On purge bébé 🎶 de Georges Feydeau, mis en scène par Emeline Bayart

Par A Bride Abattue @abrideabattue

Quelle atmosphère hier soir devant le Théâtre de l'Atelier où chaque spectateur a conscience que c'est peut-être une des dernières fois avant longtemps qu'il se rend au théâtre à un horaire "classique".

C'est en effet ce soir là que le gouvernement va annoncer de nouvelles mesures pour lutter contre la propagation du Covid.

Mais avant cela, place à la comédie avec On purge bébé 🎶 dont la présentation vient d’avoir lieu devant le public parisien, après une création au théâtre Montansier de Versailles. J’ajoute qu’une longue tournée est d’ores et déjà prévue, avec notamment pour étape le Théâtre Firmin Gémier La Piscine de Chatenay-Malabry (92) qui est un des co-producteurs.

L’ouvreuse n’insiste plus longuement sur les interdictions d’usage du téléphone portable. Ce sont les restrictions sanitaires qui priment, la dernière étant la recommandation de sortir, à la fin du spectacle, comme les avions, par l’arrière, en commençant par le dernier rang et de nous répartir ensuite rapidement sur l’ensemble de la place Charles Dullin en évitant les attroupements. Une atmosphère de clandestinité s’installe subrepticement. On se croirait dans une scène du film Le Dernier Métro.

Encore heureux d’assister à une comédie. Cela va nous détendre.

Le décor n’est pas engageant à première vue. Un voile en masque l’essentiel derrière une chaise de velours bleu, abandonnée de travers au bord de la scène. Je remarque à Cour, sur un piano droit (qui sera un des éléments essentiels du spectacle), une Tour Eiffel qui me parait incongrue mais dont la présence va se justifier dans quelques instants.

Emeline Bayart n’est pas aussi célèbre que ce monument mais je pense pouvoir dire qu’elle sera bientôt reconnue comme une grande actrice comique. Il est tentant, en l’écoutant chanter, simplement vêtue d’un déshabillé peu flatteur alors qu’elle est ce qu’on appelle "une belle femme", d’y voir une sorte d’acte de bravoure. Elle sait tout faire. Jouer bien sûr, chanter évidemment, et aussi mettre en scène, comme elle le démontre avec cette pièce de Georges Feydeau, appartenant au répertoire du vaudeville.

Elle m’avait épatée il y a deux ans, au cinéma, dans le rôle-titre du film de Bruno Podalydès, Bécassine. Je l’avais déjà fort appréciée l’année suivante au Poche Montparnasse où elle jouait Tchekhov à la Folie dans la mise en scène de Jean-Louis Benoît (une des farces sera d’ailleurs interprétée plus tard sur cette même scène par Jacques Weber dans la soirée au cours du spectacle Crise de nerfs). Je devais ensuite l’entendre chanter mais la crise a tout bouleversé.

Dans On purge bébé 🎶 elle interprète les chansons en direct et sa voix a une belle amplitude. La première célèbre la Tour Eiffel, d’où la présence de la statuette, que son personnage juge magique. La comédienne déclenche des cascades de rires quand le monument est qualifié d’obélisque à l’instar de la colonne de la Place Vendôme. Rien ne lui "arrive à la cheville" fait-elle remarquer à son époux Daniel, en sous-entendant des allusions coquines à sa virilité.

Les dialogues aussi nourrissent les rires. Par exemple à propos de la définition suivante : De la terre entourée d’eau, c’est de la boue ou une île ? On ne trouve rien dans ce dictionnaire se plaindra le mari qui estime que n’y figure que ce dont on n’a pas besoin. J’ai essayé de m’en tirer par la tangente, avouera-t-il.

Madame Follavoine n’est pas moins caricaturale, elle qui justifie d’avoir une bonne au fait que tant qu’elle la regarde elle lui sert (sous-entendu à quelque chose). Elle revendique être "femme d’intérieur, bonne ménagère, ... parce qu’on ne sait jamais dans la vie si on aura toujours des gens pour nous servir".

Au-delà de ses jugements à l’emporte-pièce, c’est surtout son caractère hystérique qui la caractérise et son amour démesuré pour son fils sans doute trop chéri, qu’elle appelle toujours Bébé (Valentine Alaqui, qui est aussi la bonne) et qui a tout de même sept ans. L’enfant est, on l’aura deviné, parfaitement caractériel. L’enfant chéri serait atteint de constipation, une situation avec laquelle Il ne faut jamais plaisanter, insiste la mère, en appuyant lourdement sur le "a" du mot constipation. Et comme elle est tordante quand elle mime d’avaler de l’huile de ricin !

Le mari (Éric Prat) est pressé de conclure avec monsieur Chouilloux (Manuel Le Lièvre) un marché portant sur la vente de pots de chambre pour tous les soldats de l’Armée française, auxquels le gouvernement a promis un vase de nuit personnel gravé à son matricule, dans l’objectif d’améliorer leur sort. Le temps passe et sa femme déambule toujours en nuisette, pas gênée pour un sou alors que la perspective d’être étiquetée comme femme du marchand de pots de chambre ne lui convient pas du tout.

Les rebondissements s’enchaînent en multipliant les paradoxes. Jusqu’à l’invitation du client avec sa femme, et l’amant de celle-ci, comme si l’adultère "au grand complet" appartenait aux convenances.

Le jeu des comédiens est efficace, avec concours de grimaces, d’accents et de mimes. On chante, on se contorsionne et on s‘encouicouine. L’un mime parfaitement la colique et l’autre le désespoir.

On pense à une autre pièce de Feydeau, Mais ne te promène donc pas toute nue, qu’interpréta Arletty. On songe aussi à Jacqueline Maillan. Bref, on passe un bon début de soirée. Et on en a bien besoin.

On purge bébé 🎶 de Georges Feydeau
Mise en scène d'Emeline Bayart
Avec Éric Prat, Émeline Bayart, Manuel Le Lièvre, Valentine Alaqui, Thomas Ribière, Delphine Lacheteau et Manuel Peskine (piano et arrangements musicaux)
Scénographie et costumes de Charlotte Villermet et Lumières de Joël Fabing
À partir du 13 Octobre au Théâtre de l'Atelier
Place Charles Dullin - 75018 Paris - 01 46 06 49 24
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Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Caroline Moreau