Françoise Vergès, l’amour et l’autodéfense

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Comment les femmes peuvent-elles se protéger sans pour autant nourrir les racines du système patriarcal, de la violence intrinsèque dont elles sont les victimes, sans « donner un plus grand pouvoir à une police (raciste) ? » Comment « imaginer la protection en dehors de la surveillance, de la prison et du paternalisme développementaliste » ?

Le dernier essai de Françoise Vergès, qui défend la « dépatriarcalisation et une décolonisation de la protection », offre en réalité moins une théorie définitive qu’il n’accumule les preuves historiques, récentes ou actuelles de la mécanique globale de la violence, de cette domination hétéronormée dont le viol est l’arme principale.

Pour Françoise Vergès, c’est bien qui l’État est au cœur de la production de cette violence, et ce n’est donc pas un hasard si le viol est une arme de guerre, qui s’exerce contre les femmes et mais aussi parfois contre les hommes, notamment dans le contexte colonial. L’État est « la condensation de toutes les oppressions et exploitations impérialistes, patriarcales et capitalistes » et c’est lui qui trace « la frontière entre qui doit et peut être protégée et qui ne peut l’être ou ne doit pas l’être ». En l’occurrence, il y a des femmes et des hommes dont la vie méritent moins d’être défendues.

Ainsi, l’État néolibéral ne saurait être le garant de la protection des femmes. Françoise Vergès s’oppose donc au « féminisme carcéral et punitif » et cherche ses réponses du côté d’Un féminisme décolonial– titre de son précédent essai – ou de l’abolitionnisme pénal défendu par une Gwenola Ricordeau dans Pour elles toutes. Femmes contre la prison (Lux, 2019).  L’intérêt de l’ouvrage est notamment de donner à voir la richesse du féminisme du Sud global.

On retiendra le nom de Sayak Valencia, la philosophe et militante de Tijuana, qui décrit l’avènement d’un capitalisme « gore », pour lequel « rester vivant se mesure à la capacité d’infliger la mort à un autre ». Pour sortir de la spirale de cette nécropolitique, d’un système qui institue la violence comme seul mode de relation, Vergès propose d’envisager « le paisible », qui « n’est ici ni pacification ni apaisement, mais une politique et une pratique de la solidarité, de l’amour et l’autodéfense ». La paix ne viendra pas de l’oppresseur, mais des corps dominés.

Une hypothèse également explorée par Paul B. Preciado dans ses dernières publications : « La révolution à venir n’est pas une négociation de quotas de représentation identitaires ou un aménagement des degrés d’oppression. La révolution qui vient place l’émancipation du corps vivant vulnérable au centre du processus de production et de reproduction politique. »

Cécile Gintrac

Françoise Vergès, Une théorie féministe de la violence. 
Pour une politique antiraciste de la protection.
Editions La Fabrique, 2020, 185 pages, 12 €

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