Hasard objectif ?
Le lendemain de la publication de ma précédente note Ma religion c'est la culture, sur Facebook, je tombe sur un très beau texte avec lequel je me sens beaucoup de convergence. L'auteur, Olivier Liron (que je connaissais pas) utilise un mot dont j'ignorais jusqu'à l'existence : attrition et cite Jacques Rancière (avec lequel j'ai eu occasion de travailler pendant quelques temps). Je me permets de reprendre ce texte sur La Cité des sens.
Je vais essayer de dire quelques mots.
Par où commencer un texte qui engage toute ma vie, toute la vie de la vie d’une personne différente, de la vie d’un écrivain, toutes mes luttes ?
Je ne détiens pas de vérité absolue, mais je dois prendre la parole. Je crois que, bien loin d’être une interdiction anodine, l’acharnement sur la culture est exemplaire de la destruction du lien social dans notre pays. J’aimerais dire quelques mots pour ces femmes et ces hommes qui travaillent dans la culture et la création, et que j’aime profondément.
Ce n’est pas à mes yeux l’idéal de la Culture et de l’Art, moins universel qu’on ne veut le croire, qui me semble le plus menacé. C’est plus grave encore. Je parle d’une réalité humaine. Ce sont des milliers de vies et d’engagements magnifiques en faveur d’un monde plus juste, plus beau, que l’on bafoue avec ces décrets versatiles et aberrants. Des personnes qui exercent un métier, ni plus ni moins essentiel que les autres, et qui méritent tout autant de respect et de considération.
Il me semble que le mal politique de notre temps tient largement dans ce mépris du peuple. Je pense à cette phrase du philosophe Jacques Rancière qui me bouleverse tant : « Le mal intellectuel premier n’est pas l’ignorance, mais le mépris. C’est le mépris qui fait l’ignorant et non le manque de science. Et le mépris ne se guérit par aucune science mais seulement par le parti pris de son opposé, la considération. »
Je dois reconnaître que je fais partie des nantis parmi les créateurs. Je vis de mon travail, comme 4% des écrivains seulement. J’ai touché environ quatorze mille euros en 2020 (mes droits d’auteur de l’année 2019, un prix littéraire que j’ai remporté, des rencontres avec des lycéens en début d’année). Je mesure la chance que j’ai et mes privilèges. Pourtant, cela me fait me sentir plus solidaire encore avec toutes les personnes dans l’hyper précarité. J’ai connu les contrôleurs du RSA qui viennent à l’aube inspecter vos comptes en banque et votre appartement. Beaucoup de vies autour de moi sont fragilisées ou détruites. En 2021, les conséquences seront très lourdes. Nous devons ouvrir les yeux.
Parmi les personnes qui travaillent dans les métiers de la culture et de la création, je ne crois pas mentir en disant qu’une grande partie sont des cerveaux, des corps, des êtres humains qui ont déjà été exclus d’autres sphères sociales et professionnelles, en raison de leur appartenance à une minorité ou de leur marginalité. Ces lois arbitraires les discriminent à nouveau. Ce n’est pas étonnant. C’est une violence qui s’ajoute à une autre violence, la redouble et la perpétue.
Bien sûr, on peut se foutre complètement de tout cela et accuser les artistes de nombrilisme, parce qu’on peut toujours se foutre de tout. Après tout, la précarité ne concerne que les pauvres, les étrangers.ères, les étudiant.e.s, les minorités, les artistes... Bref, les parasites du système. Tant pis pour les SDF qui meurent dans la rue. On connaît tous le fameux poème du pasteur Martin Niemöller. Ça commence par les autres. On ne dit rien. Et puis quand c’est sur nous que ça tombe, il n’y a plus personne pour nous défendre.
Qu’on ne s’y trompe pas. Laisser une population mourir de faim, de solitude et d’abandon est une stratégie militaire, connue et répertoriée. On appelle ça : la guerre d’attrition. Je le sais. Ceux qui me connaissent savent que j’ai appris Wikipédia par cœur à vingt ans. L’attrition consiste à tuer le camp adverse par l’usure des forces et des ressources. Laisser mourir est une manière redoutable de tuer. L’attrition est un mot puissant, je trouve, car on entend la tristesse dedans. Ils veulent nous laisser mourir de tristesse. Nous ne mourrons pas. Nous sommes la vie même.
J’espère qu’un jour il y aura une justice, et que les responsables de ce climat de tristesse, de désespoir organisé, de petites peurs mesquines et patiemment construites, de destruction, d’exclusion, de racisme, de xénophobie, de sexisme, d’homophobie, les mille noms hideux de la haine de l’autre, seront mis hors d’état de nuire. Je propose de les confiner de force durant une longue période. On les laissera entre eux, avec une pile d’attestations à signer les uns pour les autres et des vaccins anti-bureaucratie et anti-cynisme. Ils y seront bien.
En attendant, je continue à croire démesurément, désespérément, éperdument en le pouvoir de la vie, de l’art, de la poésie, de la danse, de la musique, de la confiance, du partage, de la beauté, du lien et du pardon. Je crois en l’être humain. Je crois en nous. Alors on va continuer et ne rien lâcher. Rien n’éteindra jamais notre feu.
Je pense à toutes mes sœurs et à tous mes frères dans toute la société, à vous toutes et tous qui avez souffert cette année. Je vous envoie de l’amour, de la paix, de l’espoir, de la force et toute mon affection.
Olivier Liron Facebook 12 décembre 2020 18 :09
« Ils sont d'abord venus chercher les socialistes, et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas socialiste
Puis ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas syndicaliste
Puis ils sont venus chercher les Juifs, et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas juif
Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre. »
Martin Niemöller
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