NOTE DE RÉGIS : cet article a été rédigé par David Tuleu, photographe et auteur du site www.davidtuleu.com. Son travail original mêle photos, voyages et cinéma et je ne peux que vous conseiller de le suivre en vous abonnant à sa newsletter de grande qualité en cliquant ici.
À présent, je laisse la parole à David, vous allez vous régaler …
Préambule
Bienvenue dans cet article qui va aborder toutes les grandes étapes de la mise en place d’un projet photographique.
Tout d’abord, en guise d’introduction, je tiens à vous dire que ce qui suit n’a pas la prétention de vous apporter des réponses toutes prêtes pour créer votre projet. Désolé pour le spoiler, mais je préfère annoncer la couleur tout de suite.
Mon but ici est plutôt de vous pousser à vous poser les bonnes questions et de vous fournir quelques clefs de réflexion qui vous permettront de trouver votre chemin tout seul.
La raison en est toute simple : Nous avons toutes et tous des projets photographiques très différents, des manières de travailler qui ne sont pas les mêmes et nous n’avons pas les mêmes buts, envies ou ambitions.
Vous voilà averti.es, entrons ensemble dans le vif du sujet !
Trouver l’idée
C’est peut-être la partie la plus difficile de la mise en place d’un projet ou la plus facile, ça dépend. Vous allez me dire que je ne vous aide pas beaucoup, et vous avez raison ! Mais c’est vous qui devez trouver votre inspiration, l’Idée avec un I majuscule, ce qui vous motive le plus.
Pour ma part, que ce soit pour ma série Instant à Maison Chance ou mon projet ON SET, cela s’est imposé à moi, c’est « venu tout seul ». J’ai su que je voulais photographier ces sujets et je pense que c’est ainsi que cela doit fonctionner. Je ne suis pas un partisan du « Il me faut absolument quelque chose à photographier !
Qu’est-ce que je peux photographier ? Je dois photographier à tout prix et tous les jours !». Il m’arrive de ne pas toucher à mon appareil pendant des mois. Vous allez trouver l’idée et ce qui vous inspire, mais pour ça il va falloir stimuler un peu votre créativité.
Puisez dans ce qui vous passionne, dans ce en quoi vous croyez, et ce qui vous plait. Pour moi, c’est le cinéma, mes lectures, des causes auxquelles je suis sensible. Cela pourrait aussi venir de la musique que vous écoutez, de la cuisine, de votre quotidien, d’une histoire que vous a raconté votre grand-maman, de jeux-vidéo, etc.
L’inspiration peut venir d’absolument tout ce qui vous entoure !
Cela dépend beaucoup de votre curiosité et de votre perméabilité à votre environnement. Voyez ceci comme votre bagage de connaissance personnelle qui influencera forcément votre photographie. Il est très important de l’enrichir avec de la bonne culture.
Imprégnez-vous aussi du travail des grand.es photographes, ils et elles sont de vraies sources d’inspiration dont il ne faut pas se priver !
Nick Brandt, Vincent Munier, Joël Meyerowitz, Sebastião Salgado, Steve McCurry (pour ne citer qu’eux) sont des photographes incroyables à la carrière impressionnante et qui ont fait un travail photographique remarquable.
La photographie, comme toutes les disciplines, a ses « Maîtres » et ses références. Comme dans toutes les disciplines, il faut voir et apprendre ce qui a déjà été fait. Pas pour faire la même chose ou pour copier, vous aurez de toute manière votre propre style photographique, mais pour comprendre ce qu’est la photographie, ses possibilités et, encore une fois, vous inspirer !
Pour résumer, si vous voulez trouver une idée de projet, il vous faudra être curieux et vous intéresser au travail des grand.es photographes.
Ma bibliothèqueEt ensuite ?
Maintenant que vous avez l’idée, que vous savez ce que vous voulez photographier et pourquoi vous voulez le photographier, la question à se poser est « Qu’est-ce que je veux faire de mes images, de cette série à laquelle je vais consacrer du temps ? ».
Une exposition ? Un livre ? Un article pour votre blog ? Un portfolio ? Vous pouvez ne pas répondre à cette question bien sûr, mais je suis sincèrement convaincu que cela vous aidera pour tout un tas de choix futurs, vous motivera beaucoup et posera un cadre dans votre manière de travailler.
Vous pouvez commencer votre travail sans savoir ce que vous voulez en faire, il n’y a aucune règle pour ça. Il n’y a d’ailleurs aucune vraie règle en photographie. Rappelez-vous, c’est de l’art, il faut laisser parler votre créativité, faire ce qui vous plait et aller au bout de vos idées.
N’ayez pas peur des contraintes
On va parler des contraintes que vous vous imposerez à vous-même. Il ne faut pas en avoir peur. Elles vous permettront de rester cohérents tout au long du processus de création de votre projet, de vous aider à faire les bons choix et de rester focus sur votre travail. Posez un cadre le plus en amont possible.
Vos contraintes font partie de votre projet et servent à en définir les lignes principales. Vous devez aussi savoir « pourquoi » vous avez choisi telle ou telle contrainte, par exemple : Si je veux montrer du mouvement dans mes images, je vais peut-être utiliser la pose longue pour montrer l’action de mes sujets ;
Si je veux faire une série de portraits, je pourrais utiliser la même méthode et le même cadrage pour chaque personne ; Si je veux montrer des lieux de tournages, je vais choisir un seul genre de films dont je veux photographier les décors.
Le même sujet peut être traité de mille manières : vous devez en choisir une. Ce sont les contraintes que vous vous êtes fixées qui vous aideront à aller dans la même direction tout au long de votre travail.
Ces contraintes ne doivent pas être gratuites, elles doivent servir votre projet. Elles font partie de votre démarche créative. Faites de ces contraintes la force et l’originalité de votre future série d’images.
Le choix du matériel
Autant vous prévenir tout de suite, il n’y aura pas de test avec les spécificités des derniers appareils sortis, pas d’avis sur la meilleure marque du moment, ni de conseil sur le meilleur objectif à utiliser ici. Non.
Par contre, je vais vous inviter à réfléchir sur les bonnes questions à vous poser pour choisir votre matériel. Parce que si vous voulez vraiment travailler en projet, vous devez vous demander « quel appareil conviendra le mieux aux photos que je veux faire ? ».
La réponse sera peut-être le dernier appareil à la mode, mais pour être honnête il y a peu de chance. Vous pourriez vous surprendre à vous rendre compte que votre smartphone sera peut-être ce qu’il y a de finalement plus adapté à votre projet. Oui, je joue un peu la carte de la provoque là, mais après tout pourquoi pas ? Cela peut aussi être un polaroïd, un type précis d’appareil argentique ou un réflex qui doit résister aux intempéries parce que vous partez en expédition pour le Pôle Nord.
Si vous ne savez pas quel est le meilleur appareil photo pour votre projet, la réponse est très probablement : celui que vous avez déjà ! Dans le doute, commencez avec le matériel que vous possédez chez vous et adaptez-le si nécessaire. Il ne sert à rien d’acquérir un nouvel appareil photo sans savoir pourquoi vous achetez précisément ce modèle.
« Oui mais il peut prendre 56 images par secondes tu comprends » n’est pas une réponse valable à moins que votre projet soit de faire de la photo animalière d’espèces ultra-rapides par exemple.
Vous l’aurez compris, le matériel n’est pas la première question à vous poser. La première vraie question est : Quel type de photographies je veux faire et quel est le rendu que je souhaite obtenir ?
PS : Je viens peut-être de vous faire économiser plein d’argent. Si c’est le cas : de rien, je suis très content pour vous 😉 Investissez cet argent dans l’une des autres étapes de votre projet justement (livres photo, voyages, impressions, etc.).
Faire des essais… et des erreurs
Ici un paragraphe pour vous rappeler que faire des essais, des erreurs, revenir en arrière : cela fait partie du processus d’un projet et vous ne pourrez pas y échapper ! Cette phase est même très importante pour la réussite de votre projet et elle ne doit pas vous effrayer.
Cela peut être apprendre à maitriser la photographie d’oiseaux en vol, trouver LA composition que vous voudrez utiliser à chaque fois, trouver l’heure de la journée qui correspondra le mieux à vos attentes en matière de lumière ou de fréquentation d’un lieu précis, essayer le noir et blanc à la place de la couleur dans vos images, trouver le bon post-traitement ou encore le bon papier pour l’impression finale.
Pour chaque étape, faites des essais et trouvez ce qui convient le mieux à votre projet. Pour vous donner une idée, je travaille actuellement sur une nouvelle série de photos où je vais, pendant les prochains mois, photographier les animaux de mon pays, la Suisse.
Il me manque des connaissances naturalistes et même photographiques pour certaines espèces que je vais rencontrer. J’ai donc pris la décision de m’entourer de spécialistes dans le domaine qui vont m’emmener sur le terrain tous ces prochains mois afin qu’ils m’apprennent ce dont j’ai besoin et que je puisse faire mes essais « in situ ».
Je vais faire des erreurs, d’ailleurs j’en ai déjà fait. Je suis rentré de ma dernière sortie sans aucune photo qui me plaît et ce n’est pas grave. Déjà parce que j’ai passé un super moment, que j’ai quand même appris pleins de nouvelles choses et surtout parce que je sais ce que je ferai de différent la prochaine fois. C’est tout bénéfique pour la suite de mon projet.
La cohérence
Je vous parle beaucoup de cohérence depuis le début de cet article, et ce n’est pas un hasard.
Pour revenir sur le travail des grand.es photographes qui ont fait la photographie, il suffit de regarder comment sont pensées et présentées leurs œuvres.
Prenez le livre « Theaters » de Hiroshi Sugimoto. Il a photographié des salles de cinéma, toujours avec le même cadrage, en noir et blanc, en pose longue durant toute la durée du film projeté et le résultat est sans appel : on a une cohérence dans le livre incroyable (ce projet lui a pris quatre décennies au passage) !
Un autre exemple, le livre « Arctique » de Vincent Munier où le blanc règne en maître sur toutes les images. Il a une approche très minimaliste de la présentation de son sujet, parfois en portrait, parfois dans son environnement, mais il y a une poésie qui se dégage de toutes les images du livre. On ressent le froid, la rudesse du climat et la fragilité de la faune arctique : il y a là aussi une cohérence dans tout le travail de Vincent Munier.
C’est pour cette raison que je vous encourage grandement à regarder le travail des photographes reconnus. Si l’on regarde bien, la cohérence n’est pas propre à la photographie et est importante dans tous les arts, que ce soit le cinéma, la peinture, l’écriture, etc.
Hiroshi Sugimoto, TheatersLa cohérence donne du sens à votre série photographique, permet au lecteur de comprendre votre démarche et, encore une fois, vous aide à structurer votre projet.
Le développement de vos images
Le post-traitement fait entièrement partie de votre démarche artistique, c’est un des outils à votre disposition, alors profitez-en.
Pour toutes celles et ceux qui pensent que post-traiter ses images c’est tricher, je suis navré de vous le dire mais non, c’est un choix artistique ! Choisir de ne pas traiter ses images est aussi un choix artistique (sauf si vous ne savez pas utiliser un programme de post-traitement, mais là c’est autre chose).
La question est de trouver le traitement cohérent avec votre projet et avec votre personnalité parce que oui, je pense que le développement de vos images va plus loin qu’un seul projet et que ça devient même un trait reconnaissable du ou de la photographe. Un peu comme sa signature.
Parce que j’aime vraiment citer les photographes que j’aime, regardez les noirs et blancs de Sebastião Salgado qui sont immédiatement reconnaissables ou les couleurs si particulières des images de Joël Meyerowitz.
Le post-traitement ne doit pas être utilisé comme seul outil pour donner de la cohérence à vos images, ce n’est pas une baguette magique, mais il participe au processus de création photographique. Servez-vous en.
L’editing
Voilà un sujet bien compliqué. Mais commençons peut-être par vous expliquer ce qu’est l’editing. C’est la phase du projet où vous aller trier, sélectionner et surtout exclure les images de votre projet.
La première fois que je m’y suis trouvé confronté, c’était pour mon projet Instants à Maison Chance et cela a été vraiment difficile. J’imagine que c’est dur pour tous les photographes parce que c’est le moment où il faut se séparer de ses propres images, mais c’est une étape-clef. Peut-être l’une des plus importantes.
Quelque chose qui marche pour moi, après avoir fait une « première sélection », c’est de la présenter à ma femme. Je lui explique pourquoi j’ai pris chaque image et ce que je veux raconter avec ma série. Je lui montre aussi les images que je n’ai pas retenues. Là elle me fait ses remarques, son retour et ses propositions.
Le but de tout ceci ? Avoir quelqu’un d’externe à votre projet qui puisse vous dire si vous êtes cohérent dans votre démarche ou non. Il faut garder à l’esprit que vous avez la tête à 100% dans votre projet et que vous manquez de recul. Un nouveau regard avec un œil externe et critique peut être très intéressant. Il faut juste que vous trouviez quelqu’un d’honnête et de pertinent, même si cela peut parfois être dur à entendre. Le but est toujours de vous faire avancer.
Une autre chose que j’aime beaucoup faire pour mon editing, c’est d’imprimer toutes les images « candidates » à ma série en format carte postale et les étaler sur le sol. Je les mets ensuite les unes à côté des autres, je les déplace, j’en enlève certaines, je les remets, je les groupe, bref je joue avec.
Le but de cet exercice est de trouver ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et de faire l’assemblage d’images le plus cohérent possible. Là encore il n’y a pas de méthode toute prête, il vous faut essayer, passer du temps sur cette étape. Laisser reposer, revenir dessus, modifier votre choix si nécessaire.
Je suis convaincu que si je devais refaire un editing de ma première exposition Instants à Maison Chance, il serait sûrement différent de celui que j’ai fait en 2017. Je pense que c’est une étape si personnelle que votre vécu, votre état d’esprit, le message que vous voulez faire passer peuvent complètement changer vos choix.
De plus, un editing pour une même série changera selon le but final. Si vous devez faire un editing pour une exposition de 12 photos ou 50 ce n’est pas la même chose. Pareil si, avec cette même série vous devez plutôt créer un livre.
L’editing dépend énormément du contexte et il peut y en avoir plusieurs pour une même série. C’est une étape que je redoute et qui me passionne à la fois. C’est à partir de cette étape-là que votre projet approche de la fin et que vous entrez dans la sphère des photographes qui veulent sincèrement créer un projet.
Le terme de votre projet… et son début !
Pour finir, revenons à la finalité de votre projet photo. En ce qui me concerne, j’ai choisi pour mes deux séries de les exposer, c’était mon but final.
Après la phase d’editing, j’ai dû me poser la question pour la première fois, de comment passer de mon fichier numérique sur l’ordinateur à un vrai objet tangible, réel : mes photographies imprimées. Cela a été un vrai déclic.
J’ai découvert que pour moi c’était ça la photographie. Le fait d’imprimer mes images donnait un vrai sens à ce que je faisais. J’avais une impression d’abouti que je n’avais jamais ressentie jusque-là, sans parler du fait que j’ai découvert que le choix du papier et du format est l’une de mes étapes préférées de tout le processus. C’est cela que j’ai envie de vous transmettre avec cet article aujourd’hui.
Il faut aller au bout de vos projets, donner du sens à votre travail. Ne gardez pas vos photos sur votre disque dur, faites-en quelque chose. Si vous voulez aller plus loin dans votre photographie, quelle que soit la forme et l’envergure de votre projet, cela vous fera grandir dans votre pratique personnelle. Vous évoluerez et vous deviendrez meilleur.es.
Bien entendu, la fin de votre travail sur votre projet photo ne signifie pas sa vraie fin. Au contraire, c’est le début de sa vie et c’est maintenant que le plus impressionnant commence. Ce projet que vous avez fait germer, que vous avez nourri, qui vous a pris tant de temps et d’énergie, vous allez maintenant le présenter et dévoiler votre créativité alors, BONNE CHANCE !
Je vous mets en bonus une image qui fera sûrement partie du tout nouveau projet de longue haleine dont je vous parlais plus haut et dans lequel je viens de me lancer.Il faut savoir que tous ces « chapitres » n’abordent les sujets évoqués qu’en surface et qu’il faut tous les développer plus en profondeur, point par point.
C’est d’ailleurs l’un des thèmes que je vais vous proposer sur mon site internet et dans ma newsletter. Mon but est de vous aider avec la mise en place de vos projets et de vous aiguiller dans la bonne direction. J’ai envie de vous amener à faire votre propre cheminement dans votre photographie.
Je ne peux pas le faire pour vous, mais je peux vous aider VOUS (comme dirait Sam Gamegie – pour les connaisseurs).
Si vous avez des questions ou envie de me parler de vos projets, n’hésitez pas à me contacter. Et si vous voulez en apprendre plus sur mes projets personnels, c’est ici que ça se passe. Merci de m’avoir lu jusqu’ici et je vous dis à très vite pour parler photographie 🙂
David Tuleu
L’article Les étapes d’un projet photographique est apparu en premier sur Auxois Nature.