Ezra Pound et le Testament de François Villon
(avec enregistrement audio de l’opéra)
Pour une première approche bienvenue de cet opéra qui est quand même abrupt – ne contenant apparemment pas d’intermèdes musicaux en dehors du chant -, on peut écouter en accès libre et de manière ciblée quatre extraits en mp3 d’une première version défrichante et fidèle dirigée en 1971 par Robert Hughes à l’Opéra de San Francisco, sur le site de Second Evening Art, qui édite la musique de Pound.
L’extrait 1 donne déjà un rugueux archaïque à la célèbre Ballade des Dames du temps jadis (« Dites-moy ou n’en quel pays…») qui s’éloigne de la chanson douce et claire qu’en offrit Georges Brassens. L’extrait 2 (Dame du Ciel) transforme la prière à la Vierge Marie par la mère de Villon en plainte fantomatique. L’extrait 3 montre La Belle Heaumière en prostituée âgée regrettant sa jeunesse d’une voix gouailleuse coupant la parole à Villon. Dans l’extrait 4 c’est la superbe et isolée Ballade des Pendus que Pound ajouta au texte du Testament pour terminer son opéra : un chœur y murmure comme au-delà de la vie puisque les personnes qui parlent dans le poème sont des morts - « Frères humains qui après nous vivez… » - dans une sorte de transe extasiée cherchant apaisement harmonique.
On pourra maintenant, si l’on veut, écouter sur youtube la version complète d’un disque épuisé de 45 minutes en 1980, dirigée par Reinbert de Leeuw et l’Ensemble ASKO qui intensifient les aspects cités auparavant vers des registres modernistes acérés grâce à leur formation spécialisée en musique contemporaine, ce qui rend tout à fait justice à cet opéra. Le texte est occasionnellement opaque mais c’est autant dû à la prononciation des chanteurs hollandais qu’à l’ancien français de Villon, mâtiné de ses hermétismes jargonnants, qui résonne superbement. On reconnaitra toutefois nettement « Mais où sont les neiges d’antan… » de 2’59’’ à 4’57’’ avec les étranges brisures de diction voulues par Pound.
Le Testament de Villon déroule un destin de poète qui répond aussi rageusement que splendidement à une vie exubérante ou amère ; en ce sens Pound put s’y retrouver comme Villon, bien que l’États-Unien auto-exilé en Europe ait parfois dérivé d’un côté plus aigre que le trouvère aux accointances interlopes.
Une curiosité donc, puisque cet opéra n’est quasiment jamais montré – Ezra Pound n’étant pas considéré par tous comme un musicien complet – et que les enregistrements rares sont difficilement trouvables, mais une beauté tourmentée pour les passionnés des interactions entre poésie et musique.
Pour compléter une réflexion, on peut se reporter à deux liens :
. un article de Laurent Slaars : Ezra Pound et la musique, des Cantos à George Antheil, dans la revue TIES (Textes Images Et Sons, 2/2018)
. dans le site officiel des spécialistes anglophones d’Ezra Pound : une section sur sa musique, par le couple du musicologue Robert Hughes (qui connut Pound) et de l’artiste multidisciplinaire Margaret Fisher (aussi responsables de Second Evening Art), avec des traces de deux autres opéras ainsi que des compositions pour violon seul, le tout agrémenté de courts extraits audio en mp3 :
Jean-René Lassalle