"La mort? je suis tout à fait contre" est une vieille blague de Woody Allen.
L'octogénaire est reconnu pour trois choses. Son humour. Sa vie amoureuse avec la fille adoptive d'André Prévin et de Mia Farrow. Et pour ses films. Je suis un très grand fan de plusieurs ses films. J'en possède personnellement pas moins de 26. En ai réécouté trois récemment.
Woody Allen l'incarne peut-être plus que quiconque dans sa profession, les films sont des fantasmes projetés. Dans Manhattan, il trahit déjà son envie des jeunes femmes quand sa partenaire amoureuse, personnage incarné par Mariel Hemingway, n'a que 17 ans. L'inspiration du personnage serait un écho de la liaison de Woody Allen, 42 ans, avec l'actrice de 17 ans Stacey Nelkin, qui a duré deux ans, et peut-être aussi un croisement de la correspondance que tenait Allen avec une fan de 13 ans, la future auteure et journaliste, Nancy Jo Sales.
...Je sais...peut-être troublant. Mais "troublant" me semble un adjectif adéquat pour décrire notre planète en vieillissant.
Plus troublant encore. Et légal exclusivement en fiction, le meurtre. Dans les films de Woody Allen, la mort est partout. Presque toujours présentée comme béquille humoristique. Mais avec le temps, particulièrement après que Mia eût découvert sa relation avec Soon-Yi Prévin, le meurtre s'est présenté à maintes reprises. J'ai 8 de ses films. Je dois avouer que sur ses 50 films, il y en a plusieurs qui restent très négligeables (J'en ai vu 48). Mais dans les 10, de mémoire, impliquant du meurtre, ce sont loin d'être ses pires. 3 de ceux-là sont mêmes parmi ses 20 meilleurs selon moi.
Bien que plusieurs voudraient l'assassiner, lui, explorons le meurtre dans ses oeuvres.
Love & Death (1975)
Ses détracteurs seront heureux de la victime dans la première introduction de l'assassinat chez WA. La mort introduite dans le titre est partout dans le dialogue. Deux fois, on entrera en guerre. Et la guerre sera toujours synonyme de morts. Au pluriel. Woody y joue un lâche, décoré de la guerre par pure chance, ce qui lui facilite la tâche pour certains cocktails où germera l'idée de mettre un terme à la folie de la guerre, et pour ce faire, assassiner Napoléon semble la seule chose à faire. Aidé de sa lointaine cousine Sonia (désopilante Diane Keaton), il essaieront, mais échoueront lamentablement, ce qui amènera le personne d'Allen à l'exécution par tirs groupés. La mort, qui s'était présentée deux fois à lui comme dans Le Septième Sceau d'Ingmar Bergman, danse avec Allen à la toute fin. Dans une relative harmonie.
Crimes & Misdemeanors (1989).
Pour la première fois, sur pellicule, Allen verse dans le tragiquement tordu. Un ophtalmologiste, cocufiant son épouse, choisit de faire affaire avec son frère, plutôt véreux, et qui sait comment se débarrasser d'un problème vire fait, bien fait. Suffit que la commande soit claire. Le problème de l'ophtalmologiste est que son amante veut qu'il scinde son mariage comme il l'avait promis et qu'il recommence sa vie avec elle. Il ne peut plus tricher comme il le souhaitait. Mais il trichera pire encore. Il trichera sa conscience. Superbe film drôle et troublant. Un autre de ses fantasmes y est exposé alors que son personnage va ponctuellement au cinéma avec une adolescente.
Shadows & Fog (1991).
Ce poster a été dans ma chambre tout mon premier passage universitaire. Ce film délicieusement tourné par Carlo Di Palma, un hommage aux expressionnistes allemands qu'étaient Murnau, Pabst, Lang, avec une once de Kafka et une poudrée de Brecht, propose une intrigue qui se déroule autour d'un cirque de village, dans un secteur non identifié et une époque non identifiée, mais qui suggère la Bavière des années 20. Avec plusieurs clins d'oeil à Jack l'éventreur, un tueur en série sévit dans un quartier où se trouve un cirque. Le tueur en série tuera, bien entendu, mais on rira plus souvent qu'on aura peur.
Manhattan Murder Mystery (1993).
À partir de maintenant, il est devenu public que Woody Allen entretien une relation amoureuse avec la fille adoptive de Mia Farrow. Le scandale fait du bruit, encore aujourd'hui. Les films suivants de Woody Allen auront parfois une teinte plus sombre, plus régulièrement. MMM est une sous-intrigue que WA avait scénarisé dans Annie Hall, mais qu'il avait soustrait à la dernière minute, trouvant que c'était pour un autre film. Effectivement, il retravaille son scénario, retrouve son actrice d'Annie Hall, et ça deviendra MMM, une comédie meurtrière un peu pépère, rendant un clair hommage à Orson Welles, qui implique un meurtre, un meurtrier, un héritage, et un couple d'âge mur s'improvisant enquêteurs. Des secrets partout.
Bullets Over Broadway (1994).
Dès son film suivant, on nage dans le meurtre comme business. Chaque fois que le personnage de Chazz Palminteri dit qu'il doit aller "shooter some crap", ce qui devrait vouloir dire "aller jouer", on comprend qu'il ne fait que son travail de tueurs à gage. Et nous serons dans la dynamique de la Mafia et des tueries par contrat dans tout le film. Bien entendu qu'il y a du meurtre.
Match Point (2005).
Il y a quelque chose de Patricia Highsmith ou de Dostoeivski dans les deux films suivants impliquant tous les deux Scarlet Johansson. Dans le premier, un ancien joueur de tennis irlandais se lie d'amitié avec un homme dont la soeur tombe amoureux de lui. Celle-ci sera cocufiée par l'arrivée de Nola, splendide Scarlet, et sans vous révéler qui fait quoi, il y aura plus d'un meurtre. Assez solide scénario et brillant jeu. Entièrement tourné à Londres.
Scoop (2006).
Une étudiante en journalisme des É-U (Johansson) étudiant à Londres, participe à un tour de magie d'un minable magicien (Allen) et à la vision de l'homme à la faucheuse qui lui parle du tueur à la carte de tarot, un assassin de prostituées qui laisse toujours une carte de tarot sur le cadavre. La journaliste mènera son enquête. Y aura des victimes.
Cassandra's Dream (2007).
Deux frères sont sollicités par leur oncle pour un contrat contre un homme qui n'est peut-être pas aussi tuable qu'originalement pensé. Débat moral perpétuel. Il y aura mort d'homme.
Irrational Man (2015)
Celui-là a des échos de la vie privée de WA. Un enseignant de philosophie déprimé entend, dans un restaurant, une conversation entre deux personnes dont l'une se plaint qu'un juge mal avisé l'empêchera de voir ses enfants. L'enseignant veut réparer l'injustice et prend les choses en main en "disposant" du juge. Il s'en trouve revigoré jusqu'à que les deux femmes qui l'ont dans l'oeil commencent aussi à le suspecter de meurtre...
Rifkin's Festival (2020)
Je n'ai pas vu celui-là. Tout comme je n'ai pas vu non plus A Rainy Day In New York. Ses deux derniers. Un litige commercial avec Amazon empêche A Rainy Day... d'être facilement accessible et le second a été tourné entre juillet et août 2019 et comme les droits du film sont espagnols, le film est aussi difficile d'accès. Je ne suis absolument pas certain qu'il y a meurtre dans ce film, mais il y a la mort. Bien que le synopsis parle d'un couple tombant amoureux pendant un festival de films à San Sebastian, Christopher Waltz est crédité pour y jouer la mort.
Qu'est-ce que ça nous dit sur la mort et sur Woody Allen?
Je le recite
"Je n' ai pas peur de la mort, je ne veux simplement pas y être quand ça arrivera".
La mort? Vaut mieux en rire.