Chamfort
in " Maximes et pensées,
caractères et anecdotes ".
Ce Lundi 14 Décembre 2020, se déroulait en grandes pompes - ou petit comité selon certains - l'investiture du Président Elu, Alassane Dramane OUATTARA, pour ce qu'il convient d'appeler son premier mandat de la troisième République.
Je n'entends pas faire ici un retour sur cet évènement largement relayé dans les médias nationaux[1], internationaux[2] et même sur les réseaux sociaux. Une petite recherche[3] sur Google devrait vous permettre d'accéder à de nombreuses vidéos sur cette cérémonie.
Non. Je m'empresse plutôt de vous entretenir sur le discours honteux[4] du Président du Conseil Constitutionnel, dont aura compris qu'il a été écrit avec une plume trempée dans du vitriol.
Crédits - conseil-constitutionnel.ciPour tout vous dire, rarement il m'est arrivé d'observer un personnage de ce rang, manquer autant de dignité et de grandeur ; et Dieu m'est témoin, en dépit de mon jeune âge, j'ai observé masses de solennités.
Dans une tirade longue de presque vingt minutes le personnage flanqué de sa toge rouge et de sa toque brodée de fils dorés - tenue des grands jours - le visage amer et le regard défiant au loin le peuple ivoirien, s'est adonné à un exercice oral pathétique et désespérant.
Probablement marqué personnellement par le tsunami de critiques et de polémiques qui ont secoué l'opinion publique et qui visaient la nébuleuse institution qui sert de plus haute juridiction à la Côte d'Ivoire et dont il est le Président en exercice, Mamadou KONE qui avait là - en dépit du caractère assez grotesque de cette parodie de démocratie - une occasion rare de prononcer des propos apaisants et conciliants, et tenter ainsi de calmer les esprits qui s'étaient légitimement échauffés sur ce qui s'apparente clairement aujourd'hui encore à un détournement constitutionnel ; Mamadou KONE qui avait cette opportunité unique de passer à la postérité comme un homme de paix et de consensus, a préféré s'adonner à un laïus pamphlétaire dont les cibles étaient tous ceux et celles qui avaient eu le malheur de critiquer le choix du désormais premier Président de la 3 ème République de se présenter au dernier scrutin présidentielle au mépris des " évidences " constitutionnelles.
Sous un air de professeur de droit constitutionnel mal réveillé, il a littéralement réglé ses comptes avec les ivoiriens par des diatribes qui voguaient entre violence, impertinence et inélégance, l'ensemble maquillé par des circonvolutions lexicales destinées - sinon à faire barrage aux personnes non-instruites - à apaiser le caractère injurieux de ses propos à leur égard, lesquelles furent d'ailleurs les premières cibles de son dédain :
" [...] Nous voici au terme d'un processus électoral qui a fait couler beaucoup d'encre, de salive, de larmes et même, hélas ! Beaucoup de sang. Il en a été ainsi parce que, un débat fondamentalement juridique et d'une technicité suffisamment pointue pour diviser, même les spécialistes de cette matière, a quitté son domaine naturel, le droit, notamment le droit constitutionnel, pour investir un autre champ et devenir, de ce fait, un débat politique. Chacun y est donc allé de son interprétation, depuis les Professeurs titulaires de la chaire de droit constitutionnel, jusqu'à ceux qui ne possèdent, comme seul diplôme, que leur acte de naissance. [...] ".
La Constitution est le socle juridique mais aussi philosophique et social d'un Etat démocratique. Elle définit les grands principes modaux d'exercice de la souveraineté ; cette souveraineté qui n'est rien d'autre que le pouvoir exclusif du peuple, de tout le peuple, de tous les citoyens de la Côte d'Ivoire, instruits ou non qui ont accepté par le vote de la majorité, un compromis sur leurs aspirations sociales, économiques, légales, culturelles et organisationnelles. Mamadou KONE, un magistrat au parcours jusque-là remarquable, ne saurait l'ignorer.
C'est pourtant ce même Mamadou KONE, qui viendra avec un irrespect profond nier aux ivoiriens leur droit de parole sur l'interprétation qui est faite de la loi fondamentale qui régit l'usage de LEUR pouvoir.
Si l'acte de naissance est un diplôme qui aux yeux du Président du Conseil Constitutionnel n'a aucune valeur et n'autorise pas l'accès au débat public, il devient alors opportun de lui rappeler qu'avant de devenir major de promotion de l'école nationale de magistrature française, il a lui aussi détenu ce " diplôme ", dont il s'est peut-être même prévalu avec fierté lors de la rentrée des classes quand il n'était encore qu'un enfant.
Au nom de la sacrosainte liberté d'expression, celle-là même qui autorise Monsieur Mamadou KONE à cracher impunément à la figure de ceux de nos concitoyens qui n'ont pas eu la chance d'être instruits et " qui ne possèdent comme seul diplôme que leur acte de naissance ", cet homme qui a plus brillé par sa prétention que par sa lucidité en ce 14 Décembre 2020 au-devant du monde entier ne saurait museler le droit le plus fondamental des ivoiriens : S'EXPRIMER !
Cette liberté d'expression tant qu'elle ne sort pas du cadre posé par les lois en vigueur, ne peut être réprimée ou interdite. Et le mépris d'un juriste qui a oublié les valeurs de son serment pour cirer les pompes d'hommes d'état, ne peut corroder cette réalité.
Même si l'on n'a jamais fréquenté une école de droit, et que la liberté d'expression présume aussi du sens de la responsabilité de chaque individu, chaque personne quand même la faculté de porter une critique sur l'actualité politico-juridique de son pays : du plus grand spécialiste de droit constitutionnel, au cultivateur non-instruit.
Si le discours du Président du Conseil Constitutionnel s'était limité à ce que l'on pourrait considérer comme une frasque linguistique, écrire ces lignes aurait semblé finalement plus anecdotique qu'autre chose.
En effet, face au premier Président de la 3ème République fraîchement investi ainsi qu'aux invités triés sur le volet et autres convives étrangers de haut rang, Mamadou KONE s'est livré à un ennuyeux cours magistral de droit constitutionnel sur l'autorité intangible des décisions du Conseil Constitutionnel.
A défaut de ne pas être en mesure de répondre en arguments à la thèse des innombrables détracteurs du dernier scrutin présidentiel, Mamadou KONE s'est borné à marteler que le Pouvoir Constituant avait investi le Conseil Constitutionnel de pouvoirs absolus et indiscutables concernant l'interprétation de la Constitution. Il s'est même autorisé, dans un indigent style poético-juridique, à évoquer l'éminent et regretté Guy CARCASSONNE : " [...] Le
Conseil constitutionnel dit le droit constitutionnel, le droit réel, sur les sujets dont il est saisi [...] Les spécialistes peuvent, à l'occasion, estimer telle ou telle décision contestable, voire infondée telle ou telle argumentation, mais cela est inopérant dans le droit réel sur lequel le Conseil constitutionnel à un monopole absolu [...] ", citait alors fièrement l'homme en toge.
Ce qu'il oubliait de mentionner, c'est que Guy CARCASSONNE tenait ces propos dans le cadre d'un commentaire de la Constitution française de 1958[5] (un exercice réputé très difficile même pour des juristes confirmés et qualifiés). Une constitution éprouvée avec des juges professionnels et très spécialisés, ainsi qu'un système de pensée bien plus équilibré et plus grand que celui de la Côte d'Ivoire en valeur empirique.
En clair CARCASSONNE faisait davantage allusion au caractère incontestable des décisions d'un organe constitutionnel dont la probité et la légitimité sont établies et dont l'interprétation de la loi fondamentale ne souffrirait d'aucun défaut manifeste de cohérence. Il n'entendait certainement pas accorder un blanc-seing au Conseil Constitutionnel par lequel celui-ci pourrait voir avalisée n'importe laquelle de ces décisions au motif d'une présomption irréfragable d'authenticité et de monopole dans l'interprétation des dispositions fondamentales.
C'est pourtant cette énorme couleuvre que Monsieur Mamadou KONE a essayé de nous faire avaler, à grand renfort de métaphores alambiquées et d'approximations factuelles. Cela sous les vivats de l'assistance venue en déférence, en respect et en considération ou par simple intérêt, soutenir le Président de la République fraîchement investi.
S'il est vrai que les diverses interprétations relèvent de la doctrine et que seul le Conseil Constitutionnel peut prononcer le " juste " droit, il a l'obligation de respecter le serment fait au peuple. Car l'allégeance que prête le gardien de la Constitution n'est pas à destination du Président de la République qui le nomme, mais du peuple qui a donné pour ce faire mandat à ce dernier. Le Président du Conseil constitutionnel ne peut donc venir prétendre gaillardement que la doctrine ne lui est pas opposable tout en s'appuyant largement sur celle-ci[6] ainsi que sur une conception expérimentale de la notion de continuité législative pour vilipender ceux du peuple qui ont eu le malheur de penser différemment de lui et de ses Conseillers.
D'ailleurs comme pour tenter vainement de convaincre l'opinion ou lui-même, Monsieur Mamadou KONE affirme en outre avec force : " [...] C'est pourquoi il me plaît d'affirmer, d'entrée de propos, à la ville et au monde, afin que nul n'en ignore, que chacun des sept membres du Conseil constitutionnel ici présent, est en parfaite harmonie avec sa conscience, relativement au vote qu'il a émis, après délibérations, au moment de l'adoption des décisions concernant tant l'éligibilité que l'élection du Président de la République [...] ".
S'il y a des gens qui doivent se chercher une bonne conscience après cet affreux spectacle offert au Monde, ce sont bien les membres du Conseil Constitutionnel, dont on aura noté que certains ont eu du mal à camoufler leur embarras face à la virulence injustifiée, inopinée et disproportionnée de leur Président.
Je pourrais égrener encore toute la stupéfaction, la déception, la honte et le dégoût que j'ai pu ressentir en écoutant ce Monsieur que nombre d'entre nous juristes prenions en exemple.
Mais je choisis de stopper ma riposte à cette attaque délibérée sur les mots qui suivent.
S'il fallait trouver une image précise du terme " anachronique ", Mamadou KONE lors de sa séance de dégazage psychologique au lance-flammes verbal en ce 14 Décembre 2020, en serait une parfaite illustration.
Mais ne nous y trompons pas.
Si personnellement je reste persuadé que le juriste existe encore derrière le magistrat colérique que nous avons vu, l'homme qui s'est livré à cet exercice aux relents élitistes et prétentieux a dégringolé dans mon estime, mais aussi dans celle de nombreux ivoiriens et ivoiriennes en Côte d'Ivoire ou dans la diaspora.
Les gloussements et les regards amusés des convives étrangers du public en face de celui qui est comporté par moment comme un pitre exagérant dans le propos méprisant et devenant la caricature de ce qu'il n'est pas, fut la cerise sur le gâteau de l'infamie.
" Quand l'orgueil chevauche devant, honte et dommage suivent de près ", dit un proverbe français populaire.
Espérons que la honte interstellaire à laquelle nous a soumis Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel s'efface un jour et qu'il prenne cette maxime pour leçon.
Car en effet si les membres du Conseil Constitutionnel sont désignés par l'expression " les sages " dans d'autres pays, comme s'est auto-fleuri notre orateur ; son attitude lors de cette cérémonie d'investiture confirme bien qu'il ne sera probablement jamais digne d'une telle considération.
" [...] Pour l'honneur bafoué de ces humbles serviteurs de l'Etat [ndlr. Les membres du conseil constitutionnel], dont le tort aura été finalement de n'avoir pas fait mieux que Dieu, qui, même lui, n'a pas encore réussi à faire l'unanimité de ses créatures, c'est-à-dire, rendre des décisions emportant l'impossible unanimité des Ivoiriens dans le cas d'espèce. ", se justifiait absolument le Président du Conseil Constitutionnel.
Il devient donc fallacieux de se comparer à Dieu, quand on a échoué lamentablement et honteusement dans sa mission, Monsieur Mamadou KONE.
[1] Article Abidjan.net / Article Jeune Afrique
[5] CARCASSONNE Guy, La Constitution. Paris: Éditions du Seuil, 1996.
[6] DECISION N° CI -2020-EP-009/14-09/CC/SG du 14 septembre 2020 portant publication de la liste définitive des candidats à l'élection du Président de la république du 31 octobre 2020, p.30.