L'argumentaire de madame Botín s'appuie sur deux piliers principaux, relativement classiques mais rarement brandis avec une telle mauvaise foi. D'une part, elle souhaite un abaissement des exigences de capitalisation des établissements de crédit dans le but de mieux soutenir les économies chancelantes en pleine crise. D'autre part, elle réclame un renforcement des contraintes exercées sur les nouveaux entrants, startups et géants technologiques confondus, qui bénéficieraient selon elle d'un régime de faveur.
Sur le premier volet, il faudrait donc croire, en particulier, que le seul obstacle au déficit de financement (présenté au passage comme le facteur ultime de la reprise) est l'interdiction faite aux banques d'exploiter leurs capitaux dormants. Certes, quand les états apportent leur garantie, il est possible de faire sauter toutes les limites et d'imaginer de distribuer des crédits à l'infini. Mais si le prêteur doit seul maîtriser son risque, ne sera-t-il pas plutôt enclin à fermer les robinets par défiance avant d'épuiser ses réserves ?
D'autre part, la dirigeante du groupe espagnol semble prompte à oublier les véritables motivations du renforcement des règles prudentielles après la crise de 2008 : estimant que l'état actuel du secteur est beaucoup plus sain qu'à l'époque et que la concurrence de petits acteurs a été effectivement stimulée, elle voudrait que les mesures qui ont permis ces progrès soient abandonnées puisqu'elles ont produit le résultat attendu. Qui est assez naïf pour supposer que les dérives ne reprendraient pas dès leur retrait ?
Sur le deuxième axe, le raisonnement s'appuie sur la légende tenace (et entretenue sciemment par l'industrie) qui voudrait que les fournisseurs alternatifs ne soient pas soumis aux lois communes, en négligeant soigneusement de préciser que ces entreprises n'exercent évidemment pas tous les métiers de la finance et, par exemple, n'opèrent qu'un rôle de courtier ou ne prêtent pas les dépôts confiés par des particuliers, ce qui justifie que leurs obligations soient circonscrites à un périmètre restreint.
Pour couronner le tout, dans une consternante tentative de s'inscrire dans une tendance à la mode, Ana Botín achève de noyer le poisson, sur le thème pourtant crucial de la transition écologique. Voilà qu'elle demande une intervention des régulateurs afin d'accélérer les efforts des banques en faveur de l'environnement ! Qu'on se rassure, toutefois : il n'est pas question d'introduire des entraves supplémentaires, mais toujours d'instaurer des facilités, dérogations et autres assouplissements à prétexte vert.
En synthèse, aucune de ces élucubrations ne vaut d'être considérée sérieusement. Le secteur financier, dans son ensemble, doit continuer à être strictement encadré pour écarter toute possibilité de retour des excès du passé, qui ont mis en danger la stabilité du monde et le bien-être de populations entières. Du côté de la responsabilité sociale, la pression extérieure – des clients, des investisseurs, des marchés – devrait être suffisamment convaincante pour encourager l'action… sinon, hélas, rien n'y fera.
Enfin, reconnaissons cette diatribe pour ce qu'elle est : l'aveu tragique d'une incompréhension totale et d'une démission de la banque – Santander d'abord, mais peut-être aussi l'industrie en général – face aux transformations du monde. Reportant sur un mythe réglementaire la faute d'une montée en puissance de la FinTech sur le crédit (pourtant lilliputienne à ce stade), elle ne se rend pas compte que ce sont surtout ses modèles préhistoriques qui la mènent irrémédiablement vers l'obsolescence.