Marc Chapuis, consultant indépendant et DSI de transition, nous fait le plaisir de répondre à quelques questions sur son métier, sur ce que le Web 2 a changé, sur sa perception de l’évolution du web. Je l’avais rencontré lors d’une table ronde sur la justification de projets organisée par le groupe “management de projets” de l’AAESCP-EAP.
- Citoyen ! Il me semble que tu as participé à l’élaboration des DNS il y a de ça quelques années. Pourrais-tu nous expliquer ce que ça représentait à l’époque pour toi, et comment tu vois l’évolution du web, notamment concernant les nouveaux types d’extension ?
J’ai “rencontré” les problématiques liées au DNS à plusieurs reprises lors de ma carrière :
API, librairies, Sujet mineur dit très technique en 1990 1992 : jeune ingénieur “logiciel et systèmes” SE, puis leader d’une équipe, j’ai appris à lire les api, le code source, à recompiler certains exécutables unix (SunOS 4.x) auxquels manquaient la librairie/bibliothèque statique ou dynamique, permettant de faire des requêtes aux serveurs de noms. Notre mission : constater les bugs/les manques avec les clients français, renseigner les bases d’information, diffuser des correctifs. Mais aussi faire connaitre cette technologie lors des cours/TOI Unix que nous donnions
Techn
ologie à la mise en oeuvre complexe (DNS interne, DNS externe, bugs, problèmes de temps de réponse, de performance) pour un premier projet CRM sur Internet en 1994 le projet SunSolve de SunMicrosystems : ma mission à l’époque : webmaster france pour SunService, dans le cadre d’un déploiement mondial simultané dans 13 pays
Technologie qui renvoie aux organisations une image d’elle même et dont l’appropriation nécessite beaucoup d’écoute, beaucoup de formations sur mesure et une conduite du changement pilotée avec prudence par la direction de l’entreprise : on a aujourd’hui oublié les enjeux
et les difficultés des premiers déploiements fournissant Connexion fiable et sécurisée à l’Internet/DNS/email. Comment obtenir le consensus autour de chartes de nommage et d’adressage quand on est l’ordre des Avocats, l’ANAAFA ou la Caisse des Dépôts avec tous les GIE ?
Technologie renversante, premières découvertes des enjeux de l’identité numérique : comment oublier la réaction de mes clients, la surprise, l’effarement, une fois constaté que les traces numériques du DNS; combinées à d’autres traces, comme celles des firewalls, permettent de reconstituer l’emploi du temps, les recherches d’information, les centres d’intérêts des dirigeants et des experts avec une facilité déconcertante ?
Opportunité business, technologie mûre à partir de 1996/1997 pour l’industrialisation, la montée à l’échelle et l’amélioration continue des performances et de la gouvernance : qu’est ce qu’un fournisseur d’accès Internet, un ASP ? Un projet “Internet big numbers” pour servir des dizaines de milliers d’entreprises ou des millions d’abonnés ? Comment produire dans un délai limité les premières propositions commerciales en France de fermes de serveurs Web ou d’infrastructures de messagerie ? Les premières propositions commerciales pour accompagner des offres type intranet/extranet entièrement nouvelles ?
A nouveau contrainte technologique qui fait réfléchir les ingénieurs, les chercheurs, les architectes d’entreprise ou les directeurs de projet sur les limites de leur propre métier : des industries entières, des pays entiers, des choix importants pour la vie en société dépendent aujourd’hui de ce qu’on décide de faire du DNS et des plans d’adressage. Aucun des projets de signature électronique/identité numérique/wallet server des années 1990 2000 n’a réellement produit du fruit. Que retenir de l’explosion des dossiers UMTS et de la bulle .com ? La vitesse à laquelle les changements se sont produit reste pour moi un sujet d’étonnement. Je prenais encore souvent la porte en clientèle en parlant d’Internet en France, revenant des Java One, jusque dans les années 1998 1999 …
Evolution du web : il m’a toujours semblé que l’ambition des SE’s et des chercheurs que j’ai rencontré au cours de ma carrière, était de résoudre les problèmes qui empêchaient de relier des machines, des objets communiquants entre eux. Ou de construire des mécanismes d’échanges, des interfaces, des protocoles qui permettent de relier n’importe quel réseau, à n’importe quel autre réseau grand ou petit, en laissant ouvert à la décision des hommes et des entreprises, le choix des politiques de sécurité et de protection de l’information, en s’efforçant de minimiser les dépendances pour les individus et pour les contenus (l’overhead se paye cher en termes de manque de performance)
Noble ambition. Très différente de celle qui consiste à vouloir spécifier des territoires, des barrières ou des réseaux de bout en bout.
Que cherchaient les créateurs des premiers navigateurs ? Ils cherchaient à fournir une solution intégrée qui diminue l’effort d’apprentissage et d’intégration individuel imposé par nombreux protocoles (telnet, archie, veronica, ftp, gopher,…) et par les nombreux logiciels indépendants qu’il fallait maitriser un par un.
Une solution intégrée, au format de présentation allégé et simplifié, pour naviguer entre des contenus générés par des personnes ou par des petites équipes
Aujourd’hui le “web” renvoie à des gouvernements qui gèrent des territoires, à des business plans présents ou à venir qui gèrent des objets, des signes/marques ou des preuves ou à des entités qui facturent “à l’acte”, faute de mieux. A des efforts d’apprentissage et d’intégration collectifs.
Il faut apprendre à travailler dans un contexte nouveau.
Evidemment on peut rêver d’une libéralisation totale des extensions et des noms de domaine, une porte ouverte sur la créativité, sur l’exploration systématique des relations entre l’art de nommer, l’art de définir, l’art de représenter, de matérialiser et l’art de gérer les relations entre des traces numériques, des signes de présence, de communication, de rencontre et des preuves de résultat qui permettent de valoriser telle ou telle offre de produits ou de services.
Vaste problème : comment garantir que c’est bien une ressource qu’on met à disposition des hommes et des organisations, avec des contraintes acceptables; des degrés de liberté “démocratiques” et un rapport coûts/bénéfices “prédictible” ? Et non une empreinte numérique administrative indélébile, accompagnée de l’historique des changements et des motivations de ces changements ?
Et non, pire encore, une empreinte à choisir parmi n empreintes prédéfinies ?
Comment s’assurer qu’on minimise “l’overhead” et la barrière à l’entrée ?
Comment s’assurer qu’on conserve une possibilité de renouveler cette ressource, de changer les artefacts : images, symboles représentations, traces, sans “excès” ou avec un niveau de complexité, d’intensité capitalistique ou de contrainte acceptable ?
Comment s’assurer d’un usage équitable des nouvelles ressources et du pouvoir de position qui découle de leur existence et de l’existence des nouveaux outils de gestion ?
Comment gérer la confiance à la même échelle que le web actuel ?
Beaucoup travaillent à l’amélioration du web. Faisons leur confiance. Ou souhaitons pouvoir les aider à ne pas s’enfermer.
Souhaitons pouvoir les aider à gérer de façon plaisante pour toutes les cultures le web des objets communicants - robots, surfaces sensibles, vêtements …-
Je serais heureux de réunir mes clients de l’époque et mes contacts linkedin pour leur poser la question, 10 15 ans après.
- Par rapport à tes activités professionnelles, notamment pour tout ce qui concerne le change management, le “Web 2″ a-t-il ajouté des difficultés ?
En ce qui concerne le change management, je m’efforce d’aider mes clients, ainsi que les collaborateurs que je dirige parfois, à bien collaborer pour ne pas se tromper d’enjeu : il est souhaitable que l’interaction, l’image, l’expérience in situ, le bénéfice exprimé, le cri de ralliement, le “concept” précède l’écriture ou le dialogue formel.
C’était déjà vrai il y a 10 ans. Quand la performance des usages individuels dépasse celle des organisations, il y a du souci à se faire du côté des comités de direction et des DSI. Le B2B a souvent beaucoup à apprendre du B2C, du CtoC et des usages “gigognes”, avec effets d’externalité de réseau. A l’époque je faisais déjà visiter des cyber cafés montés par des limonadiers …
Je dois aussi m’assurer que je suis bien en train d’aider ou au moins de ne pas nuire.
Un bon consultant, un bon DSI de transition doit être attentif à rester force de proposition et à bien choisir les projets et les “exemples” qui permettent d’introduire de nouvelles technologies ou de nouvelles compétences.
Un bon DSI doit rester à l’écoute de “porteurs de projets”/agents du changement, internes ou externes, et créer/recréer régulièrement les conditions qui permettent de ne pas enfermer l’organisation.
Et oublier parfois le passé.
Donnons à la maitrise d’usage la place qu’elle mérite, au même titre que la maîtrise scientifique et technologique : maquettes en milieu fermé, maquettes personnalisées en milieu ouvert, aides personnelles à la conception ou à la visualisation, labs, ateliers solutions exploitation systématique des retours d’expérience à partir de salons, de la vie quotidienne : écoute, responsabilisation de “jeunes”, pourquoi pas jeux/serious games type trivial pursuit adaptés.
Donnons également à la formation sur mesure la place qu’elle mérite.
Facteur clef de succès : bien s’assurer auprès des hommes clefs, des sponsors et des décideurs qu’un consensus minimum va émerger autour des ressources qu’on est en train de découvrir, avant de se lancer dans les débats de spécification et de conception.
Bon consensus budgétaire, bon consensus par rapport à des ressources d’entreprise, par rapport à des portefeuilles de projets ainsi que par rapport aux contraintes de transformation qu’on commence à voir émerger ici ou la :
- contraintes de transformation des ressources de capital physique, humain, technologique, juridique ou financier qu’on a l’habitude de manipuler.
- contraintes de renouvellement des ressources “classiques” et des nouvelles ressources
- contraintes liées à la gestion des hommes, des frontières/limites et des compétences
La maitrise est à ce prix. La capacité à faire mémoire et à se projeter est à ce prix.
Force est de reconnaitre que ce débat n’est pas toujours accessible. C’est toujours difficile de renouveler les débats.
- On dit souvent que “le monde est plat” : ton expérience en business development confirme-t-elle ce postulat ?
Dis tu cela parce que j’ai parfois eu des clients au “plat pays”, en Belgique ?
Mon expérience est que en mode push/bullish/culture de puissance/de l’action, ce paradigme est vraiment très pratique quand on souhaite déployer des modèles d’activité, de propriété intellectuelle qui ont fait leurs preuves.
Ou en importer …
Mais l’esprit de géométrie trouve tôt ou tard ses limites. Cf Question #1.
Limites du volontarisme, limites techniques, limites liées aux ressources ou à la capacité à renouveler ces ressources de façon rassurante et convaincante, sans compromettre l’avenir.
Limites de gestion : comment alterner grands projets/grandes rencontres, initiés d’en haut par le verbe des dirigeants, soutenus par les job process et par les technologies, et projets plus modestes qui émergent ici ou la sur budgets de créativité locaux qu’on souhaite simplement comparer entre eux et “gérer” ?
Comment intégrer des règlementations, des processus de gouvernance ?
Mon expérience en tant que conseil de dirigeants est qu’on n’échappe jamais aux mystères de la rencontre, au dialogue ; à la rencontre de l’autre dans son propre contexte ; à la rupture du dialogue et à son dépassement.
Appelons ça reconnaître que tous les langages secrets sont dans la nature.
Au fait, as tu déjà essayé de dessiner des graphes, de superposer des graphes, d’optimiser des graphes, même dans un monde supposé être plat, par exemple en t’imaginant à la place de logisticiens ou de transporteurs ? Ou dans la peau de celui qui négocie avec les sous traitants qu’on va géolocaliser et avec leurs avocats ?
Est ce un art d’exécution ou une science exacte, à plat sur un dessin ?
- Si tu avais une question à poser à quelqu’un venant du futur, quelle serait-elle et pourquoi ?
Et la création, la mer, le ciel, les forêts, les animaux, l’espace qu’en reste-t-il ? Qu’en avons nous fait ? Que devient l’homme ?
Ex : Y a t il toujours des fourmis pour inspirer les chercheurs (ex : algorithmes d’optimisation type “colonies de fourmis …)
ou des abeilles pour mesurer la pollution (SI en cours de construction en Suisse)
Marc Chapuis, je l’ai rencontré lors d’un atelier du groupe management de projets de l’AAESCP-EAP. Après une formation initiale d’ingénieur, ENS Géologie de Nancy (1985), DEA INPL matières premières minérales et énergétiques (1985), et un début de carrière tourné vers la recherche et le calcul scientifique, Marc Chapuis rejoint en 1990 le fournisseur de matériels, logiciels et services informatiques Sun Microsystems. Il s’oriente à partir de 1993 vers le conseil technologique, le développement de missions, formations sur mesure ou projets au profit des centres de recherche, grands comptes et opérateurs de services Internet, sécurité ou mobiles qui investissent massivement à partir de 1994. Il se spécialise ensuite dans la gestion opérationnelle de missions et de dossiers clients complexes – extranets B2B, BtoBtoC, portails wap ; plate-forme de services bancaires ou de paiement en ligne - en rejoignant à partir de juin 2000 une PMI allemande.
Diplômé (Msv2003) du Master of Business Consulting ESCP-EAP - Supelec (2002-2004) , il collabore en parallèlle au projet entrepreneurial d’une PME française combinant services Internet et technologies innovantes de cartes à puces. Aujourd’hui consultant indépendant porté depuis 2005 par la société ITG, il intervient auprès de petites filiales de grandes entreprises, de structures de recherche et de PME/PMI pour des études amont, pour des audits de projets, ainsi pour des missions de conseil, de formation, de management de transition ou d’expertise en matière de management par projets et de conduite du changement.
Principale nouveauté 2008 - 2009 : répondre aux besoins de formation des non informaticiens – ingénieurs, juristes, professionnels de la santé, de la supply chain, de la sécurité … - en particulier sur les thèmes « Internet et sécurité » et « management par projets »