Quel plus bel hommage au géant que quelques taquineries de nain ?
"Les meilleurs livres sont ceux que ceux qui les lisent croient qu'ils auraient pu faire" (39)
Mais ne sont-ils pas aussi ceux qu'ils savent qu'ils n'auraient pu concevoir ?
"Celui qui nous a faits sans nous ne peut pas nous sauver sans nous" (41)
Mais est-il si sûr que celui (le Diable) qui ne peut pas nous perdre sans nous ne nous a point faits ?
"Seigneur, comme à l'instant de ma mort je me trouverai séparé du monde, dénué de toutes choses, seul en votre présence, pour répondre à votre justice de tous les mouvements de mon cœur, faites que je me considère en cette maladie comme en une espèce de mort, séparé du monde, dénué de tous les objets de mes attachements, seul en votre présence, pour implorer de votre miséricorde la conversion de mon cœur" (136)
Mais, à vouloir ainsi bénéficier de la mort avant de mourir, n'adosse-t-on pas son "bon usage des maladies" à un pire d'elle ?
"Vous devez avoir une double pensée" (143)
Mais la seconde pensée, qui me fait moins me prendre à la première, n'y happera-t-elle pas d'autant mieux autrui ?
"Afin que la passion ne nuise point, faisons comme s'il n'y avait que huit jours de vie" (150)
Mais si la foi n'était que passion pour un neuvième ?
"Ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé" (207)
Mais si ma dignité aujourd'hui perdue ne fut en son temps qu'une chimère ?
"Apprenez que l'homme passe infiniment l'homme et entendez de votre Maître votre condition véritable que vous ignorez. Écoutez Dieu" (214)
Mais si j'ai d'abord divinisé ce qui nous fait nous "passer", quel Dieu vais-je entendre ?
"L'œil de l'homme voyait alors la majesté de Dieu (...) Mais il n'a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption, il a voulu se rendre centre de lui-même" (226)
Mais comment jouir de Dieu sans l'envier ? Et le deviner sans croire l'avoir mérité ? Comment dans l'infini réel, ne pas rapatrier à soi un centre qu'il éclate partout ?
"Nous sommes plaisants de nous reposer dans la société de nos semblables, misérables comme nous, impuissants comme nous. Ils ne nous aideront pas. On mourra seul" (229)
Mais à quoi bon, dès lors, chérir autrui s'il ne peut s'appuyer sur rien de moi ? S'il ne peut ni s'adosser ni se fier au semblable que je lui suis ? Si mon amour n'est pas plus fort que sa mort ?
"Le peu que nous avons d'être nous cache la vue de l'infini" (244)
Mais hors de ce peu, à qui se montrera-t-il ?
"Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte. Et si nous le suivons, il échappe à nos prises, il glisse et fuit d'une fuite éternelle. Rien ne s'arrête pour nous" (247)
Mais si le réel s'interrompt, quoi de réel pour le relancer ?
"Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui l'écrase, puisqu'il sait qu'il meurt et l'avantage que l'univers a sur lui. L'univers n'en sait rien" (250)
Mais qu'il n'en sache rien, c'est ce qu'on fait dire à son silence !
"Ce que Platon n'a pu persuader à quelque peu d'hommes choisis et si instruits, une force secrète le persuade à cent milliers d'hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles" (274)
Mais pourquoi avoir laissé nos Inquisiteurs réoccuper la Caverne ?
"Les malingres sont gens qui connaissent la vérité, mais qui ne la soutiennent qu'autant que leur intérêt s'y rencontre. Mais, hors de là, ils l'abandonnent" (336)
Mais la vérité est la santé du réel. Comment ne pas la monter, quand elle s'offre ? Et comment, quand elle rue, ne pas l'esquiver ? Et puis le "malingreux" était un mendiant feignant d'être malade : devrait-on montrer son joli teint quand on mendie Dieu ?
"Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire, et négligeons le véritable" (352)
Mais si l'être véritable d'un croyant ne résultait que du travail d'un Être imaginaire ?
"Le style de l'Évangile est admirable en tant de manières, et entre autres en ne mettant jamais aucune invective contre les bourreaux et ennemis de Jésus-Christ" (354)
Mais conçoit-on un instant ce dernier avoir beuglé : fumiers de frangins, salauds de rachetés ou bâtards de prochains ?!...
"Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger" (358)
Mais celles dont ils se font égorgeurs, qu'en croient-ils eux-mêmes ?
"Se moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher" (365)
Mais se moquer de vraiment philosopher, qu'est-ce dès lors, sottise ou ferveur ?
"Il faut parier..." (368)
Mais Dieu est-il assez naïf pour sauver ceux qui croiraient en lui par de telles raisons ?
"Et si (...) Dieu permet que je relève de cette maladie, je suis résolu de n'avoir d'autres occupations ni d'autre emploi le reste de mes jours que le service des pauvres" (439)
Mais puisque Dieu ne l'a pas permis, demeurait à Blaise le service des pauvres ... lecteurs.
Merci, quoi qu'il en soit, à l'excellent Bernard Grasset d'offrir accès, de sa façon éclairante et sobre, à une intimité géniale.
Marc Wetzel
Ainsi parlait Blaise Pascal - Dits et maximes de vie choisis et présentés par Bernard Grasset - Arfuyen, 174 pages, octobre 2020, 14€