Il y a plus de deux semaines, Warner Bros a fait une annonce choc : l'entièreté de leur programmation cinéma de 2021 aura le droit à une diffusion simultanée sur leur plateforme HBO Max pendant une fenêtre d'un mois aux Etats-Unis. De quoi élever des contestations et beaucoup de peur sur l'exploitation en salle et ranimer le débat Streaming v Cinéma.
Avant de se lancer, il est bon de préciser que nous analyserons la situation de Warner Bros principalement par le prisme de l'économie cinématographique américaine. En effet, la loi française sur la chronologie des médias empêchent tout film sorti en salle d'être exploité sur une plateforme de SVOD avant le délai de 36 mois, daté au jour de sa sortie sur les grands écrans.
De plus, le lancement dans l'hexagone de HBO Max n'ayant pas réellement été daté, les droits d'exclusivité des productions télévisuelles de Warner Bros sont partagés entre OCS, Salto et Warner Tv. Il serait non-avenu de tirer des conclusions hâtives sans qu'aucune information n'ait été révélé pour notre territoire. Seulement Wonder Woman 1984, qui devait sortir le 16 décembre dernier avant d'être une nouvelle fois repoussée suite à la fermeture des cinémas par le gouvernement, a bien été confirmé pour une exploitation salle par Warner France courant 2021.
Mais donc les 18 films qui sortiront simulatément sur les écrans américains et sur la plateforme HBO Max seront : Wonder Woman 1984, Dune, Matrix 4, The Suicide Squad, Godzilla vs. Kong, Mortal Kombat, Conjuring 3 : sous l'emprise du diable, King Richard, D'où L'on Vient, Space Jam: A New Legacy, Tom et Jerry, Cry Macho, Malignant, Reminiscence, Judas and the Black Messiah, Those Who Wish Me Dead, The Many Saints of Newark, The Little Things.
Ce ne seront donc pas seulement des petits films qui jouiront de ce mode de diffusion mais bien l'entièreté du catalogue mastodonte de la Warner Bros, aussi bien des gros blockbusters super-héroïques, des métrages d'horreur, que des œuvres plus indépendantes. Une stratégie sans précédent qui bouleverse les méthodes d'exploitations classiques et qui soulève beaucoup de questionnement et d'angoisse concernant l'avenir des salles de cinéma qui se retrouve menacée face à l'avènement du streaming.
Cependant avec le recul des deux semaines qui nous séparent de cette annonce choc et des différentes voix qui se sont élevées, il est temps d'analyser plus en profondeur ce choix exceptionnel et de nous poser la question suivantes : Est-ce un compromis légitime ou un véritable danger pour les salles de cinéma ?
Les sorties exclusives au cinéma, un suicide économique en ces temps
En ces temps de crise sanitaire, le territoire américain voit 30% (chiffre daté d'octobre) de ses salles de cinéma fermées, notamment en Californie et New York où se joue l'exploitation principale d'un film. Malgré cela, Warner Bros avait fait le pari fou de sortir sur les écrans internationaux , le nouveau blockbuster de Christopher Nolan, le studio s'affichant comme un fer de lance de l'exploitation en salle et sauveur des cinémas.
Mais malgré un résultat honorable au vu du contexte particulier, 359,9 millions de dollars de recettes au box office internationale, son budget de production pharaonique de 205 millions ajouté au budget marketing et d'exploitation se remboursèrent très timidement. Pas une catastrophe industrielle, mais un résultat plus que décevant, d'autant plus qu'il n'avait aucune concurrence. Une déception dont la rentabilité doit être assez minime et qui serait considéré comme un flop en temps normal.
Avec de tels résultats, et malgré toute la bonne volonté du monde concernant les cinémas, une réalité doit maintenant être admise : à l'heure actuelle les salles ne peuvent plus rapporter le succès commercial nécessaire pour rembourser de telles productions. Sortir un film (cher qui plus est) uniquement au cinéma en ce moment est et serait un suicide économique.
" C'est une réaction à une réalité économique que tout le monde devra admettre sous peu : même avec un vaccin, le business des films au cinéma ne sera pas assez robuste en 2021 pour justifier l'investissement nécessaire d'une sortie de film grande échelle. Il n'existe aucun scénario dans lequel un cinéma plein à 50 % - ou du moins qui ne peut recevoir 100 % des spectateurs - est une configuration viable pour sortir un film. "
Steven Soderbergh au micro de The Daily Beast
A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle : voilà donc le maître mot qui dirige cette stratégie sans précédent, comme l'a commenté Ann Sarnoff, directrice de WarnerMedia, lors de l'annonce :
" Nous vivons une époque sans précédent qui demande des solutions créatives, dont fait partie cette nouvelle initiative de la Warner. Personne ne veut plus que nous que les films sortent dans les salles de cinéma. Nous savons que les nouvelles productions sont la pierre angulaire des exploitants de salles, mais nous devons équilibrer cela avec le fait que la plupart des salles de cinéma aux Etats-Unis ne tourneront probablement qu'à une capacité réduite tout au long de 2021. "
Ann Sarnoff, directrice de WarnerMedia
Nous pourrions arguer qu'il suffit juste de re-décaler les sorties cinéma pour permettre au film de performer comme il se doit et ainsi favoriser le commerce des salles, comme ce fut le cas lors du début de la crise. Mais cela est malheureusement bien plus complexe.
Le retour sur investissements de Warner Bros
Comme le précise Claude Forest, professeur d'université à la Sorbonne et économiste du cinéma, à nos confrères de :
L'économie du cinéma, notamment celui de divertissement, se base sur de lourds investissements qui se chiffrent à plusieurs centaines de millions de dollars. Pour financer des films, les studios utilisent leurs propres fonds mais font aussi appel à des emprunts bancaires qui se doivent d'être remboursés dans un délais imposé et usent de bien d'autres maillons d'une chaîne économique qui nous dépasse. Repousser indéfiniment une sortie de film veut aussi dire repousser les entrées d'argent nécessaire pour amortir les budgets colossaux, les emprunts etc... Et donc à moyen terme d'être endetté et de risquer la faillite.
Qui plus est, la développement de film ne s'est pas pour autant arrêtée pour les années à venir et nécessite donc une rentrée d'argent pour pouvoir continuer les productions en cours. Une course contre la montre économique se joue et l'exploitation cinéma ne pouvant pas l'amortir, le studio se devait de prendre une décision pour rentabiliser leurs produits finis.
"Il s'agit de la survie d'un mammouth des télécoms, qui supporte actuellement une dette astronomique de plus de 150 milliards de dollars. Par conséquent, même si Dune parle de cinéma et de public, AT&T (ndlr-entreprise de télécom possédant Warner) parle de sa propre survie à Wall Street."
Denis Villeneuve, réalisateur de Dune, dans une lettre ouverte à
Une offre gagnante gagnante pour le consommateur, Warner Bros et les exploitants ?
Avec ce business plan porté sur HBO Max, Warner Bros attaque sur tous les fronts, aussi bien des salles que du streaming, pour assurer un maximum d'entrées d'argent et ainsi survivre économiquement à cette crise. Mais plus que cela, cette stratégie, au premier abord, permet aussi de soutenir les exploitants mal en point en leur assurant un produit d'appel fort qui leurs engrangeront un chiffre d'affaires qu'il n'aurait pu avoir dans l'immédiat si les sorties avaient été de nouveau repoussées.
Rappelons le, les studios et les salles s'étaient enfermés dans une situation où le serpent se mordait la queue : les producteurs ne voulaient pas sortir les films sur grand écran car trop peu d'entre eux étaient ouverts, n'assurant pas la rentabilité pendant que les salles ne voulaient pas rouvrir car ils n'ont pas d'assez gros films à mettre à leur affiche pour attirer le public et assurer leur propre rentabilité. En résulte une vague de licenciement des deux côtés, très bien résumé chez nos confrères d'Allociné. La décision de Warner Bros de sortir son contenu exclusivement sur sa plateforme s'avère donc être un moyen de briser ce cercle vicieux catastrophique.
" Avec ce plan d'un an uniquement, nous pouvons soutenir nos partenaires avec une production régulière de film internationaux, tout en donnant l'opportunité aux cinéphiles, qui n'ont peut-être pas accès aux salles de cinéma ou qui ne sont pas tout à fait prêts à y retourner, de découvrir nos incroyables productions de 2021. Nous voyons cela comme une offre gagnant-gagnant pour les fans et les distributeurs, et nous sommes extrêmement reconnaissant pour nos partenaires cinéastes de travailler avec nous sur cette réponse innovante en ces circonstances. "
Ann Sarnoff, directrice de WarnerMedia
Ann Sarnoff, le diable s'habille effectivement en prada....
Un compromis gagnant/gagnant qui n'oublie pas non plus le consommateur en le rendant libre de choisir sa propre méthode de visionnage, comme le précise la directrice de WarnerMedia : "Nous allons pouvoir amener au consommateur 17 films remarquables au cours de l'année, pour leur donner le choix et le pouvoir de décider comment ils veulent voir un film". A travers cette liberté, le spectateur à la santé fragile, réticent à l'idée de s'isoler dans une salle avec d'autres personnes potentiellement contaminante en pleine période épidémique ou n'ayant plus les moyens de payer une place de cinéma aura un accès facilité et équitable à la culture et au divertissement.
Mais est-il vraiment si viable de laisser une si grande liberté aux spectateurs ? Car les films, en qualité d'œuvre d'art ou même de divertissement, se doivent d'être des propositions d'artistes envers un public pour un médium spécifique et non un produit de consommation que le consommateur consomme à sa guise. Car lui laisser la liberté de choisir son médium, c'est aussi lui laisser la liberté de ne PAS choisir la méthode la plus chère et exigeante nécessaire à la lecture de l'œuvre et gâcher l'expérience cinématographique. Mais surtout c'est aussi l'occasion de lui faciliter l'accès illégal...
Le problème du téléchargement illégal
" La décision de Warner Bros. signifie que Dune n'aura pas la possibilité d'être viable financièrement et que le piratage finira par triompher. La Warner Bros. pourrait bien avoir tué la franchise Dune. "
Denis Villeneuve, réalisateur de Dune, à
En effet, à l'heure de l'immédiateté du tout numérique et de l'internet, un film qui sera disponible en streaming sur une plateforme le sera aussi en téléchargement illégal dans les 24 heures qui suivront et cela dans une très bonne qualité. L'exclusivité des cinémas étaient le dernier rempart contre le téléchargement illégal, les films piratés depuis les salles ayant une faiblesse de qualité repoussante pour n'importe qui. Un rempart que Warner Bros a brisé en tout état de conscience.
Ce choix dépassera les simples frontières de l'économie américaine puisque même si en France l'exclusivité cinéma sera maintenue par la chronologie des médias précédemment citée, l'œuvre sera tout autant disponible illégalement dans tous les pays.
Une stratégie qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur le système cinématographique français puisqu'une taxe à hauteur de 11% est prélevée sur chaque achat de ticket et directement reversée au CNC, un organisme aidant le financement de productions françaises. Ainsi des blockbusters américains faisant des millions d'entrées dans l'hexagone, permettent la bonne tenue de notre économie du septième art. Mais tous n'ont pas un discours tout aussi alarmiste. L'économiste Claude Forest confie :
Pas la même expérience
Nous pouvons affirmer avec optimisme que l'expérience cinéma reste et restera un événement unique pour tout type de consommateur, qu'il soit cinéphile averti ou amateur de grand spectacle. Il y a fort à parier que majoritairement un spectateur qui préférera télécharger illégalement une de ces œuvres, l'aurait tout autant fait en temps normal, la diffusion cinéma lui important peu dans tous les cas de figure.
Nous pouvons faire des analogies en imaginant qu'une famille ne mettra pas sur un pied d'égalité le fait d'aller au jardin d'enfant du coin et à la fête foraine. Ou bien qu'un amateur d'art ne considérera pas voir un tableau sur google image se substituer à aller le voir au musée. L'expérience n'est pas la même. Et aller au cinéma, n'est pas seulement aller voir un film.
Et même les plus critiques quant à cette décision se montrent optimiste au long terme :
Pas le même marché
Quand bien même nous nous éloignons de l'expérience cinéma comme étant unique, économiquement l'exploitation en salle n'a pas de concurrent. Un blockbuster à succès sur une plateforme ne rapportera jamais autant qu'un blockbuster à succès en salle. Un film sur un service de SVOD n'engrange concrètement aucune recette mais seulement une attraction qui poussera (ou non) à plus d'abonnements, qui eux rentreront de l'argent. Mais les chiffres de souscription ne seront pas équivalents à un succès en salle qui tapera le milliard au box office, le nerf de la guerre de l'industrie de divertissement hollywoodien.
Et cela est parfaitement reconnaissable lorsque l'on compare les différents types de productions entre une major et une plateforme de streaming. Là où un gros studio comme Disney (et ses succursales) ont produit 11 blockbusters à plus de 100 millions de dollars (Ralph 2.0, Captain Marvel, Dumbo, Avengers: Endgame, Aladdin, Toy Story 4, Spider-Man: Far from home, Le Roi Lion, Artemis Fowl, La Reine des Neiges 2) en 2019, le géant du streaming Netflix a produit la même année "seulement" trois films (Triple Frontière, 6 Underground et The Irishman), dépassant le budget précédemment annoncé.
Ces trois même films faisant par ailleurs partie du top 6 de leurs productions les plus chères, métrages sortis ou en prévision tout confondus. C'est pour cela que les plateformes mettent l'accent avant tout sur les séries, beaucoup de productions de longs métrages de types blockbusters ne pouvant pas être assez rentables uniquement en SVOD et servant seulement de produit prestige, contrairement au marché en salle.
Une décision hypocrite ?
Malgré que le marché du cinéma et du streaming soit relativement différent et que cette différence soit la plus grande force en faveur du grand écran, il n'en reste pas moins que cette prise de décision mi-figue mi-raisin reste questionnable sur la réelle bienveillance envers les salles.
Pour rappel, Disney a choisi de sortir directement et uniquement sur son service de streaming en payant un supplément de 30$. Dans la foulée, le studio aux grandes oreilles, lors des annonces de son PDG Bob Chapek, avait déclaré que sa nouvelle priorité pour l'avenir était son service de streaming, avec pour conséquence bon nombre de consternations. S'adaptant à la situation actuelle en sortant à la fois au cinéma et sur sa plateforme les films, Warner Bros a essayé de s'imposer encore une fois, contrairement à Disney, comme le fer de lance des grands écrans, pour caresser dans le sens du poil les exploitants et son public cinéphile. Cependant personne n'a été dupe.
Les déclarations d'Ann Sarnoff, directrice de WarnerMedia précédemment cités, s'interprètent donc plus comme une hypocrisie semi cachée ayant pour premier but de promouvoir une plateforme qui n'avait jusque là pas réuni foule.
La question est donc sur toutes les bouches : est-ce une transition douce et camouflée vers le tout streaming impulsée par la justification de la crise sanitaire ? Même si comme nous l'avons vu le marché cinéma et SVOD ne sont pas équivalent, ce dernier a l'avantage de s'affranchir de tous les partenaires intermédiaires (agences, distributeurs, exploitants etc...) et ainsi toucher directement l'argent.
Une réponse que personne n'a réellement pour le moment même si Claude Forest met en avant "qu'il ne faut pas confondre la période à court terme, grosso modo 2021, durant laquelle personne ne sait ce qui va se passer, et le moyen et long terme." Mais si les résultats s'avèrent concluant, il n'y point à douter que la stratégie aura tendance à se démocratiser, l'année prochaine servant de crash test.
Une trahison envers les partenaires.
Cependant l'hypocrisie de la décision n'en est pas moins une trahison pour bon nombre de leurs partenaires. D'autant plus que Warner Bros avait préalablement mis son veto pour que Legendary, producteur principal de Kong v Godzilla, ne vende ses droits de diffusion à Netflix pour 250 millions de dollars.
Mais là où le bât blesse, c'est dans l'absence de transparence de Warner Bros envers ses partenaires qui n'ont pas été consultés pour cette prise décision, apprenant la lourde nouvelle via les réseaux. En résulte une potentielle action en justice de la part de Legendary (aussi producteur majoritaire du film de Villeneuve) contre la major qui semble porter ses fruits puisque Dune serait en voie de retrouver son exclusivité cinéma. Notons aussi la stratégie des exploitants AMC et Cinemark qui envisagent de brader le prix de leur ticket pour que le studio ne touche quasiment aucune recette sur leurs films.
"A AMC, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que Warner ne le fasse pas à nos dépens. Nous allons nous engager agressivement dans des conditions économiques pour préserver notre business." Adam Aron, PDG des cinémas AMC, au micro de THR
Une prise de position forte et honorable mais qui peut s'avérer dangereusement contre-productive. En effet, cela peut encore plus conforter le studio à user du tout streaming pour toucher directement l'argent si la sortie salle ne se révèle encore moins prolifique qu'elle ne pourrait l'être. Et ainsi avoir l'entier contrôle sur la chaîne d'exploitation.
Une histoire de gros sous qui n'impacte pas seulement les exploitants mais aussi les équipes créatives. Bon nombre d'entre eux avaient négocié un pourcentage sur les recettes en salle, notamment les acteurs de Dune qui ont usé de cette stratégie pour baisser leur cachet et aider au financement de ce blockbuster ambitieux et atypique. Recettes qui se retrouveront forcément diminuées par la double exploitation des œuvres...
" J'aurais aimé que nous ayons plus de temps pour parler à nos partenaires et talents. Nous sommes très conscients de payer un prix juste pour la distribution d'un mois sur HBO Max et nous pensons qu'ils seront contents de voir comment nous nous efforçons au succès du lancement de ces films. "
Ann Sarnoff, directrice de WarnerMedia
Effectivement des compensations à plusieurs dizaine de million de dollars ont été négociées pour les équipes de Wonder Woman 1984 et d'autres sont en cours. Mais rien n'y fait, cette trahison reste une véritable rupture de confiance entre le studio et ses partenaires, qui semble bien irréversible ...
" Certains des plus grands cinéastes et certains des acteurs les plus importants de notre industrie se sont couchés la veille en pensant qu'ils travaillaient pour le plus grand studio de cinéma et se sont réveillés en découvrant qu'ils travaillaient pour le pire service de streaming. "
A tel point que Patty Jenkins confie au New York Times son hésitation quant à réaliser le 3ème opus de l'amazone de Dc et évoque une fuite de talent au sein des studios qui favorise le streaming :
" J'aimerais croire que c'est temporaire, mais je n'en suis pas sûr. (...) Je sais que j'aimerais bien faire le troisième si les circonstances sont favorables et qu'il y a encore une diffusion au cinéma possible. Je ne sais pas si je le ferais si ce n'était pas le cas. Mais je vous le dis, un studio va revenir au modèle traditionnel et provoquer un énorme bouleversement dans l'industrie, parce que tous les grands cinéastes voudront aller y travailler. Et les studios qui feront ce changement radical [ndlr : sortir leurs films en streaming], surtout sans consulter les artistes, se retrouveront avec une liste très vide de cinéastes de qualité travaillant pour eux ". Patty Jenkins, réalisatrice des deux Wonder Woman, au New York Times
Une migration de cinéaste qui semble déjà prendre effet puisque Tony Vinciquerra, PDG de Sony, seul studio a ne pas miser officiellement sur le streaming, avoue dans une interview de :
" Le véritable avantage a été le nombre d'appels entrants de talents - des créateurs, des acteurs, des réalisateurs - pour nous dire 'Nous voulons faire affaire avec vous parce que nous savons que vous êtes un distributeur et un producteur de cinéma en salles'." Tony Vinciquerra, PDG de Sony au micro de .
Une révolution inévitable ?
Maintenant que l'on a étudié les raisons qui ont poussé Warner à prendre cette décision et les conséquences ou les non conséquences sur le cinéma, cette décision sans précédent pose une dernière question bien plus vaste : L'exploitation streaming n'est-elle pas une révolution inévitable ?
On peut effectivement lever un sourcil de consternation en voyant le patron de Warner justifier ses choix à l'encontre du cinéma comme d'une innovation, se faisant passer pour un visionnaire incompris. Des choix que l'on ne peut juger biaisés lorsque l'on sait que Kilar est le cofondateur d'Hulu, une des premières plateformes de SVOD à succès. Cependant le streaming, à l'instar de la télévision et de la vidéo à leur époque, est effectivement bien la nouvelle révolution dans l'accès à la culture audiovisuelle.
La crise sanitaire n'aura été au final qu'un coup d'accélérateur d'un système en pleine mutation et la décision de Warner Bros qui en a découlé est une problématique qui se serait posée tôt ou tard. Le cinéma et les lois qui l'encadrent devront irrémédiablement apprendre à s'adapter comme ce fut le cas lors de la TV et la vidéo, à travers de nouveaux dispositifs technologiques (l'apparition du cinémascope, du son dolby stéréo etc...) et/ou législatif (la chronologie des médias en France).
" Le streaming, c'est l'avenir à 100% et c'est là que les consommateurs veulent regarder les choses. Une expérience comme WandaVision, c'est quelque chose qu'on ne peut pas avoir dans un film. Vous allez au cinéma pour des choses que vous ne pouvez pas voir en streaming, et vous vous tournez vers le streaming pour du contenu que vous ne pouvez pas trouver au cinéma. Et bien sûr, tout ce qui se trouve dans une salle de cinéma finit par être diffusé en streaming. " Kevin Feige, Patron de Marvel Studios au magazine
Que retenir ?
La stratégie de Warner Bros est une décision douloureusement légitime car à l'heure actuelle et sur l'année 2021, l'exploitation salle n'est économiquement pas viable alors que le rendement est nécessaire pour éponger les dettes, auquel cas ils feront faillite. Un compromis dont il faut garder à l'esprit sa dangerosité pour le cinéma d'une part par son accessibilité illégale et d'autre part par la trahison artistique/économique qu'il opère envers les partenaires.
On peut cependant être encore optimiste quant à l'avenir des salles car l'expérience cinématographique reste une offre inégalable et assure des rendements qu'elle seule peut effectuer. Il ne reste plus qu'à souhaiter que cette stratégie de la Warner Bros soit belle et bien une solution à court terme et non pas un premier pas irrévocable dans le tout streaming...