Bavardages de fin d'année, en attendant 2021

Par Gangoueus @lareus

Etrange année 2020. Difficile de commencer aussi mal une décennie. Du moins, ce pourrait être une lecture rapide de cette année tumultueuse. Elle est aussi un moment de bascule, de réflexion sur ce qui fait sens, ce qui est important dans le vivre ensemble, la circulation de l'idée. Etrange moment. Ici, nous sommes sur un blog de lecture. J’ai envie de vous parler de cette année pour ce qu’elle a eu de pénible et d’intéressant pour le lecteur que je suis...


Je n’ai jamais aussi peu lu que cette année depuis la création de ce blog. Le début de l’année a été quelque peu prenant en raison d’un projet que je mène en parallèle des activités de Chez Gangoueus. Le premier confinement dans sa brutalité est venu assommer le lecteur que je suis. Il s’avère que sur cette période, j’ai eu des lectures imposées de manuscrits en tant que membre du jury du Prix RFI Voix d’Afriques. Une shortlist de cinq après une sélection de plusieurs centaines de manuscrits candidats. Vous connaissez le lauréat. Yaya Diomandé pour Abobo Marley publié depuis septembre aux éditions JC Lattes.
J’ai basculé sur la poésie. Pourquoi ? C’est difficile à dire. Par curiosité. Parce que dans le fond, la lecture d’un texte poétique ou d’un recueil de poésie est moins contraignante qu’on ne pourrait le penser. Que je ne pouvais le penser. Cette crise sanitaire bouscule nos habitudes, nos certitudes, nos activités. J’ai posé dans le cadre de Week-end Africain, le talk show auquel je participe sur MonParisFM, la question de leur rapport à la lecture à plusieurs écrivains que nous avons reçus via l’application Zoom.us. Dans le contexte du premier confinement. Sami Tchak, Hemley Boum, Cheryl Itanda… Leurs avis étaient différents. Mais, je n’étais pas seul à rencontrer des difficultés à lire. Des ami.e.s certain.e.s m’ont dit que les blocages pouvaient être dûs au stress et l’angoisse générés par la pandémie et ce confinement lourd. Je ne pense pas. Disons que mon contexte de lecture a changé. Je lis peu chez moi. Celles et ceux qui suivent mon blog depuis quelques années savent que je lis beaucoup dans les transports en commun franciliens. Pour être honnête, des événements ont fragilisé mon  écosystème. Et je suis actuellement plus sensible à la poésie. Même quand je n’y comprends rien. 
J’ai basculé dans la poésie . Pourquoi ? Parce que des passionnés de ce genre m’ont bien aidé. Je pense à Jean-Paul Tooh Tooh, écrivain et critique littéraire, qui nous a introduits au nouveau cénacle des poètes béninois sur Chroniques littéraires africaines. Les critiques engageantes de Jean Paul m’ont donné envie d’accéder à des textes souvent publiés à Cotonou, mais indisponibles en dehors des frontières béninoises. Sur Messenger, l’écrivain Daté-Atavito Barnabé-Akayi dédramatise ma posture de lecteur qui cherche à cerner un texte de poésie dans sa globalité et qui rame. «  Sens-le texte ! ». Je suis dans l’idée de son propos. Je le suis dans son propos. Je me détends. Et j’entends mieux ces poètes. 
Avec Loza Seleshie, j’ai monté une série de podcasts sur la poésie érotique produite par plusieurs auteurs du Gabon et du Bénin. Une série que je vous invite à découvrir si ce n’est pas déjà fait, parce que la prise de parole de ces hommes et ces femmes que nous avons confrontée est d’une grande qualité. Mais elle est révélatrice de postures, de rapports hiérarchisés entre l’homme et la femme, naturellement de passion, de projections, d’introspections. L’intime ici livré parle de politique, de perte de foi, de reconstruction. Intimité. Sensualité. Erotisme. Pornographie. Ces formes se côtoient dans la plupart des recueils de ces auteurs, heurtant parfois le lecteur ou la lectrice. On en parle différemment suivant que l’on slame ou que le texte reste sur une page. On en parle différemment selon qu’on est une femme ou un homme. 
Tous ces textes de poésie ne sont pas de même facture. Quand on sort du scope de la poésie érotique, on retrouve des textes relativement inégaux sur le plan de la qualité d’écriture et de l’engagement de l’auteur dans son port de voix.  Nsah Mala, Aimé Nouma, Henri Nkoumo, Nimrod. Ce dernier a obtenu le Prix Guillaume Apollinaire de la poésie avec Petit éloge de la lumière nature (éd. Obsidiane). Entre ceux qui jouent juste avec les mots, les patchworks, les textes écrits en réaction à un drame, on se forge une meilleure idée de ce qu’est un bon texte de poésie. Un texte où on finit par détecter la nudité du poète, la qualité de son cri et parfois une invitation à l’introspection qu’on accepte en fonction de l’exigence du poète.
Vous aurez compris que les romans auront peu marqué le lecteur que je suis en 2020. Je suis conscient que mon désintérêt pour ce genre est ponctuel. C’est mon voeu pour 2021. Que mes lectures parallèles en cours vous seront restituées par des chroniques au plus près du sujet. J’ai pris mon pied sur Week-end Africain. Je vous recommande d’écouter les passages de Sami Tchak, d’Hemley Boum et de Gauz pour leur analyse de ce monde dans la tourmente. Sami pour son pessimisme plombant et sa lucidité lumineuse. Hemley pour sa bonne humeur. Gauz pour entendre les frappes des artistes de Grand Bassam pendant que lui nous rappelle que la covid n’a pas de vieux à tuer en Afrique. C’est un bonheur de placer un écrivain sur ce type d’émission. Partager les sons musicaux et le discours des écrivains en mode confinement total a été un kiffe pas possible et une bouffée d’air frais exceptionnelle.
Je terminerai cette note en remerciant deux catégories de personnes qui participent à la vie de cet espace :Les contributeurs qui me font toujours la belle surprise de l'envoi d'articles toujours de très bonne qualité. Je pense à Pénélope Zang Mba, Abdoulaye Imorou ou Emmanuel Goujon. Les lecteurs que vous êtes de ces articles. Loin de Facebook, Instagram ou LinkedIn, vous donnez du poids à notre passion de lecteur. Merci !
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