La crise sanitaire est à l'origine de la prise de conscience de cet archaïsme persistant aux États-Unis (et ailleurs, probablement). Non seulement les aides d'urgence gouvernementales sont-elles distribuées, pour l'essentiel, sous forme de chèques imprimés mais, en outre, une multitude d'employeurs utilisent toujours ce support obsolète pour les versements de salaires, induisant des manipulations, des déplacements et des contacts que beaucoup préfèreraient éviter en cette période de distanciation sociale.
Tout en espérant bénéficier d'un surcroît de dépôts de fonds, l'objectif de Venmo avec son option d'enregistrement en ligne est de simplifier les démarches de traitement et, tandis que nombreux sont les consommateurs qui vivent au jour le jour et dépendent de la moindre subvention, d'accélérer l'accès à l'argent (disponible en quelques secondes dans la plupart des cas). L'entreprise pousse même son engagement jusqu'à rendre l'option (temporairement) gratuite pour les chèques reçus de l'administration.
Si je fustige régulièrement dans ces colonnes la timidité flagrante des efforts de bien des grandes institutions financières dans la transition numérique, qui est soudain devenue critique en raison de la pandémie, d'autres secteurs, notamment dans les services publics, sont également coupables d'un conservatisme doublement néfaste pour la société, par les frictions et les inefficacités qu'il perpétue dans leurs missions et par la pression qu'il impose implicitement au reste de l'économie de les compenser.
Le cas d'espèce incite de plus à se pencher sur l'histoire américaine du chèque. En effet, presque 20 ans après l'adoption de la réglementation autorisant l'encaissement par voie électronique (dans le sillage des attentats du 11 septembre 2001), l'évidence s'impose : cette étape intermédiaire, par nature bancale, n'a aucunement contribué à faire disparaître un moyen de paiement d'un autre âge. Certes, l'éradication n'a guère progressé ailleurs dans le monde, mais elle est désormais encore plus difficile après les investissements consentis dans la modernisation des systèmes de gestion.
Pourtant, quand cette lente dérive aboutit à la sorte d'obligation que ressent un acteur technologique tel que Venmo, résolument ancré dans le XXIème siècle, de prendre en charge l'instrument périmé mais apparemment incontournable, l'heure est peut-être enfin venue de sonner l'alarme, auprès de toutes les parties prenantes, en appelant chacune à prendre ses responsabilités en vue de son élimination définitive. Ou bien l'industrie financière sera-t-elle condamnée à supporter le chèque jusqu'à la fin des temps ?