Personne ne vendait chère la peau de ce chef traditionnel dans le Ndian. Propulsé à la tête du gouvernement contre toute attente le 4 janvier 2019, l’homme se bonifie au fils des ans. Suffisant pour être dans les starting-blocks des favoris à la succession de Paul Biya ?
En deux ans, tout juste, celui qui n’avait jamais été un ministre plein, en grillant au passage les classes, en frustrant copieusement par sa nomination ses patrons d’hier, en s’installant à la primature, semble avoir dompté tous les préjugés entretenus sur sa personne à moins de ne les avoir pas foulés hardiment aux pieds. Dans sa posture, au quotidien, rapportent des sources crédibles de l’Immeuble étoile, il a une seule obsession : accomplir les quatre volontés de son patron. Il y est, contre vents et marées, accomplissant sa destinée politique. Au nombre des points retentissants qu’il faut inscrire au tableau d’honneur de Joseph Dion Ngute, se trouve la tenue du Grand Dialogue national (Gdn), dont le Palais des congrès de Yaoundé a été le théâtre du 30 septembre au 4 octobre 2019. C’est à n’en point douter son véritable baptême de feu, la première fois où Paul Biya dans son palais devait avoir des appréhensions au sujet du casting qui l’a présidé à jeter son dévolu sur le natif de Bongong Barombi.
Il ne devrait pas pour autant s’inquiéter outre mesure de la capacité de cet universitaire à trouver le juste milieu entre les enjeux nationaux et ceux qui sont communautaires. Il y a déjà qu’à la veille de sa nomination, alors qu’elle n’était pas encore rendue publique, des mains criminelles ont cramé sa résidence dans son village. Un signe fort perçu de Yaoundé comme une volonté manifeste de contestation du choix présidentiel porté sur lui, venant de certaines élites politiques des régions anglophones et spécifiquement de la région du Sud-Ouest. Même si au Gdn, il était étroitement appuyé par le Secrétaire général à la présidence de la République, dont les bureaux étaient connexes au Palais des congrès, la grande certitude est qu’il a managé cette grand-messe nationale avec maestria, laissant sur le banc de touche toutes les pessimistes et les incrédules de ses capacités à manager le gouvernement inconsolables de leur échec. C’est un jeu qui plaît visiblement à Paul Biya, de soutenir ceux qui sont abandonnés des leurs et de mettre un bémol à la confiance envers ceux qui soulèvent des foules.
Encaisser des coups
Après la tenue du Gdn, il a été aussi à la manette dans la proposition de loi portant Code sur les collectivités territoriales décentralisées, adoptée au cours d’une session extraordinaire du parlement en décembre de l’an 2019. Un autre point à mettre à l’actif de ce grand travailleur, est la mise en place du plan national de riposte contre la Covid-19. Sur le terrain, en dépit des périodes de flottement somme toute compréhensibles car cette pandémie inscrivait tous les Etats du monde au registre de l’urgence, il a tenu le cap avec les moyens qui étaient les siens. Qu’importe ce qu’on pourra dire, le gouvernement Dion Ngute peut se targuer d’avoir mené une bataille titanesque pour venir à bout de la Covid-19. Pour ce qui est des bruits de détournement qui défraient la chronique en ces jours, c’est une autre affaire. Même s’il y a la survenance d’une deuxième vague de contamination qui vient avec un renfort de publicité pour la vaccination, confortant le gouvernement de demeurer « focus on the matter », l’espoir demeure. L’autre round sur lequel l’opinion l’observe avec attention pour mesurer sa capacité d’encaisser les différents coups de massue qui lui seront servis de toutes parts, est l’organisation du Championnat d’Afrique des Nations (Chan) de football qui se déroule sur le sol camerounais du 16 janvier au 7 février 2021.
Quelle sera le niveau d’organisation et par-dessus tout, jusqu’où ira l’équipe du Cameroun ? L’ultime podium sur lequel chief Joseph Dion Ngute est des plus attendu pour qu’enfin un portrait lui soit décerné juste après deux ans à la primature, est la composition du nouveau gouvernement toujours annoncé mais jamais arrivé. De toutes les façons, il viendra tôt ou tard et chacun pourra se faire une idée au regard de la dimension des départs, certainement liés en partie au degré d’insoumission ou de désinvolture à l’endroit de l’actuel premier ministre annoncé toujours en poste par toutes les officines les plus introduites de Yaoundé.
Le premier ministre ou le premier des ministres ?
Les choses ne sont pas et n’ont pas toujours été aussi faciles qu’on pourrait le croire naïvement pour Dion Ngute. S’il est vrai qu’il est régulièrement annoncé que le président de la République le couvre de son aile paternelle pour qu’il réussisse dans ses missions, cela ne signifie pas pour autant qu’un tapis rouge lui est déroulé chaque jour pour que tout se passe bien. Erreur. Il a dû faire des mains et des pieds pour imposer sa notoriété au sein du gouvernement qu’il chapeaute. Et même là, il faut prendre sa « main mise » sur son équipe avec des pincettes. Il y a bien sûr des ministres qui prennent directement leurs ordres du président de la République ou du Secrétaire général à la présidence de la République, par ailleurs ministre d’Etat dans l’ordre protocolaire de son gouvernement. On se souviendra ici, qu’au moment de lancer le Gdn, Paul Biya l’avait envoyé en mission d’informer les siens de l’importance de sa tenue, car dans ce cadre on pourra discuter de tout, disait-il, sauf de la sécession. Il prit son bâton de pèlerin et son arbre de paix en main, et prêcha avec hardiesse l’évangile de paix attachée à cette grand-messe. Alors qu’il était encore en pleine mission, un de ses ministres, le ministre de l’Administration territoriale pour ne pas le nommer, le recadra depuis Paris en annonçant qu’au cours de ces assisses, la forme de l’Etat ne sera pas débattue.
Point. Du côté de l’Immeuble étoile, on but cette tasse d’humiliation servie au pire des moments jusqu’à la lie. Au sein de l’opinion, on commença à se demander qui était le véritable capitaine de l’équipe gouvernementale. Pour remettre les pendules à l’heure, chief Dion Ngute attendit l’avènement du Covid-19 pour siffler la fin de la récréation. Alors que les grosses têtes de son équipe prenaient leur liberté comme à l’accoutumée pour communiquer leur aise, le natif de Ndian frappa du poing sur la table en demandant à son monde de se discipliner dans leur communication, en d’autres termes de se référer à lui avant de pondre des communiqués en quelque sorte. Ressaisissement ! Mais à côté de cela, certains ministres peuvent toujours trouver des voies de contournement. Pour se mettre en scène et éclipser allègrement le premier ministre, ils descendent de ce fait directement sur le terrain au nom du chef de l’Etat, au point où l’opinion se demande si le patron du gouvernement est toujours informé de telles initiatives. La distribution des dons du Covid-19 en est un parfaite illustration.
Pilule amère
L’autre point faible de la solidité de la stature du premier ministre vient des secrétariats de la présidence de la République et de la primature. Le premier bénéficiant de la délégation de la signature présidentielle, recadre à volonté Joseph Dion Ngute, en prenant le bon soin à chaque instant, d’adresser les injonctions au secrétariat de ses services. C’est à ce dernier que revient donc la responsabilité d’annoncer ou de donner en dernier ressort la pilule amère à avaler au locataire de l’Immeuble étoile. On se souvient, qu’il a été stoppé net dans sa volonté de mettre de l’ordre dans le capharnaüm des directeurs des entreprisses publiques. Du secrétariat de la présidence, une cinglante lettre est venue l’en dissuader pour toujours. Si Ferdinand Ngoh Ngoh est comme une sorte de marteau qui frappe sur celui qui est né le 12 mars 1954, l’enclume sur lequel la frappe l’aplatit merveilleusement est le secrétaire général de ses services. Séraphin Magloire Fouda, puisqu’il s’agit de lui, ministre de son état, passé par le secrétariat de la présidence de la République.
Il comprend mieux que quiconque les instructions venant d’Etoudi, où il a été la doublure de Ferdinand Ngoh Ngoh pendant près de quatre ans. Tel est le dessin des dédales à travers lesquels passent le Premier ministre même si avant toute chose, il faut reconnaître à Séraphin Magloire Fouda sa profonde maîtrise des questions économiques et financières. Ce qui est aussi un atout auprès du patron gouvernement. On se félicite à la fin que celui qui n’a été que ministre délégué auprès du ministre des Relations extérieures chargé du Commonwealth pendant 20 ans et chargé de mission à la présidence pendant juste une année, arrive à manager sans trop de casse un gouvernement, une équipe où les ténors politiques pullulent. C’est aussi une force à prendre en compte, un peu comme s’il copiait de son maître quand il était ministre, regardé de très haut par beaucoup de ses ministres, les barons du régime d’Ahmadou Ahidjo.