir : dans le business, Kalache, il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans le même panier, car s'il mord la poussière tu te retrouves sur la paille.
Clims, aquaparcs et batteries ? C'est un foutu bastringue...
Et ce n'est pas tout. Tu ne t'en rends pas compte, mais les français sont blindés de produits tchèques en permanence.
En effet, j'ai jamais fait gaffe.
Au fait, pendant que j'y pense, j'ai une broutille pour toi.

L'ancien m'allonge une enveloppe pleine à craquer de biffetons. J'ouvre avec indélicatesse et compte les coupures une à une.

Mais y'a dix milles couronnes, Lèoche. J'peux pas accepter.
Ce n'est qu'une bricole, ça me fait plaisir de te voir.
Tu m'offres dix mille couronnes parce que ça te fait plaisir de me voir.
Oui.

Richard Palachak

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