Lorsqu’on aborde une civilisation aussi sophistiquée et complexe que celle des stoïciens, il est important d’accorder une importance capitale à la signification des mots. On dit des stoïciens, et c’est là un préjugé strictement faux, qu’ils sont des béni-oui-oui du destin, des résignées face à l’adversité. On se base sur cela sur le fait que le stoïcisme nous demande d’accepter et d’aimer les événements qui nous accablent même s’ils sont fâcheux tels que la perte d’un enfant, une amputation.
Ce genre d’affirmations erronées, faut-il le souligner une fois de plus ? provient essentiellement en premier lieu d’une connaissance imparfaite de la pensée des stoïciens. Ils proviennent de même, en second lieu, de la signification que l’on donne à certains mots tels que le verbe aimer, et le mot destin.
Le verbe aimer à plusieurs significations dont la portée est strictement différente. Ainsi, on dit d’une mère ou d’un père qu’il aime son enfant. Le verbe aimer a ici un sens très fort et très puissant. Puisque la perte d’un enfant est perçue comme la pire des tristesses. On peut de même utiliser le verbe aimer dans des phrases telles qu’aimer la patrie. Ici, il s’agit d’un sens qui est très flou, très fuyant et qui permet plusieurs interprétations.
Le mot destin à plusieurs sens, il peut prendre le sens de fatalité pour désigner des événements extérieurs à notre volonté, en général des événements négatifs. Il peut également avoir le sens d’événements heureux, tels que dans la phrase : le destin m’a fait rencontrer cette femme. On rapproche également le mot destin, du mot sort.
Ces remarques préalables sont indispensables et nécessaires pour bien comprendre la pensée des stoïciens et ne porter de jugement hâtifs sur leur philosophie et ne pas être trahi dans nos jugements par une signification incorrecte de certains mots.
Le contexte de la controverse
Toute l’incompréhension concernant la philosophie stoïcienne provient de la manière dont les stoïciens conçoivent l’univers, le COSMOS. Pour rappel, selon la pensée stoïcienne, le cosmos que l’on désignera ici également par Nature, est logique, harmonieux, parfait. Il ne comporte aucune imperfection. Les imperfections que l’on croit percevoir dans le cosmos sont dues tout simplement à notre jugement et à notre opinion. Lorsque quelque chose de grave comme une amputation ou la mort d’un enfant survient, cet événement n’est ni bon ni mauvais, il n’est pas là pour nous punir, ce n’est pas un bourreau. C’est quelque chose qui est réservé pour nous dans le but de de nous procurer par la suite un meilleur avenir. Meilleur avenir ne doit pas être pris a son sens contemporain. C’est plus subtil que cela. Je reviendrai sur cet exemple qui nous servira de fil conducteur.
Dans ces conditions, dit Marc-Aurèle, cet événement n’est ni bon ni mauvais, il s’inscrit dans la logique du Cosmos. Marc-Aurèle continue en précisant qu’il s’agit d’un sort, mais encore faut-il le comprendre au sens d’un épisode parmi d’autres comme les pierres d’un grand édifice qui s’ajustent les unes par rapport aux autres pour former une construction finale harmonieuse. En ce sens, il faut non seulement accepter ce sort, mais l’aimer.
Quelques remarques préliminaires. Marc-Aurèle précise bien que le caractère grave, dramatique n’est en fait que le résultat de nos jugements. Il précise bien que les événements que nous jugeons grave ne sont pas une injustice, puisqu’indépendamment, peuvent toucher le riche, le pauvre, le faible, le puissant, le vicieux, le vertueux. Il exclut donc de façon magistrale la notion de destin tel que nous la percevons.
D’autre part le mot aimer, si c’est bien le mot utilisé par Marc-Aurèle d’après les traductions, avait un sens qui s’est perdu de nos jours et qui était quelque chose de commun du temps des stoïciens. En tout cas il n’a pas cette signification d’attachement affective selon la compréhension contemporaine.Dans la conception d’un cosmos parfait, d’un cosmos sans imperfections, il ne saurait question de destin funeste qui par définition est quelque chose d’injuste, quelque chose d’imparfait, donc en contradiction avec l’idée même du stoïcisme.
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