Chroniques amerindiennes, de Gustavo Schimpp et Enrique Alcatena : puissant comme l'oiseau tonnerre !

Par Hectorvadair @hectorvadair
Inédites en français, ces histoires permettent non seulement de mieux connaitre un duo Argentin talentueux, mais d'ajouter aussi un bel album à la thématique légendes indiennes d'Amérique du nord. Du miel pour l’esprit et les yeux.
Dix histoires tirées de légendes, dont : Kyehe et le Windigo : Kyehe est un vieil indien, faisant profiter de ses expériences au papooses. Il va leur conter comment il a perdu son œil, en combattant le terrible Windigo, des années auparavant, alors qu’il cherchait à devenir un homme, un guerrier. L’homme qui n’était pas : décrit l’expérience étrange et fantastique de Mishe-Mokwa (grand ours des bois), enfant trouvé par le guerrier Iagoo, qui va grandir au sein de son village, puis ressentir le besoin de parcourir les bois, attiré par les ours, jusqu’à les rejoindre, définitivement...

Dans Quatre Iroquois, ce sont quatre guerriers qui se racontent l’histoire la plus fantastique de leurs chasses passées,afin de pouvoir s’approprier l’unique fusil échangé avec les blancs plus tôt le matin. Quelle histoire va remporter le lot ? ; Le faux visage nous fait découvrir la société des faux visages, et la terrible aventure de Nekumonta, devant rejoindre le monde fantomatique de ces derniers, pour toujours... ; Le vol du corbeau conte l’expérience chamanique d’Atotarho, jeune garçon mal traité par son père, qui va néanmoins battre un Chenoo, géant dévoreur de chair, grâce au concours d’un corbeau lui donnant l’ubiquité. Ce dernier est cependant bien plus que cela. D’autres récits tout aussi fantastiques suivent, tels : Un mince espace ; face tachetée ; chasseur au cœur sombre ; conséquences et responsabilités ; les murmures des bois.
Gustavo Schimpp (1966) est un auteur Argentin surtout connu en France pour le diptyque Berzarek avec Horacio Lalia, paru chez Albin Michel en 1999. Enrique Alcatena, bien qu'un peu plus ancien de onze années et davantage présent en termes de bibliographie, a surtout pu être apprécié avec l'étonnant gros volume de 179 pages Borlavento face au vent, paru en 2019 aux éditions Warum. C'est là que son dessin noir et blanc ciselé est apparu comme l'un des plus formidables de la grande tradition des classiques "hispaniques". Les éditions Ilatina nous font la surprise de traduire et proposer ces chroniques améridiennes, élaborées dans les années quatre-vingt dix pour les revues des éditions Eura : Lanciostory et Skorpio. 10 récits fantastiques puisant dans les légendes indiennes de tribus des cinq nations : Iroquois, Abnaki, Micmac, Oneida, Hurons, Mohicans, que le scénariste a été dénicher dans de nombreux ouvrages de référence, cités dans son avant-propos. Des ambiances rappelant certaines autres histoires, par des auteurs BD amoureux aussi des sous bois et des mocassins, ayant produit des classiques du genre, tels Hugo Pratt, Blanc-Dumont ou Derib, avec : Fort Wheeling, Court-métrages ou Premières Chasses (Buddy Longway).
Cependant, rarement cette thématique aura bénéficié d'un tel traitement, que ce soit au niveau de la pagination, de la présentation et avouons-le, artistiquement aussi. Précisons que les deux auteurs sont aussi responsables de l'histoire Daniel Boone dans les numéros 25 à 28 de Lanciostory, encore inédit en français cependant.

Au niveau scénaristique, Gustavo Schimpp parvient, au rythme de 8 à 14 pages par récit à nous immerger dans les vies, souvent dures, de membres de le communauté. Ces indiens ont à faire avec la nature, ses habitants et ses esprits. Si une certaine poésie est présente, et des moments de tendresse parviennent à émerger, comme lors de l'épisode Face tachetée et ces complices castors, la vie et la mort reprennent à chaque fois leurs droits, apportant la touche dramatique à l'ensemble. Et comme sombre est parfois le cœur des hommes, dure est la vie, et sans pitié sont les esprits vengeurs, souvent l'horreur fera son apparition dans les paysages sauvages des grandes forêts de l'est. Que ce soit sous la forme de monstres (Windigo, Chenoo : géant dévoreur de chair humaine, esprits fantômes, les  Odhowas, L'oiseau tonnerre…), ce peut-être aussi plus dramatiquement la coutume sanguinaire des Ottawas, torturant leurs ennemis jusqu'à l'aube, ce que, par honneur, ira constater Thayenda dans l’épisode Un mince espace.


Graphiquement, Enrique Alcatena donne pleinement vie à ces hommes et ces esprits, ces animaux et les grands espaces angoissants de ces forêts profondes et sombres, propices à toutes ces légendes. Son dessin, réalisé au pinceau et à la plume, mélange fluidité et hachures, magnifiant les tuniques mais aussi les esprits et les morts-vivants. Il offre des cases et des planches magiques, dignes souvent des meilleurs récits d'horreur. Parfois, dans un esprit carte à gratter, les hachures fines émergent d'un noir profond, et à d'autres moments, les tâches noires du pinceau explosent du fond blanc, tels les casses-têtes sur le crâne de Thayenda, au petit matin nuageux. Majestueux.
Vraiment, il était impensable que ces chroniques amérindiennes restent inédites. On ne remerciera jamais assez Thomas Dassance pour cette initiative.

FG

Chroniques amerindiennes, de Gustavo Schimpp et Enrique Alcatena
Éditions Ilatina (24 €) - ISBN 978-2-491042-02-8

Paru en 2019

© Toutes images : G. Schimmp/E. Alcatena/ Ilatina éditions 2019