Les Hymnes à Dieu - śrīśrīśivastotrāvalī
par Utpaladeva
na dhyāyato na japataḥ syādyasyāvidhipūrvakam |
evameva śivābhāsastaṃ namo bhaktiśālinam || I, 1 ||
"Qui ne visualisant pas, ne récitant pas,
qui serait sans avoir d'abord procédé à un rituel,
et à qui ainsi précisément Dieu se manifeste,
à cet être plein d'amour je rends hommage."
Kshemarâja, dans son Explication de ces Hymnes divins d'Utpaladeva, rend d'abord hommage à la Déesse, afin qu'elle écarte les obstacles à l'émerveillement que sont le langage conventionnel et les inhibitions sociales :
oṃ
uddharatyandhatamasādviśvamānandavarṣiṇī |
paripūrṇā jayatyekā devī ciccandracandrikā
"Om...
Pluie de félicité, elle fait sortir l'univers
des ténèbres de l'aveuglement,
débordante en plénitude, elle triomphe, unique,
Déesse claire de la lune de la conscience."
Kshemarâja expose ensuite ses motivations : il a été sollicité à l'extrême et de mille façons par de nombreux "êtres plein d'amour" (bhaktiśālibhiḥ). Il va donc expliquer en bref les hymnes composés par l'Auteur du Poème pour la Reconnaissance du Seigneur en soi (īśvarapratyabhijñā), Utpaladeva. Ce maître au nom vénérable fut le maître du maître de Kshemarâja dans l'étude de la philosophie de la Reconnaissance. Il avait reconnu directement le Maître des maîtres, Dieu, en son Soi, son essence intime. Afin de la faire réaliser aussi par autrui à qui il désirait accorder la grâce, il composa l'Hymne essentiel, l'Hymne de la gloire, l'Hymne de l'amour, qui forment des chapitres de ce recueil, et des versets indépendants. Râma et Âditya les ont rassemblé en divers chapitres, ainsi que Vishvâvarta, dit-on. Ces hymnes sont ainsi devenu célèbres.
Voici l'explication du premier verset de ce premier chapitre :
La fin dernière est de s'absorber dans le Seigneur suprême, la délectation d'embrasser la Fortune qu'est la délivrance. Pour indiquer ce but, Utpaladeva chante ce verset qui est une célébration des êtres d'amour (bhaktajana) envahis par leur essence qui n'est pas séparée du Seigneur suprême. A ces êtres Dieu se manifeste "ainsi précisément", c'est-à-dire sans recourir à un moyen relevant du domaine de l'illusion, Mâyâ. Pour eux, leur Soi, qui est Dieu, se déploie pleinement. Comment ? Simplement parce qu'ils sont envahis par l'amour, par la dévotion et plein de participation (bhakti). Il n'aspirent à rien de plus. Et donc, hommage soit rendu à ces êtres plein d'amour divin ; nous nous prosternons devant ces êtres plein de participation, plein d'unité avec le Seigneur divin, unité pleinement déployée en vertu du miracle (camatkāra) de l'amour (bhakti). Nous nous prosternons devant eux, c'est-à-dire que nous réalisons à notre tour l'unité avec Dieu. Voilà pourquoi nous leur rendons hommage.
"Qui ne visualisant pas", etc. suggère une pratique, un chemin (krama) qui n'est pas de ce monde. En effet, partout nous voyons que la visualisation de la divinité et la récitation de son Mantra sont le principal du rite quotidien. Or, tout cela se déploie pour les êtres plein d'amour sans aucun moyen, sans méthode, puisque pour eux tout se manifeste clairement comme leur essence divine, félicité consciente ininterrompue, dotée de toutes les formes et sans forme aucune. Voilà pourquoi ils sont "sans avoir d'abord procédé à un rituel". Procéder à un rituel, c'est suivre une procédure qui présuppose une étude avec un maître, etc. Dès lors, toute procédure, toute pratique est "contractée" (saṃkucita), et donc ne peut servir de moyen à l'égard de notre Essence qui n'est pas "contractée". Et donc, pour ceux qui sont riches d'être possédés par l'Être et envahis par lui, le principal est de se consacrer à leur inspiration divine (pratibhā). Dieu le déclare dans le Tantra de la tradition originelle (srīpūrvaśāstra=Mâlinîvijayottaratantra) : "Ici, rien n'est prescrit"... "Pour qui ne se soucie de rien"... Dans le Chant du Bienheureux (gītāsvapi=Bhagavatgîtâ), de même, Dieu dit "Il s'absorbe en moi"...
Visualisation et récitation sont, en substance, Lumière et Réalisation (prakāśa-vimarśa, Shiva-Shakti, choses et noms, rûpa-nâma), et donc cette expression enveloppe toutes les pratiques telles que l'adoration (pûjana). Utpaladeva les cite parce qu'elles sont les deux pratiques principales qui contiennent implicitement toutes les autres.