Ce film sorti en 1969 est supposé être le grand chef d’œuvre d’Eric Rohmer. Je ne l’avais pas vu jusqu’à présent et je me faisais une joie de le découvrir car j’aime bien ce réalisateur, dont je connaissais déjà plusieurs œuvres d’époques diverses.
Je n’ai pas été déçue par « Ma Nuit chez Maud » mais j’ai compris, dans une certaine mesure, les critiques qui ont pu lui être adressées, aussi bien à l’époque de sa sortie que de nos jours, c’est-à-dire le reproche d’être trop intellectuel, d’accumuler les dissertations philosophiques d’une manière artificielle et prétentieuse, en décortiquant les Pensées de Pascal, les concepts abstraits, et les notions de jansénisme, de jésuitisme, de croyances religieuses, de choix moral et de principes de fidélité.
Pour ma part, je trouve que ce film pose des questions intéressantes, non seulement par ce qui est dit explicitement mais aussi et surtout par ce qui est montré et suggéré à travers les relations des personnages les uns avec les autres.
Commençons par une brève présentation du début de l’histoire et des personnages :
Le personnage joué par Jean-Louis Trintignant est un prof de mathématiques de 34 ans, catholique pratiquant, qui a repéré un dimanche à la messe une jeune blonde (jouée par Marie-Christine Barrault, âgée d’une vingtaine d’années) dont il a décidé, avant même de lui avoir adressé la parole, qu’elle deviendrait sa femme. Quand elle sort de l’église, elle rentre chez elle en vélo et Jean-Louis essaye de la suivre en voiture à travers la ville (Clermont-Ferrand) et dans cette course poursuite relativement lente on se demande où cet homme veut en venir exactement et s’il n’est pas un peu inquiétant. Nos craintes se dissipent lorsqu’il rencontre par hasard un ancien camarade de lycée, Vidal, perdu de vue depuis 14 ans, avec qui il exprime des convictions catholiques tandis que Vidal est un ancien communiste, donc athée. Ils parlent du Pari de Pascal, de la notion d’espérance mathématique, du besoin de parier sur des perspectives d’avenir exaltantes même si elles sont très peu probables. Vidal invite Jean-Louis le soir même chez son amie Maud (la belle Françoise Fabian), qu’il présente comme une pédiatre divorcée et athée, franc-maçonne, et cette rencontre va mettre à l’épreuve les principes moraux de Jean-Louis. Maud va être la perturbatrice qui cherchera à détourner Jean-Louis de ses principes de fidélité envers celle qu’il a décidé d’épouser et qui ne le connaît pas encore. Dilemme pour lui, donc, mais il n’est pas du style à se tourmenter pour si peu.
Mon humble Avis :
« Ma Nuit chez Maud » m’a paru peu clair dans ses intentions, et il peut prêter à de multiples interprétations et lectures différentes, voire opposées, selon le point de vue où l’on se place et les croyances qu’on a. Ce n’est d’ailleurs pas forcément un défaut, et je dirais même que cette ambiguïté du propos et des personnages contribue à la richesse, à l’intelligence et à la profondeur de ce film.
Je vous livrerai donc mon interprétation très subjective de cette histoire dont le principal ressort est d’opposer deux conceptions de la vie : celle de deux catholiques face à celle de deux athées, une opposition qui trouve son point culminant lorsque Jean-Louis est plus ou moins obligé de passer la nuit chez Maud – sous le prétexte commode d’une neige abondante et tenace, mais où l’on sent plutôt l’attirance des deux personnages l’un pour l’autre et surtout les atermoiements de Jean-Louis qui joue un rôle d’effarouché assez comique (il feint de vouloir dormir sur un fauteuil, s’enroule dans plusieurs couches d’édredons, prend des airs de sainte-nitouche offensée), tout ça pour se retrouver naturellement dans le lit de Maud quelques minutes plus tard, alors qu’il en avait probablement l’envie et l’intention dès le début.
Lecture de cette scène par un catholique : Maud est une athée, divorcée, aux mœurs très libres, et ça l’amuse de jouer les tentatrices avec un célibataire catholique un peu coincé. Elle essaye de le faire dévier de ses principes de fidélité et de morale en le séduisant. Et ce pauvre Jean-Louis, après un combat intérieur pas trop long (la chair est faible), cède devant tant de séductions. Mais il reviendra vite dans le droit chemin et retournera à ses premières intentions de mariage à l’église avec une jeune catholique bon teint pour fonder une famille heureuse où la morale sera sauve.
Lecture de cette scène par un athée : Jean-Louis affiche un catholicisme de façade mais n’est-il pas un peu hypocrite et comédien ? Quand il se drape dans son édredon, il se joue à lui-même la comédie de la vertu outragée mais c’est un peu de la tartufferie et il sait très bien qu’il finira dans le lit de Maud. Ce n’est pas un personnage honnête avec lui-même. D’ailleurs, il ment aussi à Maud en prétendant à plusieurs reprises n’avoir aucune femme dans sa vie et ne pas connaître de jeune fille blonde, alors qu’il poursuivait la jeune et blonde Françoise en voiture quelques heures plus tôt, la reluquait à la messe et se promettait d’en faire sa femme. Ne souhaite-t-il pas profiter de rencontrer Maud, cette femme belle, libre et solitaire, pour vivre une petite aventure sans lendemain et faire quelques entorses à ses grandes déclarations de principe ? Quant à Maud, elle raconte longuement à Jean-Louis les détails de son passé, et le traite comme un véritable confident, avec une grande confiance, et elle montre certainement une plus grande honnêteté et une plus grande fidélité à elle-même que son amant d’un jour.
Donc où est la morale ? Sûrement du côté de Maud, du côté de la liberté.
Un film vraiment passionnant, qui pose énormément de questions, et qu’on peut revoir plusieurs fois avec profit.
Je vous souhaite à tous une très Belle Année 2021 ! Avec plus de culture, plus de chaleur humaine et d’amitié, plus de choses essentielles pour l’esprit et une santé florissante pour vous et vos proches !
Meilleurs vœux !